mercredi 6 janvier 2016

Yoshihiro Nishimura : Z pour Zetsumetsu



ABC’s of Death (2012)les 26 lettres de l’alphabet pour 26 façons de mourir par 26 cinéastes d’horreur. A côté de Cattet & Forzani, Ti West, Ben Wheatley ou Adam Wingard, le cinéaste kamikaze Yoshihiro  Nishimura (Tokyo Gore Police, Helldriver) signe avec un pamphlet de 5mn50 : « Z » pour Zetsumetsu (destruction totale). Ici, Nishimura filme le post Fukushima comme un mélange de théâtre underground et de manga hentaï, avec un sens du grotesque que n’égalent que les mensonges de TEPCO sur les fuites radioactives. Dans les sous-sols d’un Tokyo irradié, on croise des versions nippones de Dr. Folamour et d’Ilsa, l’héroïne d’une série scandaleuse des 70’s. L’infâme « louve des SS », arbore toujours son uniforme nazi mais devint une poupée blonde (la délicieuse "Je$$ica") dotée d’un pénis démesuré (nos amis otakus connaissent bien les futanari, ces femmes super-phalliques). La croix gammée, qui orne la casquette d’Ilsa-chan, se métamorphose pour former l’idéogramme du riz, désignant également les américains, confondant ainsi les deux alliances maudites du Japon : le nazisme et l’impérialisme dont Fukushima est la conséquence. "Je$$ica", mutante décérébrée de l’industrie nucléaire, éjacule du riz contaminé que dévorent des cobayes humains affamés. Dr. Folamour, alors pris d’une érection incontrôlable en guise de salut nazi, se dresse de son fauteuil roulant et, prêtant serment à l’Empereur, déclare que le Japon souverain se relèvera ! Que les amateurs de subversion carabinée se rassurent, le professeur Choron va bien et vit à Tokyo. Hara-kiri !


(paru dans Chronicart n°8, janvier 2013 )

mardi 5 janvier 2016

Toshio Saeki par Shuji Terayama




L'homme qui construit son tombeau avec sa plume,
c'est Toshio Saeki.
Le vampire de la vieille école,
c'est Toshio Saeki
Le descendant de Hinomaruhatanosuke (* 1 ), faisant l'amour au cadavre de sa petite sœur en costume marin,
c'est Toshio Saeki.
Le bossu de l'hymne scolaire, compositeur du secret de la petite chambre (*2),
c'est Toshio Saeki.
Les Réflexions sur la vie humaine de Kiyoshi Miki (*3), silencieusement, se masturbant sans cesse derrière un autel bouddhique,
c'est Toshio Saeki.
L'âme possédée du jeune aviateur, membre du centre d'étude sur la sodomie, section des gouailleurs patriotes,
c'est Toshio Saeki.
Le chouchou à sa grand-mère, au bain, son sexe allant et venant entre des fausses dents,
c'est Toshio Saeki.
Le vendeur d'enfant montrant l'enfer en soulevant la couette de ses parents dans un théâtre de papier,
c'est Toshio Saeki.
L'enseignant en érection des représentants de commerce de manuels d'éducation civique baignant dans les pilules,
c'est Toshio Saeki.
Le jardinier aux pivoines se lavant le visage du sang des règles de sa défunte grand-mère,
c'est Toshio Saeki.
La berceuse pour le fils unique de Sentarô-le-branleur jouant du luth, son ombre derrière la porte coulissante,
c'est Toshio Saeki.
L'amant de sa mère, pendu avec les pans de son pagne, vêtu d'un kimono funèbre aux emblèmes de sa maison,
c'est Toshio Saeki.
Le sourd d'art lyrique qui compte les fleurs d'acacia rouge et or dans son cercueil,
c'est Toshio Saeki.
Le Don Juan (*5) pitoyable aux socques de chez Fukusuke, qui a jeté les estampes d'automne, d'été et d'hiver (*4),
c'est Toshio Saeki.

 TERAYAMAShûji (*6)


(*1) Héros d'une bande dessinée pour garçons, de Nakajima Kikuo, datant de 1937. Son nom qui donne son titre à la série, désigne le drapeau national.
(*2) Roman attribué à Nagai Kafû (1879-1959), publié en 1947 et interdit en 1948 à cause de son caractère licencieux. On peut le lire en français : Le Secrel de
la petite chambre. Récits érotiques traduits par Elisabeth Suetsugu et Jacques Lalioz, Ed. Philippe Picquier. 1994.
L'histoire de ce texte est détaillée en introduction.
(*3) Kiyoshi Miki (1897-1945) est un philosophe, auteur de Jmsei-mn nota (Réflexions sur la vie humaine), 1947.
(*4) Shunga littéralement dessin de printemps, désigne des dessins érotiques. Les estampes des autres saisons ne correspondent pas à une appellation générique.
(*5) Titre d'un roman de 1682 écrit par lhara Saikaku (1642-1693), poète et romancier. On peut le lire en français :
L'homme qui ne vécu! que pour aimer, lhara Saikaku, traduit par Nakajima-Siary Mieko et Siary Gérard, Ed. Philippe Picquier, 2001.
(*6) Terayama Shûji est un poète, écrivain, dramaturge, chroniqueur sportif, photographe, scénariste et réalisateur japonais, né le 10 décembre 1935 à Hirosaki
et mort le 4 mai 1983 à TOkyO.
Texte traduit par Béatrice Maréchal.




dimanche 3 janvier 2016

Trois anniversaires de Sono Sion



Le temps et les anniversaires sont des obsessions pour les personnages de Sono Sion. La jeune épouse de Guilty of Romance, quelques jours avant l’anniversaire de ses trente ans, dérive vers le quartier des love hotels de Shibuya et la prostitution. Le cinéma de Sono Sion est existentialiste, si tant est qu’on veuille encore donner à ce mot un sens et qu’on soit préoccupé par la seule chose qui nous soit léguée à la naissance.

Anniversaire 1. Je suis Sono Sion (Ore Wa Sono Sion da !, 1985)
Un de ses premiers court métrages, tourné en école de cinéma, Je suis Sono Sion relate les derniers jours du cinéaste avant son anniversaire. Une série de saynètes parfois cocasses (il taquine une amie en imitant sa voix aigüe), drôles et angoissantes (un punk, tendance new wave japonaise, lui rase la tête malgré ses supplications), classiquement surréalistes (il embrasse des statues) et une symbolique que l’on retrouvera dans ses futurs films (pantomime dans un appartement vide)... mais le fond du film est cette affirmation : je suis Sion Sono.




L’anniversaire de Sion marque la fin du film, et donc sa naissance comme cinéaste : le 6 décembre à 21h30 et 30 secondes. C’est son anniversaire mais ses images sont noires, sa pellicule n’étant pas assez sensible... pas complètement noire bien sûr, mais remplies d’accidents, de taches, de floutés colorés et, par l’usure du temps, de rayures expérimentales. Ces images défectueuses ne sont pas une fin, mais contiennent toute une potentialité tumultueuse.

Anniversaire 2. Bicycle Sigh (Jintensha toiki, 1990)
Un personnage, à tête de gorille, s’introduit dans la chambre d’un apprenti cinéaste. Il déclenche le projecteur super-8, mais la pellicule, sortie de la bobine, se déverse sur le radiateur et fond en même temps que se déroule la projection. Sur le mur, une jeune fille court dans un pré, et puis s’éloigne au fond de l’image. Elle disparaît en même temps que se désagrège la pellicule.



Le film du souvenir passe dans une chambre vide, pour personne (car le gorille n’existe pas, bien sûr), et s’efface peu à peu. C’est une des belles idées du premier long métrage de Sono Sion, sur la vie fantaisiste, mais solitaire et mélancolique, de deux adolescents.
Ils croient qu’une société secrète veut faire disparaître les habitants de «10 chi street, Nakamachi,Toyokawa» ; un acteur fantôme, avec un masque de Godzilla, apparaît dans leurs films ; Shiro (Sono Sion) se déguise en super-héros (goût du travestissement que l’on retrouve dans ses futurs films) pour sortir son ami de l’hôpital.



Le 1er janvier Shiro passe son anniversaire, ivre mort, écroulé dans le couloir d’un métro désert. Quant à au cinéaste, il gâche la rencontre avec la famille de la fille qu’il aime.
Par la progression de leur imagination, les deux amis (en fait les deux doubles de Sono Sion) parviendront pourtant à s’évader de Toyokawa. Dans le court métrage qu’ils tentent de finir, une des bases d’un terrain de base-ball quitte sa trajectoire, se poursuit sur la route, jusqu’à l’océan. Il faut entrer dans le film - devenir cinéaste - pour sortir du quotidien.

Anniversaire 3. Keiko desu kedo (1997)

Keiko, prise aussi dans le décompte des jours jusqu’à ses 28 ans, est également obsédée par le temps et les réveils. 



Elle invente des comptines, disant "bonjour" et "au revoir" aux secondes. Elle filme des bulletins d’informations (Keiko’s News Today), jouant une présentatrice surexcitée commentant sa journée. Mais qu’a-t-elle fait à part marcher dans la rue, prendre le métro et boire un café ? 



Et tout se brise lorsqu’elle apparait sans maquillage ni perruque, et regarde tristement la caméra. Aujourd’hui, elle n’a rien fait, il ne s’est rien passé, elle a à peine existé. Elle n’a fait que vieillir imperceptiblement. Dans un autre plan, un des plus beaux, Keiko est immobile, d’une fixité photographique, sans même un battement de cil. Seul mouvement dans l’image : la trotteuse du réveil poursuivant sa révolution obstinée... et la faisant vieillir, de seconde en seconde.
Keiko finira pourtant par s’évader de son monde d’objets et de solitude. Comme plus tard la policière de Guilty of Romance courant après le camion à ordures avec ses sacs poubelles, elle traverse son quartier, puis atteint un paysage de neige, aussi blanc que sa maison étaient emplie d’objets colorés.
Love exposure, le chef d’œuvre de Sono Sion est surtout une suite de recommencements et de nouveaux départs...
Il n’y a jamais de fatalité dans les films de Sono Sion. Pas même celle du temps. Tout est toujours possible.


Tokyo 2015 #6. Shibuya



C’était à Shibuya, non loin de la statue d’Hachiko. Une lycéenne et un vieux monsieur attendaient ensemble, assis sur la rambarde d’une jardinière. Alors que défilaient les fashionistas du 109, lui était parfaitement immobile, observant derrière ses yeux mi-clos. On pense évidemment à Kitano devant ce visage faussement assoupi. Pourquoi pas un flic à la retraite, obligé de s’occuper de sa petite fille pendant un après-midi ? Celle-ci, une vraie peste, ne songe qu’à retrouver son fiancé, un jeune baka, apprenti malfrat. On imagine très bien le grand-père retrouvant alors la manière forte pour ramener les deux tourtereaux dans le droit chemin.