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jeudi 6 octobre 2022

Box de Daijiro Morohoshi (le Lézard noir)



Je n’en croyais pas mes oreilles en apprenant la parution de Box chez le Lézard noir. Depuis 2008 et Peur sur la ville, dernier tome la série Shiori et Shimiko, aucun manga de Daijiro Morohoshi n’avait été édité chez nous. Le plaisir est tout d’abord de retrouver intact le style drôle et émouvant de Morohoshi dans un manga datant de 2016. Les aventures de Shiori et Shimiko profitaient de la petite vague française du manga d’horreur des années 2000, qui nous apporta entre autres Tomie de Junji Ito, La Dame de la chambre close et Dragon Head de Mochizuki, ou encore Parasite de Hitoshi Iwaaki. 



Face à ces récits de terreur parfois hardcore, La Tête décapitée ou Les Chevaux bleus relevaient d’un fantastique doux et fantaisiste évoquant davantage Philémon de Fred que Ring. Les deux lycéennes de la petite ville d’I-No-Atama parcouraient des univers parallèles étranges, peuplées de chevaux bleus, des fillettes possédées, de drolatiques chats humains ou de poissons dévoreurs de caractères d’imprimerie. Pour ces lectrices rêveuses, les bibliothèques étaient comme autant de mondes parallèles. 



Box est lui-aussi un chef-d’œuvre d’étrangeté où sept inconnus se retrouvent piégés dans un bâtiment dont les portes, couloirs et dimension varient au gré des énigmes qu’ils doivent résoudre. L’étrange cube de béton est en soi une de ces boîtes, ancêtres du Rubik’s Cube et qui sont une spécialité japonaise.  Il y a deux adolescents, dont l’un portant le prénom féminin de Megumi, une Lolita gothique douée d’un 6e sens, un couple de retraité, un expert en folklore et un architecte. 



Il y a surtout Kyoko, jeune fille malicieuse, aventurière de l’occulte, et dont Morohoshi, dans la postface, nous apprend qu’elle change de personnalité selon les idéogrammes servant à écrire son prénom. Lorsque les participants résolvent une énigme, une part d’eux-mêmes devient invisible, comme le bout de crâne de la lolita gothique et, de façon plus burlesque, le pénis de Megumi. Au terme du premier tome (Box en comptera trois), rien n’indique comment les prisonniers de la boîte vont trouver une porte de sortie. Un thème sous-tend le récit : la bravoure des adolescents et la lâcheté des adultes, prêts à sauver leur vie coûte que coûte en abandonnant leurs compagnons. 



Pour retracer la généalogie de la boîte, Morohoshi fait référence Kunio Yanagita (1875-1962), folkloriste dont les recueils de contes entraînèrent dans les années 60 et 70 un nouvel intérêt pour les légendes campagnardes. Le cinéma et le manga, avec le fameux yokaï-boom insufflé par Shigeru Mizuki, y trouvèrent leur inspiration. Au fond, ce que Yanagita a défriché sont les bases d’une folk-horror purement japonaise.Je ne sais pas si la légende d’une boîte apparaissant à divers endroits et époques du Japon appartient bien aux Contes de Tano (1910) de Yanagita, comme l’affirme un des personnages, mais la référence situe Morohoshi dans la tradition folkloriste. Le mangaka, son carnet de croquis à la main, parcourt les alentours de la capitale, pour en restituer amoureusement les sanctuaires shintô, les ruelles, les chats errants et les petits commerces désuets comme les librairies d’occasion. 

  



L’un de ses chefs-d’œuvre est Amo-kun (2015) récit d’un père et de son petit garçon, dans une ville peuplée d’ombres, de rondes d’enfants fantômes, de créatures lugubres traversant les cimetières ou de mains-escargots. Tout un quotidien spectral et mélancolique qui au Japon se tient à la lisière du monde réel. 



Morohoshi est aussi le créateur en 1974 de l’archéologue et chasseur de yokaïs Reijiro Hieda, adapté par Shinya Tsukamoto avec Hiruko the Goblin (1991). Ce ténébreux personnage, aux cheveux longs et à l’éternel costume noir, explore des mondes relevant autant des croyances shintos que de Lovecraft avec ces monstres tentaculaires grouillant dans les temples où surgissant de la mer.

 



Cette passion pour les croyances d’une Asie légendaire, autant japonaise que chinoise, constitue la base de l’art de Morohoshi. On pourrait rapprocher certains de ses mangas du grand courant archaïque et mystique des années 70, dont le fleuron au cinéma est Himiko (1974) de Masahiro Shinoda, portrait d’une chamane dans un Japon mythologique. Le visage blanc d’Himiko, ses vêtements également  blancs, et ses yeux cernés de rouge pourraient avoir été dessinés par Morohoshi. 



Les rites d'un Japon séculaires, les créatures improbables, homoncules reptiliens et escargots géants, ayant parfois fusionné avec des membres humains, ainsi qu'un fort penchant pour le surréalisme font de Morohoshi un frère de Kazuichi Hanawa (Tensui, l'eau céleste, La demeure de chair), la cruauté eroguro en moins. 




Le style faussement naïf du mangaka, ses personnages enfantins, son trait de plume fourmillant et ses fascinantes gouaches, sont ceux d’un chamane qui aurait le pouvoir de scruter l’invisible et de remonter jusqu’aux temps les plus primitifs. 








mercredi 25 mai 2022

Un rêve japonais d’Andrzej Zulawski à Berlin



L’une des raisons d’être de ce blog est d’établir une sorte de cartographie de mes passions et obsessions. Je republie parfois des articles mais généralement je ne prétends pas y écrire des « textes » mais des esquisses qui me serviront peut-être dans le futur, comme c’est le cas pour mon interminable cycle de films de yakuzas. Ainsi ce billet que j’écris sous l’impulsion d’une « rencontre » d’images que je juge sidérante.

Quel lien peut-il exister entre Les Fleurs du mal de Kamimura et Possession de Zulawski ?

Le magazine Tempura m’a commandé un texte sur l’ero-guro et je me suis replongé dans les livres de Ranpo, Kyusaku et Tanizaki, et les mangas de Maruo et Kamimura. Une planche des Fleurs du mal (édité par Le Lézard noir) de Kazuo Kamimura était un hommage au classique d’Hokusai Le Rêve de la femme du pêcheur (1814). 





Les reprises de ce chef-d’œuvre sont innombrables sur tous les supports et dans tous les pays. Ainsi dans L’Enfant de Valentina (Guido Crepax, 1970), c’est au tour de la belle milanaise de connaitre une étreinte tentaculaire.



Dans Erotique du Japon (Veyrier 1978), Théo Lésoulac’h cite Huymans (Certains, 1889) : « La plus belle est une Japonaise couverte par une pieuvre ; de ses tentacules, l’horrible bête pompe la pointe des seins, et fouille la bouche, tandis que la tête même boit les parties basses. L’expression presque surhumaine d’angoisse et de douleur qui convulse cette longue figure de Pierrot au nez busqué et la joie presque hystérique qui filtre en même temps de ce front, de ces yeux cernés de morte sont admirables. »

Une autre surprise, bien plus folle et troublante, m’attendait quelques pages plus loin.



Je reconnaissais dans le découpage, le cadrage et même la posture du personnage, l’une des scènes les plus marquantes de Possession de Zulawski.



 

Je pensais tout d’abord à un « remake » par le mangaka puisque Possession était effectivement sorti au Japon. 



Cela s’avère en réalité impossible puisque le manga a été publié en 1975 et Possession est sorti en 1980. L’influence s’était donc faite dans l’autre sens: de Kamimura vers Zulawski. 

Comment une obscure BD ero-guro japonaise avait-elle pu se retrouver entre les mains d’un cinéaste polonais tournant un terrifiant drame de couple à Berlin ?

Est-ce que je délire ? 

Je n’aurais sans doute jamais la clé de l’énigme. Cependant, Possession est aussi, d’une certaine manière, une reprise du Rêve de la femme du pêcheur.






jeudi 10 février 2022

Valentina é... giapponese





Depuis l’adolescence je suis amoureux de Valentina Rosselli. J’aime tout en elle : son visage, sa silhouette, son indépendance, ses rêveries et même ses opinions politiques. Valentina est la création du génial Guido Crepax, un des plus grands dessinateurs italiens, et l’on se perd autant dans ses récits gigognes et oniriques que dans les traits de plumes, dessinant des résilles, des enchevêtrements de rotin, des tissages de laine. 



Je savais que Crepax s’était inspiré de Louise Brooks mais curieusement je n'ai jamais totalement réussi à superposer l’actrice et le dessin. Il y avait bien la coiffure, encore que celle de Valentina soit plus bouffante, mais Louise Brooks est pour moi trop assimilée aux années 20 pour incarner la jeune femme pop de Valentina dans le métro. L’adaptation officielle de Baba Yaga par Corrado Farina (1973) ne m’a pas convaincu non plus. Isabelle de Funès, par ailleurs belle chanteuse dans le style de Marie Laforêt, n’a pas pour moi le visage de Valentina. 





J’ai retrouvé quelque chose du style pop de Crepax dans Qui êtes-vous, Polly Maggoo ? (1966) de William Klein. 






Mais c’est tout récemment que j’ai enfin déniché la Valentina de mes rêves. 

Hiroko Matsumoto (1935-2003) n’était pour moi que la « Mademoiselle Hiroko » de Domicile Conjugal de Truffaut, que ce fou d’Antoine Doinel quitte pour retrouver Claude Jade. A  la mort de Pierre Cardin, il y a deux ans, j’ai vu apparaître d’autres images de celle qui était son mannequin vedette. La coupe de cheveux, la ligne, le mystère et l’humour, les vêtements pop, l’univers de mode et de photographies : Valentina était donc Japonaise ! 





Bien sûr imaginer une Valentina nippone permet de croiser le sado-masochisme de Crepax avec les romans-pornos Nikkatsu les plus délirants comme la Maison des perversités de Tanaka, les films de Terayama ou les photos d’Araki. 



L’influence de Crepax se fait aussi sentir dans les mangas eroguro de Kamimura mais surtout dans ceux méconnus de Kenji Tsuruta comme Forget-me-not et surtout le chef-d’œuvre La Pomme prisonnière qui se déroulent à Venise.