samedi 18 septembre 2021

A Summer of Yakuza 4


Cette quatrième période de mon été yakuza aura été dominée par Akira Kobayashi, un des jeunes premiers "rebelles" de la Nikkatsu à la fin des années 50. 




Le garçon n’est pas étranger au monde des yakuza puisqu’il épousa en 1960, Hibari Misora, la plus grande star de la enka sous la bénédiction du « manager » de celle-ci, Kazuo Tadaoka, parrain de la troisième génération du Yamaguchi-gumi. Il divorça deux ans plus tard. 



Surnommé "Mr. Dynamite" ou "Might Guy", Kobayashi est l’image même de l’edoko (garçon d’Edo, soit l’équivalent du Titi parisien), charmeur, gouailleur et bagarreur. Dans certaines de ses chansons, il nous faire entendre l’accent populaire de Tokyo. 




Par la suite, s’épaississant et gagnant en carrure, il devient un imposant chef de clan, en costumes de luxe. On le retrouve chez Seijun Suzuki dans un grand nombre de classiques comme Le vagabond de Kanto (1963) et Les fleurs et les vagues (1964). Le virage Roman Porno de la Nikkatsu lui fait poursuivre en 1973 ses rôles à la Toei dans les Combats sans code d’honneur de Kinji Fukasaku.



1er septembre

Ryuji (1983) de Toru Kawashima



Un film de yakuza sans violence et sans aucun coup de feu. Ryuji fait la chronique d’un jeune yakuza sans grande responsabilités, tellement au bas de l’échelle qu’il partage un petit appartement avec ses subordonnés. Lorsque sa fille vient au monde, sa petite amie rentre chez ses parents dans le Kyushu, lui intimant de quitter le milieu s’il veut la revoir. Ryuji décide alors de tirer un trait sur son passé et s’accommode plutôt bien de sa nouvelle vie. C’est un bon père et un bon mari, travaillant dans une société de livraison d’alcool pour les bars de Tokyo. Mais la nuit, la vie marginale et finalement la liberté, ont un puissant pouvoir d’attraction. Ryuji est l’œuvre d’un jeune acteur et scénariste, Shoji Kaneko qui a lui-même autoproduit le film. Le réalisme avec lequel il interprète le petit truand vient sans doute des fréquentation yakuzas de sa jeunesse, avant qu’il n’intègre une troupe de théâtre. 



Si Ryuji retrouve finalement son milieu, abandonnant femme et enfant, c’est sans pathos ni leçon de morale. Et puis il y a l’ambiance électrique très « City Pop » du Tokyo des années 80, des plans sublimes de Kabukichô, une incursion à Golden Gai et Play Back part. 2 de Momoe Yamauchi en bande-son. 




Ryuji est sorti au Japon le 29 octobre 1983, et Shoji Kaneko est mort d’un cancer exactement 6 jours plus tard le 6 novembre, à peine âgé de 33 ans. On lui doit aussi le scénario de Chi-n-pi-ra d’abord pour la version de 1984 par Toru Kawashima (le réalisateur de Ryuji) puis en 1996 le remake par Shinji Aoyama connu en France sous le titre Deux Voyous. L’influence de Ryuji sur le cinéma indépendant japonais semble primordiale. 





Yakuza Kannon : Iro Jingi / Yakuza Justice: Erotic Code of Honor (1973) de Tatsumi Kumashiro



Film dingue et merveilleux. Un moine repèche une femme noyée qui accouche d’un garçon qu’il nomme Seigen. Elevé au monastère, Seigen croise la route d’une bande de yakuzas. Poursuivant un but mystique énigmatique, il va devenir lui-même yakuza, tuer son père, chef de gang, nouer une passion incestueuse avec sa demi-sœur et commettre massacre sur massacre. 



Pourtant il est toujours à la recherche de la sainteté. Il suit la voie énoncée par son maître : c’est dans la merde qu’on trouve Buddha. Même si les scènes de sexe sont nombreuses, souvent caviardées par des caches hasardeux, il ne s’agit pas d’un film pink. Cette quête sordide et hallucinée pourrait évoquer une sorte de « Bad Yakuza », un ancêtre japonais des films d’Abel Ferrara. 



Les massacres de yakuzas, sanglants et stylisés comme chez Kitano, sont effectués sur des psalmodies de prières bouddhiques.  Franchement, j’avais jamais vu ça. 






3 septembre

Brutal Tales of Chivalry / Shôwa zankyô-den (1965) de Kiyoshi Saeki



Je ne suis qu’un novice en connaissance du ninkyo eiga, et face à un tel continent je me rends compte que je suis aussi un novice en termes de cinéma japonais. Presque parallèlement aux séries se passant pendant les ères Meiji et Taisho, la Toei démarre une série se déroulant à l’époque Shôwa, après-guerre, avec en vedettes Ken Takakura et  Ryo Ikebe. 




C’est d’ailleurs Takakura qui chante le morceau-titre, preuve de son rôle de leader. Cette chanson qui a la même mélodie que celle de la série Abashiri Prison. C’est un film classique et magnifique. Ken revient de la guerre, au moment-même où son oyabun vient de se faire assassiner par un gang rival. On retrouvera la même situation dans la Fureur de vaincre. Désigné chef du gang, il va tenter de suivre les dernières volontés du boss : ne pas participer à des conflits, jusqu’au moment où le gang adverse rivalise d’abjection. Mais s’il part au combat c’est pour protéger des marchands que le clan ennemi rançonne et empêche de posséder son propre lieu de vente. Il y a des répliques très intéressantes comme :

« Tu es tellement vieux jeu à parler des yakuzas et du code de l’honneur. Nous sommes à l’âge du capitalisme. »

Ou encore un yakuza disant à sa femme avant d’aller se sacrifier :

« Pour les prochaines décisions, je te consulterai. C’est à la mode maintenant de donner l’égalité des droits aux femmes. »

Au registre des choses amusantes, les salutations de Ryo Ikebe au clan auquel il demande l’hospitalité. Il ne s’agit pas seulement de décliner son identité mais de savoir qui le fera en premier, lequel se relèvera en premier. C’est une bataille de politesse et d’humilité. 



Sinon, le film est visuellement somptueux et le combat final, et son découpage en clairs obscurs (oui c’est du Caravage !) , un des meilleurs du genre. J’aurais pu en tirer 100 photogrammes.

Bref, si vous voulez vous initier au ninkyo eiga, vous pouvez commencer par celui-ci.






8 septembre

Three Gamblers / Sannin no Bakuto (1967) de Shigehiro Ozawa



Ce beau Ninkyo se passe à Macao et est en partie tourné en décors naturels. La trame semble une fois de plus empruntée au Théâtre de la vie, avec ce noble yakuza dont l’épouse a été poussée à la prostitution et à l’exil pendant son séjour en prison.



Nous sommes donc dans le versant le plus mélodramatique du Ninkyo, là où le talent de Koji Tsuruta peut s’exprimer avec toute sa puissance. Les retrouvailles avec son fils sont magnifiques par exemple. 




On retiendra aussi un superbe Kyosuke Machida en chien fou nous gratifiant d’un combat sauvage. 



Pourtant, c’est Ryo Ikebe qui fascine encore dans un rôle de yakuza tuberculeux comme dans Yakuza’s Tale/Tosei-nin Retsuden (1969) du même Shigehiro Ozawa. On pense un peu à Victor Mature en Doc Holliday dans My Darling Clementine de John Ford. Le personnage est tourmenté car il a assassiné sa femme. Ryo Ikebe ne joue pas d’une stature droite comme Tsuruta, c’est un dandy un peu efflanqué, ayant déjà un pied dans la tombe et cherchant un moyen de redevenir un homme. Sa seule solution est de plonger dans le nihilisme et de choisir l’homme qui le tuera, donc ce modèle d’humanité qu’est Tsuruta. 




9 septembre

Aesthetics of a Bullet / Teppôdama no bigaku (1973) de Sadao Nakajima



Tentative de la célèbre ATG (productrice de Wakamatsu et Oshima) de marier le yakuza eiga au style nouvelle vague des années 70. Le principe est intéressant puisque Nakajima est un cinéaste de films de yakuza « traditionnels » de la Toei, et emploie certains de ses acteurs comme Mitsuru Mori, Asao Koike et surtout la « sukeban » Miki Sugimoto. 





On peut supposer une co-production Toei/ATG mais je n’ai pas d’informations là-dessus. Kiyoshi un chinpira (petite voyou) vivant d’expédients comme vendre des lapins dans la rue, est recruté par un clan, le  groupe Tenyu dont on entend que les voix. Doté d’un million de yens et d’un pistolet, il est envoyé dans la ville de Miyazaki pour mettre au pas (et peut-être tuer) un patron de club. Malgré la morgue de yakuza qu’il adopte, il va accumuler les erreurs, draguer les hôtesses, et rater à peu près tout. Le film à l’image de son personnage est erratique, mais cette forme libre ne produit pas grand-chose d’intéressant. Nakajima montre surtout l’incapacité du personnage à assumer son rôle de tueur. 



Particulièrement pleutre et violent avec les femmes, le personnage est peu attachant. Nakajima rate ce que réussira dix ans plus tard Toru Kawashima avec Ryuji : implanter un jeune yakuza dans le réel. Reste un générique assez génial où des gros plans de nourriture, de spectacles érotiques et d’ordures sont rythmés par un morceau fantastique du groupe de punks activistes Zuno Keisatsu.  








10 septembre

Brutal tales of chivalry 3 : The Lone Wolf (1966) de Kiyoshi Saeki



Ces Ninkyo classiques de la Toei, tous identiques et tous différents, nous apprennent ce qui fait la grandeur des cinéastes de studio japonais. La maîtrise d’un appareil techniques inouï mis à leur disposition et d’une troupe d’acteurs d’exception, maîtrisant la gestuelle et les intonations de ces yakuzas tragiques. 



Jamais on ne sent le travail bâclé ou le manque d’implication, mais toujours le souci de la beauté. Moi-même, spectateur découvrant jour après jour depuis plusieurs mois cette production, jamais je ne ressens de lassitude (il faut dire que j’aime bien la sérialité et les répétitions). Une belle copie permet en outre d’apprécier la splendeur de la photographie. Ici par exemple le portrait en clair-obscur d’un jeune maître où se lit toute la noblesse du personnage. 




Il y a toujours un moment musical, ce que j’appelle la « marche vers le destin ». La chanson est très belle.

« Mes parents m’ont donné ma chair

Je l’ai souillée avec des aiguilles et de l’encre

Combien de fois vous ai-je déçu ?

Comment pourrai-je demander à maman de me pardonner ?

Le lion chinois et les pivoines pleurent sur mon dos»

Lors du combat final, Takakura dévoile sur son dos le lion chinois et les pivoines, et le thème musical fait retour. 

Le Ninkyo est un genre mélodramatique et en tant que tel ne souffre pas l’imprécision. 





12 septembre 

The Yakuza Code Still Lives/ Hiroshima jingi: Hitojichi dakkai sakusen (1976) de Yûji Makiguchi



Un Yakuza sortant de prison décide de se ranger, quitter le milieu : il devient « sokaya ». Il se livre avec une petite équipe à de l’extorsion sur des entreprises ayant des pratiques frauduleuses. C’est assez bizarre comme conception d’un métier honnête mais j’ai l’impression que cette pratique n’était pas considérée comme illégale, peut-être parce que les entreprises en question n’osaient pas porter plainte. 



Le film de yakuza, tendance Jitsuroku est déjà très complexe narrativement, mais ici se rajoutent des éléments de thrillers financier. L’intérêt réside de toutes façons dans le duel opposant deux stars dans les rôles d’anciens amis d’enfance se livrant à une lutte à mort : Akira Kobayashi et Hiroki Matsukata.



Kobayashi a pris une stature loin de ses rôles de jeune premier qui en font un parfait oyabun en costard de luxe. Sa silhouette, son visage très graphique semblent avoir été dessinés par Ryôichi Ikegami. Matsutaka, plus massif lui-aussi avec sa gueule de voyou bronzé, buté, est parfait dans les scènes romantiques. La fin, géniale, est sanglante et hystérique et on se demande si Paul Schrader n’a pas fait visionner à De Palma ce genre de films pendant la préparation de Scarface.






14 septembre

Wandering Ginza Butterfly 2: She-Cat Gambler (1972) de Kazuhiko Yamaguchi



Second épisode d’un diptyque mettant en scène Meiko Kaji en joueuse dans le quartier de Ginza. Le premier épisode qui en faisait une joueuse de billard, de part le jeu même, assez rare dans le cinéma japonais, était très intéressant. Meiko de plus était plutôt souriante, ce qui rompait avec son rôles de Sasori. Moins d’originalité ici, puisque le papillon de Ginza devient une joueuse de carte à la recherche du meurtrier de son père et reprend un visage grave annonçant Lady Snowblood. 



Cependant, le film est sympathique à cause de seconds rôles pittoresques et outranciers, ressemblant à des personnages de mangas, et un combat final dynamique et sanglant. Sonny Chiba est aussi très amusant en joueur malchanceux et bègue. On ne comprend pas très bien d’ailleurs pourquoi il se transforme soudain en héros enragé lors du combat final. Bref, une fantaisie pop, légère et rapide qu’on peut voir avant tout comme une belle compilation iconographique de Maiko Kaji. Chaque plan d’elle mériterait qu’on en tire un photogramme. 







A noter dans un club, deux chansons par la star de la enka Aki Yashiro. 




15 septembre

Family Obligations / Kyôdai jingi Kantô inochi shirazu (1967) de Kosaku Yamashita



Le film met en vedette Saburō Kitajima, acteur populaire vif et amusant, dans le rôle du chef d’une petite bande de chinpira se livrant à des arnaques sur le territoire d’un clan.  



Après s’être opposé au jeune fils du clan (notre ami Kyosuke Machida), il va se lier à lui et devenir son kyodai, jusqu’à partir seul affronter la bande rivale après l’assassinat de son oyabun. 

Un excellent ninkyo eiga, burlesque au début puisque les chinpira ont des dégaines de personnages de mangas, et puis finalement tragique… jusqu’à un certain point puisque c’est un des rares ninkyo eiga à bénéficier d’un (relatif) happy-end. 




Il y a une volonté de rajeunir un peu le genre à côté des figures devenue assez inamovibles comme Takakura et Tsuruta. Celui-ci tient par ailleurs un rôle secondaire, celui d’un yakuza dont la compagne (oh surprise !) a été envoyée au bordel pendant son séjour en prison. Il parviendra à l’épouser au seuil de la mort. 




Le territoire du sang versé / Bloody Territories/ Kôiki Bôryoku: Ryuuketsu no Shima 1969 de Yasuharu Hasebe



Tortueuse histoire de spoliation du territoire d’un clan de Shinjuku.  Le film est dominé par Akira Kobayashi qui n’a rien à envier aux stars de la Toei. On ne se lasse de le voir patrouiller dans Kabukichô avec ses hommes et traquer les chinpira.

Le style Nikkatsu, ultra coloré et glamour, est bien sûr totalement différent de celui de la Toei de son classicisme, et de son goût pour les langueurs de la enka. On se doute que les jeunes yakuzas devaient se sentir plus en phase avec Akira Kobayashi, sa classe et sa brutalité de fauve, qu’avec les yeux de velours de Koji Tsuruta. 



Les rituels sont communs aux deux catégories mais Le Territoire du sang versé est davantage un film noir, une plongée dans un monde où chaque frère peut dissimuler un traitre.  Si l’on meure c’est toujours de la main de son frère mais on finit dans la boue comme le dernier des hommes.



16 septembre 

Our Blood Will Not Forgive / Oretachi no chi ga yurusanai (1963) de Seijun Suzuki


Une étape dans la grande entreprise formelle mais aussi de démystification du génial Seijun Suzuki. Le destin de deux frères (Akira Kobayashi et Hideki Takahashi) dont le père, oyabun, a été assassiné. L’un essayera de s’insérer dans la société mais échouera, l’autre deviendra un yakuza. Our Blood Will Not Forgive contient des éléments de « comédie d’entreprise » pop, de haha-mono (film de mère), et de yakuza eiga. 






C’est surtout sa propre grammaire que met en place Suzuki : artificialité totale comme ce trajet en voiture où une projection d'un océan déchaîné figure la pluie, jeu surexpressif des acteurs, montage syncopé, récurrence des même gros plans comme ceux du visage magnifique de Chieko Matsubara. 




On pourrait ajouter, les clubs de jazz, les projections d’images (ici des diapositives), l’alternance de couleur et de noir et blanc en champ contre-champ. 



Suzuki n’hésite pas à interrompre le génial gunfight final où Akira Kobayashi trouve la mort par le monologue de la mère racontant combien il fut courageux. Inclusion vertigineuse du mélodrame haha-mono avec le film de yakuza. Tout est permis. 


18 septembre

One Man Of The Gamblers Code / Kutsukake Tokijiro (1966) de Tai Kato



Tai Kato est décidément le maître du film de yakuza mélodramatique. Je l’avais appelé dans un précédent post : le Douglas Sirk du Ninkyo eiga ; One Man Of The Gamblers Code le vérifie encore. Un yakuza tombe amoureux de la femme de l’homme qu’il a tué sans le connaître, juste pour honorer une dette envers le clan qui l’héberge. Sur ce thème classique, Kato va laisser s’épanouir son lyrisme : plan de neige abstrait de plusieurs secondes pour montrer l’hiver amoureux où est entrer le yakuza, éclats écarlates, magie du tournage en studio et ciels peints fabuleux. 





Des plans fascinants comme ces yakuzas tatoués, échoués sur une plage comme des poissons morts. Un fascinant formaliste proche de Kobayashi et Gosha. 



Le jeu intense de Kinnosuke Nakamura est parfait pour ses explosions de sentiments. Son style de combat au sabre est très proche de celui de son Musashi pour Uchida, auquel il rajoute quelques maniérismes comme s’humecter régulièrement els doigts. La brutalité et la dépense physique de Nakamura, son regard halluciné pourrait le rapprocher de Nakadai. Le final de One Man Of The Gamblers Code le montre essoufflé, condition rare pour un sabreur même dynamique comme Mifune. Peut-être à cause de son visage poupin ressemblant un peu à Elvis Presley, il m’évoque une sorte de rockstar.






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