Shuji Terayama
raconte.
Après
une représentation, je suis allé dans le hall du théâtre où m’attendait une
Hollandaise entre deux âges. Elle me demanda poliment : « Qu’est-il
advenu d’Hans Buruma, mon mari ? » Je lui ai répondu : « Qui est
Hans. » « Hans Buruma, mon mari ! » répondit-elle. Elle
m’expliqua qu’Hans Buruma était en charge de la distribution du courrier à la
poste centrale d’Amsterdam. Trois ans auparavant, il était allé voir Hérétiques (Jashumon). Ma troupe
avait été invitée à jouer cette pièce au Mickery Theater. Juste après
le début de la représentation, deux hommes masqués de noir ont bondit dans le
public, ont attrapé son mari et l’ont tiré sur scène. Une fois sur scène, Hans
a été costumé et, avant qu’il ne s’en rende compte, est devenu un des
personnages de Hérétiques.
Au moins deux fois au cours de la pièce, elle a vu son mari rejoindre les
autres acteurs qui tiraient des cordes. Il avait l’air de prendre beaucoup de
plaisir. Mais quand la pièce a été finie, Hans n’est jamais retourné à son
siège dans le public. Sa femme a attendu deux heures mais quand elle est allée
dans les loges, tous les membres de la troupe avaient déjà rejoint l’hôtel.
Cette nuit, Hans n’est pas rentré chez lui. Deux nuits plus tard, il n’était
toujours pas revenu. Ensuite, la compagnie a quitté la Hollande pour
l’Allemagne de l’ouest. Elle a pensé qu’il avait rejoint la troupe qui l’avait
engagé pour ses talents d’acteur. Elle a pensé « mon mari fait partie de
la pièce. » Maintenant, alors que trois ans avaient passés, elle me
suppliait : « S’il vous plait, rendez-moi mon mari. » j’ai dû
lui avouer que je n’avais jamais entendu parler de cette histoire. NI moi ni
personne dans la troupe ne connaissions un Hollandais d’âge mûr nommé Hans
Buruma. Il n’y avait aucune preuve indiquant qu’une telle personne avait été
avec nous les trois dernières années. Quand je lui ai dit que je ne le
connaissais pas, elle était au bord des larmes. « Alors où peut bien être
Hans ? » a-t-elle demandé. Il y a trois ans, un Hollandais d’âge mûr,
travaillant à la poste centrale, s’était évaporé à l’intérieur de notre pièce.
Dans ce cas précis, nous ne pouvons plus distinguer où s’arrête la pièce et où
la réalité commence.
Les
phrases « Hans a disparu à l’intérieur de la pièce » et « Hans a
disparu pendant la pièce » sont virtuellement synonymes.
Extrait de The
Labyrinth and the Dead Sea : My Theatre (1976) de Shuji Terayama, d’après
la traduction de Carol Fisher Sorgenfrei in Unspeakable Acts – The Avant-Garde
Theatre of Terayama and Postwar Japan (University of Hawai’i Press, 2005)