Affichage des articles dont le libellé est Tokyo. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Tokyo. Afficher tous les articles

samedi 28 septembre 2019

Un étranger dans la ville dorée



« Vous vous souvenez de Golden Gai il y a 10 ans ? C’était une ville-fantôme. » regrette le patron d’Uramado, qui est peut-être le bar le plus sombre du quartier, une chapelle dédiée aux chanteuses de jazz et d’acid folk de l’ère Showa comme Maki Asakawa et Morita Douji. Seule une étoile violette allumée au-dessus de la porte indique que le bar est ouvert car aucune lumière ne perce de ses fenêtres. 

Il est vrai que Golden Gai avait une drôle de gueule en cette fin septembre avec le championnat de rugby qui se tenait à Tokyo. Rien ne pouvait être plus incongru que ces fans et joueurs, pour certains néo-zélandais, armoires à glace s’entassant dans les bars minuscules ou, à la grande hilarité des mama-san travestis, usant de mille contorsions pour entrer dans les toilettes basses et étroites. Je revois ce groupe de malabars stationnant au milieu de la rue et hurlant, leurs bières à la main, comme s’ils se trouvaient dans l’outback australien. Une porte s’ouvre dans le mur, et se matérialise une petite vielle courbée, borgne et furieuse, qui hurle « SHUT UP ! », avant de retourner dans sa caverne. C’était l’esprit de Golden Gai qui réclamait le silence ! Le quartier n’a cependant pas attendu les rugbymen et l’annonce des JO de l’an prochain pour changer de visage et devenir un lieu touristique. Sans doute est-ce le prix à payer pour sa survivance et rares sont les bars pratiquant encore le « guests only » et le dissuasif « extra-charge » (sorte de prix d’entrée) est un peu moins pratiqué. Pourtant, sans qu’on ne sache vraiment pourquoi, l’obscurité reprend parfois ses droits et Golden Gai redevient la cité des ombres, avec ces anges soulageant les solitudes, et ses démons comme ce cauchemardesque travesti vêtu de rouge, accompagné de deux très jeunes filles, et traversant à toute vitesse le quartier pour racoler des clients et les entraîner dans les bas-fonds de Kabukicho. 
Je suis moi-même un étranger dans la ville dorée, mais dans ces moments d’obscurité je n’aspire à rien d’autre qu’être un fantôme parmi d’autres, collectant les chansons d’amour embrumées, les photos des mama-san du temps jadis qui jaunissent sur les murs, les affiches de théâtre du génial Shuji Terayama et celles de Tatsumi Hijikata et son corps de terre noire, les clichés charbonneux des photographes de Provoke et les souvenirs des cinéastes rouges qui venaient y refaire le monde.


jeudi 22 août 2019

lundi 22 juillet 2019

Elle est morte après la guerre




Koji Wakamatsu et Masao Adachi furent les héros du cinéma des années 1960, faisant exploser toutes les catégories : du cinéma érotique et du cinéma politique, du commerce et de l’expérimental. Ils tournaient leurs brûlots en quelques jours, dans les rues, dans la campagne, sur les toits de Tokyo, dans des appartements minuscules. Et lorsqu’ils donnaient des caméras aux étudiants pour filmer les émeutes, ceux-ci pouvaient voir leurs images un mois plus tard dans les cinémas pornos de Shinjuku comme des newsreal révolutionnaires. Alors que les cinéastes de la nouvelle vague comme Oshima étaient des dandys et des intellectuels fascinés par l’Europe, Wakamatsu était un visionnaire sauvage. Adachi était plus timide, intellectuel, mais aussi plus idéaliste et déterminé. On en finit donc plus d’attendre que sorte en France, d’une façon ou d’une autre, Dare to Stop Us (2018) de Kazuya Shiraishi qui retrace leur vie à la charnière des années 70. 
Hiroshi Yamamoto (Masao Adachi) et Arata lura (KOji Wakamatsu)
L’un tournera L’Extase des anges, le dernier chef-d’œuvre des années rouges, et l’autre, après le fondamental AKA Serial Killer, ira rejoindre le Nihon Sekigun au Liban pour un exil de presque 30 ans. Dare to Stop Us, que j’ai eu la chance de découvrir au festival d’Udine, est produit par leur société historique, Wakamatsu pro, avec un budget minuscule ne permettant pas une réelle reconstitution historique. Shiraishi a donc choisi de s’en passer et fait hanter par ses personnages le Shinjuku contemporain comme si deux couches temporelles se superposaient. Mais au fond, rien de surprenant pour qui a expérimenté le caractère fantomatique de ce quartier dont certains territoires comme Golden Gai, appartiennent à un autre temps, et sont traversés par les spectres. 
Arata Iura, qui n’avait pas réellement convaincu dans le rôle de Mishima dans Le jour où il choisit son destin, interprète ici génialement Wakamatsu. Si l’on parle de fantômes, il faut préciser que lura était présent dans le bar Nagisa, à Golden Gai, la nuit où le cinéaste a été renversé par le taxi, ce qui entraînera sa mort quelques jours plus tard. Nagisa, la patronne du bar, chanteuse et amante de Daido Moriyama qui lui consacra un livre, a elle-même disparue l’an dernier. On pourrait croire au lent effacement de ce qui fit la légende de ce quartier, refuge d’artistes, d’activistes et de noctambules, mais ce n’est pas le cas. Le bar est toujours ouvert et on y trouve les mêmes habitués, soixantenaires qui célèbrent encore, en silence, le culte de leur égérie. C’est un travail du même ordre qu’effectue Arata Iura faisant revivre Wakamatsu tel qu’il l’a connu, et sans doute tel qu’il a toujours été : un brigand, râleur, enfantin et combatif, et un cinéaste-né. Pour l’avoir rencontré plusieurs fois, je dois avouer avoir très ému, comme si le film me permettait de passer encore un peu de temps avec lui.
L’autre originalité de Dare to Stop Us est de montrer ce gang de mauvais garçons à travers le regard de Megumi Yoshizumi (Mugi Kadowaki), assistante réalisatrice ayant noué avec Wakamatsu une relation de père et de fille et secrètement amoureuse de Masao Adachi. 
La jeune fille est la figure méconnue du mouvement, aspirante cinéaste n’ayant tourné qu’un moyen métrage (qu’est-il devenu ?) et qui, enceinte, se suicidera en 1971 à l'âge de 23 ans.
Elle travailla sur certains des films les plus importants de Wakamatsu comme Sex Jack et La Vierge violente et sur La guérilla des écolières d'Adachi. On la retrouve comme assistante, l'année même de sa mort sur le magnifique Gushing Prayer, the 15 years old prostitute d’Adachi qui parle de jeunesse perdue, de sexe, d’avortement et de suicide. 
Si Gushing Prayer obéit à la charte du cinéma pink élaborée par Wakamatsu, il est plus doux et mélancolique. Ses quatre lycéens errent dans une ville brumeuse et essayent de comprendre à quel moment le sexe devient de la prostitution donc une valeur marchande. Est-ce nécessairement quand on le paye ? Et si l’on y prend du plaisir est-ce encore de la prostitution ? Et si l’on ne ressent jamais de plaisir, notre corps est-il encore nous-mêmes ? Est-ce un objet que l’on peut vendre ? La soumission des adolescentes aux adultes, professeurs qui les prostituent, les violent, les mettent enceintes et les abandonnent, n’est-elle pas aussi celle du Japon à l’Amérique ? 
La prostituée de quinze ans, dégoûtée par cette société sans idéal, finira elle-aussi par se suicider. La balade de Yasuko est accompagnée par les lettres d’adieu de jeunes filles suicidées, mélopée d’outre-tombe bercée par les notes vaporeuses d’une guitare acid-folk. C’est de ce brouillard que revient dans Dare to Stop Us, Megumi Yoshizumi, cinéaste au film perdu et figure oubliée de la guerre de Tokyo.  

samedi 15 décembre 2018

Halloween à Tokyo



C'est une nouvelle histoire de fantômes à Tokyo
tu y croiseras
l’onagata diabolique qui hante le konbini
la kaibyo qui gratte le trottoir de ses griffes
l’équivoque écolière aux larmes noires
et le fantôme sanglant de l’infirmière
et le fils débauché de la famille du chien-dieu
mais surtout tu prendras garde aux sortilèges
des renardes échappées des temples
qui t’entraînent dans des rues sans nom
t’ouvrent la porte des bars fantômes
et te font boire le saké de l’oubli
qui estompe les contours de la nuit
et captif de ces fantômes d’amour
escamoté du monde des vivants
jamais tu ne verras l’aube se lever
mais n’est-ce pas au fond ce que tu désires ?  






































jeudi 29 novembre 2018

L'Hotel World Kaikan à Nakano



Lorsque qu’on se rend à Nakano Broadway, on peut très bien passer par la grande galerie marchande toujours surpeuplée, avant de gravir les escaliers qui mènent au le paradis des mangas eroguro, des figurines d’Ultraman et des revues érotiques des années 70. On peut aussi passer par les ruelles, où s’alignent des dizaines de restaurants, de pachinkos et de Girls Bars. On est alors sûr de tomber sur la façade en losanges jaune orangé de l’Hotel World Kaikan. Construit pendant les années 60, d’où sa décoration pop désormais délabrée, il a bien été un hôtel mais après sa fermeture est devenu une ruche de bars et de karaokés. Sans doute reprend-il vie une fois la nuit tombée, mais c’est dans la journée qu’il se dresse de façon sinistre. Seul son second étage est accessible (1er étage chez nous), entouré d’escaliers fermé par des grilles. A droite, la porte d’un bar dont la décoration est un cercueil rouge marqué d'un "D". Deux escaliers descendent au sous-sol. Les emprunter était tentant puisque l’Hotel World Kaikan évoque à la perfection un décor de J-horror avec ses chambres que l’on suppose hantés par des suicidés ou des yakuzas assassinés. J’ai descendu les quelques marches, jusqu’à un sol en damier, plongé dans une semi pénombre, et des portes métalliques abritant sans doute un karaoké. Je suis resté quelques instants à me glacer d’effroi mais un bruit m’a fait prestement remonter à la surface.
Comment ne pas penser que la façade de l'hôtel rappelle la moquette de l'Overlook de Shining
Hotel Underworld Kaikan ?