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mardi 23 février 2016

Kiyoshi Kurosawa, la jeunesse du maître

La récente rétrospective consacrée par la Cinémathèque Française à Kiyoshi Kurosawa ne fut pas seulement l'occasion de revoir Cure, Kairo ou Tokyo Sonata. Ce fut aussi le moyen de découvrir, derrière ces chefs d'oeuvres, une forêt de films inédits, de ses œuvres de jeunesse en super 8 à ses films tournés pour la télé. Et surtout d'en parler, longuement, avec le maître.



L’interview portera sur vos œuvres de jeunesse et vos films méconnus.
C’est excitant mais il y a beaucoup de choses que j’ai oubliées. Certains souvenirs sont même un peu pénibles.

Comment êtes-vous devenu cinéphile ?
Je ne connais pas vraiment la définition de "cinéphile", mais je peux juste dire qu’enfant, j’aimais beaucoup le cinéma. Et vers 10-11 ans, j’ai constaté que mes goûts étaient différents de ceux de mes camarades.

Quel genre de films alliez-vous voir ?
Surtout des films d’horreur anglais ou italiens des années 60. Dans certains cinémas, on pouvait voir un triple programme avec un seul billet. Comme mes amis ne voulaient pas m’accompagner, j’y allais seul. Un peu plus tard, vers 15-16 ans, j’ai commencé à prêter attention au nom des réalisateurs.

On se rend compte que l’on est devenu cinéphile lorsqu’on ne peut plus parler de films qu’avec d’autres cinéphiles.
C’était mon cas. Lycéen, je ressentais une grande solitude en parlant de cinéma avec mes amis. Il m’a fallu beaucoup de temps pour rencontrer d’autres cinéphiles.

Comment s’est fait le passage entre cet amour du cinéma et le désir d'en faire ?
Tout naturellement, presque inconsciemment. Avec un ami, au lycée, nous avons eu envie de réaliser un court métrage en super-8, surtout pour imiter les films américains que nous allions voir. Le tournage était très amusant mais le résultat horrible. Comment, alors que j’avais vu tant de films américains, avais-je pu réaliser quelque chose d'aussi médiocre ? Je pense que c’est ce qui m’a poussé à persévérer.

Vous avez également participé au mouvement du cinéma Super 8.
Oui, au Japon c’était un vrai phénomène. Les premières caméras super-8 sonores ont fait leur apparition à la fin des années 70, et il est alors devenu possible pour les étudiants de réaliser des films à petit budget. Le mouvement est né alors que j’étais moi-même à l’université. A cette époque, le monde du cinéma japonais a connu de profonds bouleversements : les studios ont disparu et la génération du super 8 a commencé à travailler de façon professionnelle. 

Seuls Vertigo College (1980) et The War (1982) sont programmés dans votre rétrospective...
Beaucoup se sont détériorés avec le temps, c'est un problème inhérent au super 8. Mais il y en a aussi que j'ai refusé de montrer.

De quoi ces films parlaient-ils ?
Il n’y avait pas vraiment de thèmes, je les réalisais selon mon désir et ma sensibilité. Mais il est possible d'établir un lien avec mes futurs films d’horreur. Il y a par exemple cette histoire de vampire qui était influencée par les productions anglaises de la Hammer.

Après vos Super 8 vous réalisez des films érotiques.
J’ai eu cette chance en effet. J’ai d’abord réalisé en effet des films érotiques à petits budgets : le porno soft Kandaga Wars (1983) et, pour la Nikkatsu, The Excitement of the Do-re-mi-fa Girl (1985). Même si le format était différent, je travaillais avec la même méthode qu’en Super 8. Godard était pour moi une très forte inspiration, parce qu'il a prouvé qu'on pouvait faire du cinéma avec une totale liberté. Je partage encore cette conception. Malheureusement, la Nikkatsu n’a pas jugé Do-re-mi-fa Girl assez commercial et a refusé de le distribuer. Ce fut mon premier échec.

Dans ces films, vous semblez moins intéressé par l’érotisme que par l’expérimentation.
Réaliser des films érotiques est très difficile. Pour que les images soient vraiment excitantes il faut montrer une situation amoureuse crédible entre un homme et une femme. Il faut un bon scénario, une bonne construction, des acteurs qui jouent bien. Un réalisateur débutant aura moins de mal à réaliser un film d’action, lequel demande surtout un bon découpage, qu’un film érotique correct.

Faire peur demande aussi une vraie précision.
Je suis plus doué pour les situations terrifiantes que pour l’érotisme. Il y avait de l'érotisme dans les films que je voyais adolescent, mais ce sont les scènes de violences ou d’épouvante qui m’ont marqué. L’amour est un sentiment réel mais ambigu, je préfère rendre réaliste le monde fictionnel des fantômes. 

Le film de maison hantée Sweet Home (1989) n'est pas montré non plus...
Son absence est due à des problèmes de droits très compliqués. Aujourd'hui je le trouve très immature, même si je sais que j'ai essayé de faire de mon mieux. Je sortais de l’échec de Do-re-mi-fa Girl et j’avais envie de faire un film à l’américaine. Sweet Home m’a montré que j’en étais incapable.

Avec The Gard from the Underground (1991) on voit se dessiner votre style.
Ça me rassure d’entendre ça parce que, même si Sweet Home reste un bon souvenir, il s’agissait d’un deuxième échec pour moi. J’avais un peu évolué : le sujet relevait du cinéma de genre américain, mais je savais désormais que ce n’était pas mon style. J’ai tenté quelque chose de différent. C’est un peu mon premier film japonais.

Vous avez également réalisé 6 épisodes d’une série policière : Suit Yourself or Shoot Yourself ! (1995-1996) ?
Il s’agit d’une série de V-cinéma tournée en 16mm et distribuée en VHS. Je les considère comme des films même s’ils n’ont jamais été montrés en salles. Le but était de faire des films de yakuza. C’était nouveau pour moi et je n’étais pas sûr d’y arriver. La rencontre avec Sho Aikawa, la star du genre, a été décisive. Il me faisait un peu peur au début et je le prenais même pour un vrai yakuza. Il s'est avéré quelqu’un de très drôle et la série est devenue assez humoristique.

Les films de yakuza et de fantômes ont en commun de représenter un monde gouverné par des forces occultes. Les yakuzas sont peut-être plus terrifiants, parce qu’ils sont réels.
Oui, il y a des liens, et d'une certaine manière j'ai fait la même chose dans les deux genres. Dans les films de yakuzas, les personnages sont prisonniers des valeurs telles que le code d’honneur. Je ne voulais pas faire l’apologie de ce type d’aliénation et montrer des gens privés de liberté. J’aime par exemple la série des Combats sans code d’honneur de Fukasaku, car les personnages tentent de détruire ces normes. Dans les Suit Yourself..., les héros refusent aussi d’être dominés par les yakuzas. Dans mes films de fantômes Kairo ou Séance, les personnages tentent également de fuir des forces qui les poursuivent, même si elles ne viennent pas du monde réel.

A partir de 1996, vous tournez vos films les plus violents : les deux épisodes de The Revenge (1997), Cure (1997) et Le Chemin du serpent (1998).
En 1995 ont eu lieu le tremblement de terre de Kobe et l’affaire de la secte Aum. Plus tard, en 1999, l’ambiance était un peu sinistre : on approchait de la fin du siècle et on parlait beaucoup de l’apocalypse. Je pense pourtant que mon évolution n’a pas grand chose à voir les peurs de l’époque. Il s’agit plutôt d’une réaction à mon propre travail. Quand on voit à la suite les six épisodes de la série Suit Yourself..., on réalise que les cinq premiers sont très drôles, tandis que le dernier est très noir. J’ai ensuite enchaîné avec les deux volets de The Revenge qui sont très violents. Au début, j’étais heureux de travailler dans le V-cinema et ma collaboration avec Sho Aikawa se passait pour le mieux. Mais je n’étais pas satisfait de ma carrière. J’avais la pulsion de tout détruire et c’est probablement pour ça que mon cinéma est devenu plus violent.

Vous revenez également au fantastique avec la série L’Ecole des fantômes (Gakko no kaidan , 1997) .
A l’époque, il y avait une mode des histoires d’horreur et des légendes urbaines situées dans les écoles. Il s’agissait de commandes mais l'intérêt pour moi est qu'il s'agissait de films d’horreur.

L’architecture de l’école semble beaucoup vous inspirer.
Oui, vous avez raison. C’est un espace très intéressant cinématographiquement, d'autant qu'il fonctionne comme une petite société. Avec le seul décor de l’école, on peut développer une vraie narration : un élève a disparu, et en le cherchant les autres découvrent des pièces où personne n’était jamais entré. Le décor devient une sorte de labyrinthe.

Dans Door 3 (1996), qui est un peu votre Body Snatchers, les personnages humains se conduisent comme des parasites avant même d’être possédés par des extraterrestres.
Le film a été écrit par Chiaki J. Konaka, qui est un spécialiste du cinéma d’horreur. Il est vrai que l’agent d’assurance agit comme un parasite. Mais pour ma part, j’ai essayé justement de la rendre un peu plus humaine car je trouvais ce traitement un peu excessif.


Stéphane du Mesnildot
Propos recueillis le mercredi 14 mars
Traduction Shoko Takahashi
Remerciements à Elodie Dufour
Paru dans Chronicart 77 (juin 2012) sous le titre "Les (films) fantômes de Kiyoshi Kurosawa".


lundi 22 février 2016

Notes sur Kiyoshi Kurosawa et ses fantômes


Du 14 mars au 19 avril 2012, une rétrospective Kiyoshi Kurosawa s’est tenue à la Cinéma française. Entre les projections, la master-class et les conférences, j’avais pris ces notes que je rassemble ici.

 1. « Quelque chose qui ne va pas »
Leçon de cinéma de Kiyoshi Kurosawa (extraits) Cinémathèque française le 15 mars 2012

Jean-François Rauger : Ce qui est remarquable, dans cet extrait de Door 3, c’est ce plan où l’agent d’assurance est assise. Il y a une demi-silhouette de femme derrière une colonne, dans le côté droit du plan. Ce fantôme on peut le voir mais on peut aussi ne pas le voir. On devine que quelque chose ne va pas. C’est un peu ce qui se passe dans les films de Kiyoshi Kurosawa : il y a quelque chose qui ne va pas et on ne sait pas forcément quoi. Là c’est le bourdonnement de la bande-son et la silhouette fantomatique qui sont inquiétants. La figure de l’immobilité chez lui est inquiétante, on n’est ni dans le mouvement ni dans l’excès ; c’est l’immobilité qui est inquiétante.

Kiyoshi Kurosawa : Oui, le personnage est donc derrière cette colonne. C’est un film à très petit budget qui se rapproche du V-Cinema et qui était destiné à être vu sur un écran de télévision à la maison. En le voyant projeté en si grand, je me rends compte que le fantôme derrière la colonne est très visible. Si j’avais su que ça passerait un jour sur grand écran je l’aurai positionné différemment. Je ne m’en souviens pas de la raison pour laquelle j’ai mis un fantôme dans cette scène. Du point de vue de la narration, il me semble que ça n’avait aucune importance. Mais j’avais envie, et ça c’est une certitude, que le spectateur soit perturbé par cette présence. Je voulais semer le trouble dans l’esprit du spectateur. La scène en elle-même n’est pas effrayante, mais la présence permet de maintenir l’angoisse du spectateur.
Pour ce qui est du positionnement du fantôme, normalement ça ne devrait pas être aussi apparent mais j’ai fait attention au relief. Je voulais qu’il ait l’air d’être en 2D plutôt qu’en 3D. Il pourrait n’être qu’une ombre ou qu’une trace comme dans Kairo où il est cette tâche contre un mur. Un film est projeté en 2D, il n’y a pas de profondeur mais ce qui est décrit dans l’image est en 3D (je ne parle pas de la technique du cinéma en relief). L’idée est que cette platitude, ce manque de relief du fantôme peut apparaître différemment selon l’angle de la caméra. Du coup, on peut filmer de face et avoir l’impression que c’est très plat. Alors, il suffit de déplacer un petit peu la caméra pour apporter de la profondeur a ce qui semblait en 2D. Du coup, les choses reprennent corps. L’idée est de brouiller la perception que peut avoir le spectateur du relief ou du plat. Le fait que la caméra se déplace permet de voir que c’était bien quelque chose en 3D et non une ombre ou une tache. Dans les 3 extraits (Door 3, Kairo et Loft), les 3 fantômes sont interprétés par de véritables acteurs mais dans certains films, j’ai brouillé les pistes en collant des photos des acteurs. Cela donne une véritable impression de platitude. Le rendu et très étrange et l’on se demande si ce que l’on voit n’est pas factice. Cela participe du jeu entre le vrai et le faux au cinéma. Ce problème de la profondeur et du relief permet de perturber la perception que l’on a du monde et de ce qui se passe à l’intérieur de l’image.

JFR : Dans vos films, on pense souvent que quelqu’un regarde mais la caméra est tellement fixe, le cadre est tellement tiré au cordeau qu’on a l’impression que l’observateur n’est pas humain; d’où l’inquiétude que l’on ressent. C’est-à-dire que le spectateur lui-même est peut-être un fantôme.
KK: Oui, le fait que la caméra soit immobile nous fait très vite comprendre que celui qui regarde n’appartient pas au monde qui est dans l’image. Du coup, c’est peut-être un fantôme, c’est peut-être le spectateur, on ne sait pas vraiment. Les personnages qui sont à l’intérieur de l’image ne se rendent pas compte qu’on les observe. Alors que nous on sait qu’ils sont observés. Je suis allé voir l’expo de la Cinémathèque et il y a les tous premiers films de Louis Lumière qui sont présentés. Dans La Sortie de l’usine Lumière, les travailleurs ne savent pas qu’ils sont filmés et pourtant nous les regardons. Je crois que dans les tous premiers films qui ont marqué l’histoire du cinéma, il y avait aussi ce regard-là.

JFR : Il y a dans vos films un goût pour la catastrophe. On a souvent l’impression que les récits vont vers la fin du monde. Kairo et Charisma se terminent littéralement par la fin du monde. Pourquoi cette hantise de la catastrophe ?
KK : La première raison c’est que la plupart des films où le thème est abordé ont été tournés à la fin du XXe siècle. A l’époque l’apocalypse et tout ce qui entoure cette mythologie était dans l’air du temps. L’idée était peut-être de mettre un terme à la culture du XXe siècle à l’intérieur de la fiction. Mais il y a une autre raison. Je veux amener mes personnages à la lisière de la mort, les pousser au bout de leurs limites. A l’extrême de cette réflexion, j’en arrivé à l’idée de mettre un terme au monde. Mais mes personnages, même arrivé à ce point-là, poussés dans leurs derniers retranchements, trouvent encore le courage, l’énergie et la force de vie qui leur permettent de se relever malgré tout.

2. Rétribution (Sakebi, 2006)

« La voix dans ses rêves est la voix de la vérité. » dit le psychiatre de Rétribution, à propos d’un agent de la circulation qui toutes les nuits rêve de la victime d’un accident. On peut traduire cela par une autre sentence : les fantômes sont l’expression de la vérité.
Le fantôme est la vérité de notre âme et de nos actes, que l’on se refuse à regarder en face. Il est là, toujours tapi dans les recoins obscurs de notre conscience.
Et il nous observe.
Et son œil jamais ne cille.

3. La femme en rouge
Riona Hazuki a joué dans quelques films (dont Parasite Eve de Masayuki Ochiai), dramas et téléfilms. Elle a posé également pour des photos de mode et des clichés gentiment érotiques. Mais pour nous, elle est d’abord la femme en rouge de Rétribution, ce fantôme tiré à quatre épingles, impeccablement maquillé et coiffé. Riona Hazuki est donc une actrice « sans qualité », un visage que l’on connait sans le reconnaître, une beauté un peu fixe et glacée. Elle s’inscrit dans la continuité de la femme en noir qui se désarticule dans le sous-sol de Kairo, elle-aussi au visage impassible et aux yeux fascinants.

Les femmes fantômes de Kiyoshi Kurosawa ne sont pas des actrices mais des modèles, uniformes et réguliers, au sens que leur donnait Robert Bresson : « Il ne faut jouer ni un autre, ni soi-même. Il ne faut jouer personne. »

4. Téléfilms.
Les quatre téléfilms de Kiyoshi Kurosawa présentés dans le programme 1 sont indispensables, sans pour autant compter parmi le meilleur du maître.

1. Le premier est un épisode de la série 15 ans l’âge des passions (1992), une romance entre collégiens. L’intérêt principal est la professeur d’anglais qui donne des cours particuliers au jeune héros. Entre eux plane une diffuse mais bien présence attraction sexuelle, renforcée par le tailleur rouge du professeur. Fantôme ou séductrice la femme trouble et troublante chez Kurosawa est donc toujours vêtue de rouge.

2. Le même décor de collège et une partie du casting se retrouve dans Hanako-san (1994), un épisode de la série Gakko no kaidan (les fantômes de l’école). Hanako, à l’inverse de la légende urbaine la concernant, n’est pas ici une petite fille hantant les toilettes des filles. C’est un spectre adulte qui rôde plutôt dans les toilettes des garçons. Elle conserve cependant le vêtement rouge de son modèle. Est-ce une version spectrale de la professeur prête à séduire et dévorer son élève ? Si Hanako-chan, dans sa version originale (une fillette à la robe rouge sang apparaissant dans les toilettes des filles et les faisant tomber en syncope), peut se lire comme l’allégorie de la puberté féminine, ici le fantôme peine à représenter quoi que ce soit. Dans la figuration d’un collège hanté, Kurosawa fera beaucoup mieux avec Conte mystérieux d’une fermeture d’école, autre épisode des Gakko no kaidan présenté dans le programme 2.
Ajout 2016.  Voici ce que j’en écrivais dans mon livre Fantômes du cinéma japonais :
Le décor est un collège, fermé pendant les vacances mais dans lequel les adolescents viennent effectuer de menus travaux, ce qui est une pratique courante au Japon. Kurosawa vide le film de toute tension dramatique ou suspense. Malgré les événements énigmatiques qui s’y déroulent, il ne s’agit que d’une journée comme les autres dans une école hantée. Le petit garçon qui erre dans les couloirs, pendant ces vacances qui n’en sont pas tout à fait, n’épouse aucun emploi du temps particuliers. Au fil de ses déambulations, il découvre un garçonnet hantant la piscine sur le toit de l’établissement et une femme voûtée qui terrorise un appariteur sadique. Cet état somnambulique, qui lui permet de voir les spectres, le prépare en devenir un lui-même. Le film s’ouvre sur une apparition inattendue et absurde : un bloc de glace dévale les escaliers sous les yeux de l’écolier. Cet événement étrange trouve un sens à la fin du film : alors que l’on s’attend à voir apparaître le jeune héros en haut d’un escalier, c’est un nouveau bloc de glace qui s’écrase aux pieds d’une adolescente. Ce bloc de glace emprisonne-t-il l’âme de l’enfant ? Est-il la représentation du froid mortel qui définirait le spectre à l’inverse de la chaleur des vivants ? Toujours est-il qu’il possède un statut  maléfique : le voir signifie que l’on va soi-même devenir fantôme. Sans doute est-ce le destin qui attend la fillette.


3. "Qui est cette fille ?" (1994), l’autre téléfilm de fantôme davantage réussi. Il s’agit de la classique histoire de la nouvelle élève, n’arrivant pas à s’intégrer dans sa classe, hantée par une collégienne fantôme. Kurosawa est cette fois bien plus à l’aise avec l’architecture du collège. On note un beau plan, inquiétant, du haut d’un escalier où elle entraperçoit d’autres élèves en train de fumer. Par le cadrage, qui coupe les têtes, et ne laisse voir que les mains, Kurosawa introduit un sentiment de menace (expression de la paranoïa de l’héroïne), alors qu’il ne s’agit en définitive que de sympathiques garnements. 

4. Le téléfilm le plus réussi est "Un écolier sans code d’honneur" (1993), de la série Watanabe, étrange mélange entre My favourite Martian et une chronique familiale à la Ozu. Ici ce n’est sans doute pas Watanabe, l’extraterrestre (d’ailleurs très discret malgré son accoutrement) qui intéresse Kurosawa. L’épisode se concentre sur les tentatives d’un père de famille, employé de bureau effacé, pour reconquérir l’affection de son fils, un collégien stressé par ses examens (et surtout sa mère). La soumission du père à son entreprise, le conflit avec son fils qui le méprise, rappelle Ozu mais anticipe surtout Tokyo Sonata.

5. Notes sur 3 films


Cure
Mamiya, l’hypnotiseur amnésique de Cure est surtout diabolique par son mélange de mollesse et d’opiniâtreté. On connait très bien ce genre d’individu qui pose une foule de questions sans jamais écouter les réponses. Mamiya assoit son pouvoir sur les bases du caractère japonais : la politesse, la serviabilité et la gentillesse. Personne ne renvoie le jeune égaré, tous tentent de lui venir en aide en prenant sur son propre temps, sa propre vie. Et finalement, dans la néantisation qu’il impose à son interlocuteur, Mamiya peut s’insinuer dans son esprit et y planter le germe du meurtre. Cette politesse, qui est à la base du «vivre ensemble» japonais trouve son négatif dans le «désir de la mort des proches», pour reprendre le concept primordial travaillé par Jean-François Rauger et Diane Arnaud au cours de leurs interventions (on ne pourra plus désormais en faire l’économie lorsqu’on abordera l’œuvre de Kurosawa). Je pensais alors à Meet me in St-Louis (1944) de Minnelli. Le plaisir de la petite communauté, de la famille et des relations de voisinage, trouve son négatif dans la crise de nerfs de la petite Tootie représentant sa famille sous la forme de bonshommes de neige et les détruisant avec fureur.

Rétribution
De quoi les passagers du Ferry sont-ils coupables ? D’être passés devant un sanatorium en ruine où était torturée une jeune femme (le spectre qui désormais les hante) ? Mais en fait, aucun des passagers ne pouvaient réellement voir ni savoir ce qui se passait dans le bâtiment noir. «La cause s’est perdu et il ne reste que les effets», disait Diane Arnaud pendant sa conférence. C’est ce qui se passe ici, il me semble. La cause de la hantise est donc doublement lointaine : dans le temps (on ne sait pas réellement quand la jeune femme est morte) et dans l’espace (l’éloignement du sanatorium empêche les personnages d’être réellement témoins). Le double du bâtiment est la chambre de l’inspecteur, dont la porte est ouverte mais où il ne pénètre jamais pour ne pas être confronté au cadavre de sa fiancée. Pour l’inspecteur, c’est une femme qui a été torturée et abandonnée dans le sanatorium, mais qu’en est-il des autres passagers du Ferry, cette communauté négative dont on ne voit que des silhouettes noires ? Quelle est leur hantise ? De quels crimes peuplent-ils l’immeuble en ruine ?

Doppelganger
Situation inédite d’un spectre - mais un «fantôme de vivant», donc concret, matériel - assassinant un autre spectre, celui du frère de la jeune femme.

Un monde désert
Devant les films de Kiyoshi Kurosawa, on voit un pays désertifié, même lorsque (comme dans Cure et Doppelganger) l’Apocalypse n’a pas (encore) eu lieu. On retrouve cette dimension dans ces téléfilms, même dans une version nippone de Premiers baisers (15 ans, l’âge des passions). Cela m’a rappelé les feuilletons japonais de mon enfance, les X-or et Spectreman se déroulant dans un univers de carrières et de friches industrielles très éloignées du Tokyo surpeuplé que l’on imagine. Posant la question à Noboru Iguchi cet hiver à Tokyo, à propos de son remake de la série Karate-Robo Zaborgar, il me donna la plus simple des explications. Ces séries, par manque d’argent, étaient le plus souvent tournées à proximité des studios. Ceux-ci vus les prix élevés des bâtiments à Tokyo étaient situées en banlieue dans des endroits paisibles et pas trop peuplés. De ces contraintes économiques (ce qui est une des règles fondamentales de la série B) est née cette étrange atmosphère de fin du monde, où l’humanité est presque introuvable.

6. Koji Yakusho par Diane Arnaud

«Il campe la plupart du temps des inspecteurs au bout du rouleau, mal coiffés et bouffis, l’air à la fois sonné et inquiet, l’allure défaite et élégante, qui se situent quelque part entre Blade Runner et Columbo. Ils sont placés en marge du système de manière à être mieux frappés par des frayeurs aussi inavouables qu’obsédantes. Ses personnages semblent survivre en fait à l’oubli d’avoir tué leurs femmes ou au déni de vouloir la tuer.
Les crimes en série cachent un meurtre originaire lié à une peur archaïque : la menace ancestrale pour l’homme effrayé que la femme effroyable lui fasse vivre un enfer au quotidien.»
Conférence de Diane Aranud : "Kiyoshi Kurosawa, un cinéma de la survie et de l'oubli". Lundi 19 mars 2012

7. période rose

* Kandagawa Wars (1983), c’est un peu "Céline et Julie s’envoient en l’air". Akiko et Masami, jeunes filles perdues dans les grands ensembles de la banlieue de Tokyo, cherchent l’aventure. Epiant leurs voisins à la longue vue, elles surprennent un inceste entre une mère et son fils.


* Il reste une influence de Wakamatsu et des Secrets derrière les murs mais sur un mode plus burlesque que cauchemardesque.
* D’ailleurs, tous les personnages masculins, maigres à lunettes, ressemblent au lycéen fou de Va, Va deux fois vierge.
* La mère et le fils sont de curieux cinéphiles qui tapissent de titres de films les murs de leur appartement.


* Akiko, du début à la fin du film, est vêtue d’une robe rouge, forcément rouge.
* Parfois, les personnages gardent leur culotte pendant les scènes d’amour. L’érotisme pink n’intéresse pas beaucoup Kiyoshi Kurosawa alors que ses femmes fantômes peuvent être très attirantes.
* Volonté de Kurosawa de démystifier le cinéma érotique ? On aperçoit clairement à la fin du film les adhésifs que les acteurs fixent sur leurs parties génitales pour éviter tout frottement inopiné.


* Le flou final sur le pubis d’Akiko dissimule ainsi ce que l’on ne verrait de toute façon pas. Il ne dissimule pas le réel mais l’artifice. 
* Si Kiyoshi Kurosawa prend à la légère les scènes érotiques, il traite en revanche avec sérieux la figure de la mère incestueuse qui terrorise son fils et le considère comme sa propriété sexuelle. L’origine mauvaise, cannibale, dévore le futur de ses enfants.



vendredi 22 janvier 2016

Fukushima et les spectres de la zone interdite

La rumeur s'est alors répandue qu'il y aurait dans la Zone un endroit où tous vos vœux se réalisent.
Andreï Tarkovski, Stalker (1979)




Le 11 mars 2011, le tremblement de terre puis le tsunami qui frappèrent le nord du Japon provoquèrent d’abord un affolement du visible. Qu’il s’agisse des images, presque en temps réel, de la vague s’abattant sur les côtes ou des villes instantanément réduites en miettes, elles relevaient d’une terreur dépassant la raison. Impossible ces maisons brisées comme des allumettes, ces avions échoués sur les parkings, ces voitures flottant dans la mer, ce chalutier projeté au cœur de la ville. Certaines informations allaient mêmes au-delà de la représentation : quinze milles habitants d’un village portés disparus ; on pouvait se répéter ces mots et tenter de leur trouver un sens, mais on n’y parvenait pas.
Telles les « répliques » qui secouaient encore Tokyo des semaines après le séisme, la catastrophe continuait de produire des événements insensés et des images de terreur.
Le 24 mars 2012, les Américains coulaient un chalutier japonais fantôme qui dérivait sans personne à bord depuis plus d’un an. On n’était pas non plus étonné d’apprendre que les survivants étaient frappés d’états oniroïdes, d’hallucinations. Ils voyaient apparaitre des fantômes dans les villages détruits. Ils voyaient cent spectres courir sur l’eau pour échapper à la vague.
La seconde catastrophe, l’accident de la centrale de Fukushima, releva au contraire de l’invisible. Le réel restait le même – en apparence – mais secrètement infecté. Le 25 mars, pour circonscrire la radioactivé, on dessina autour de la centrale un périmètre de trente kilomètres dont la population fut évacuée. Cette frontière était bien sûr arbitraire puisque la radioactivité s’étendait bien au-delà. Elle créa même une inégalité cruelle parmi les survivants. Les habitants vivant au-delà des trente kilomètres n’étaient pas moins touchés, et leur production agricole tout autant sinistré ; rien ne fut fait pour les reloger ou les indemniser. Ainsi, la zone interdite, qui s’étend sur vingt kilomètres, et où nul civil ne peut circuler, servit d’abord d’écran aux approximations (pour ne pas dire aux mensonges) de TEPCO et à son incapacité à gérer la crise. Devant la menace de fusion du réacteur n°4, la zone devînt peu à peu un territoire opaque, gouverné par les intérêts nucléaires mondiaux, bien plus que par TEPCO ou par le Japon. 




Si les médias, en grand partie par leur silence, devinrent le canal du mensonge, des vidéos firent leur apparition sur des réseaux tels que Youtube. Ces artefacts audiovisuels, ne relevant ni de la fiction ni du documentaire, et s’inscrivant dans la geste situationniste, pourraient être définis comme des films d’infiltration et d’occupation d’espaces sous contrôle.
Ainsi, quelques mois à peine après la catastrophe, deux étonnantes vidéos se mirent à circuler : Inside report from Fukushima nuclear reactor evacuation zone, qui se présente comme un voyage dans la zone interdite jusqu’à la centrale ; et Fukushima worker pointing and making signals to camera, qui met en scène une figure appartenant désormais à la mythologie de Fukushima : « L’homme qui pointe du doigt ».
Inside report fut mis en ligne le 6 avril 2011 par le média internet japonais Videonews. Fukushima Worker apparu sur Youtube le 28 août 2011. Elle est issue d’un enregistrement de la  fuku1live TEPCO webcam (ici), destinée à retransmettre en direct sur Internet les images officielles de la centrale. On notera évidemment la littéralité des titres, se présentant comme des « rapports » ou des documents scientifiques. Nous n'avons bien sûr pas les moyens de juger de la validité de ces deux vidéos. Ce qui nous intéresse est la façon dont leurs auteurs s'emparent d'une réalité falsifiée, avec les moyens mêmes de son contrôle : pour la première, un compteur Geiger, pour la seconde, la webcam officielle de la centrale.
 La majeure partie de Inside report est filmée depuis la voiture du journaliste Tetsuo Jimbo : sur le tableau de bord, deux compteurs Geiger indiquent le taux de radioactivité. 



Pour commencer le voyage, le journaliste emprunte un tunnel, dont il connait sans doute la valeur symbolique d’échange entre les mondes. Sur la route de campagne, se succèdent les villages, les champs et les forêts. C’est une belle après-midi de printemps, au ciel pur, sans l’ombre d’un nuage. L’angoisse est tout entière contenue dans les pulsations du compteur qui s’emballe à l’approche de la centrale. Ces pulsations, comme le sonar d’une chauve-souris, ne relèvent pas seulement le taux de radioactivité, mais dessinent également un paysage négatif, contaminé. Elles mesurent ce qui a été effacé de l’image : la présence humaine. Tetsuo Jimbo est un homme sans visage, à peine l’apercevons-nous dans le rétroviseur dissimulé sous un masque anti-bactérie : un être sans identité qui n’est déjà plus qu’un reflet. Inside report devient alors un grand film de terreur moderne, celle que l’on retrouve chez Aoyama et Kiyoshi Kurosawa. La catastrophe, si elle débute par un événement spectaculaire, relève en fait du remplacement graduel, presque invisible d’un monde par un autre, où l’homme n’aurait plus sa place.

Ce monde où l’humanité apparaît en voie d’extinction est abandonné aux bêtes, comme dernière manifestation – temporaire – du vivant. Une bande de chiens errants, un troupeau de vaches dans un village et un autre chien, un bouledogue qui vient joyeusement à la rencontre du journaliste. Ces animaux irradiés vont mourir d’un mal créé par l’homme, mais ils l’ignorent. Ces troupeaux et ces meutes inscrivent la frontière réelle entre l’homme et sa disparition. Face à eux, il n’est déjà plus qu’une ombre, celle que le journaliste projette sur la route. Elle rappelle les silhouettes noires, laissées par les habitants d’Hiroshima sur les murs des maisons comme dernière trace de leur présence. À l’approche de la centrale, le paysage, qui jusqu’alors gardait malgré tout sa cohésion, commence à se déstructurer : les routes sont fracturées, les maisons effondrées, les champs jonchés d’épaves de voitures. Tetsuo Jimbo sort de la voiture et escalade une bute. Il tient le compteur devant la caméra : 94.2µsv/h... 98µ... 112µ ... un zoom cadre alors la centrale. Nous sommes parvenus au bout du monde. En douze minutes, Inside report nous a raconté la fin de l’humanité et l’avancée jusqu’au cœur brûlant du mal. On ne saurait imaginer plus mythologique.
À l’ombre noire de Inside report succède le spectre blanc de Fukushima Worker reprenant le geste classique de l’accusateur. S’il y a un montage dans Inside report, Fukushima Worker est en revanche un plan-séquence sans coupe de vingt minutes. 


Sur certaines vidéos circulant sur Youtube, les internautes ont procédé à des accélérations ou à des zooms cadrant l’homme à la taille, mais l’original est un plan fixe. L’homme se place d’abord à une dizaine de mètres de la caméra, tend le bras vers sa droite et, décrivant un arc de cercle, pointe le doigt devant lui. Au bout de dix-huit minutes et cinquante secondes, il sort du champ et réapparaît en gros plan devant la caméra, le doigt toujours pointé. Cette vidéo créa un événement car il s’agissait des premières images non maîtrisées par TEPCO, filmées depuis l’intérieur de la centrale. Elle fut à l’origine de bien des spéculations : l’homme était-il un activiste parvenu à s’introduire sur le site ? Un artiste contemporain réalisant une performance ? D’autres théories, d’inspiration plus fantastique, n’étaient pas moins intéressantes : l’homme en scaphandre aurait été une créature de l’au-delà ou un voyageur du futur. Un spectre, le Fukushima worker l’était assurément, dans sa combinaison blanche comme un suaire. Il rappelait une figure de la vidéo maudite de Ring d’Hideo Nakata (1997) : un homme à la tête couverte d’un tissu blanc, au doigt tendu, désignant un peuple de damnés rampant sur une roche volcanique probablement irradiée. Le Fukushima worker, par sa position de sentinelle adressant un énigmatique message, évoquait aussi le maître des fantômes de Kairo de Kiyoshi Kurosawa (2000) nébuleuse noire à forme humaine qui signifie aux derniers survivants que ce monde n’est plus le leur.  L’hypothèse d’un voyageur temporel, venu d’un monde détruit livrer un message énigmatique, évoquait évidemment La Jetée de Chris Marker.
Le 8 septembre 2011, l’homme révéla la vérité sur son blog (ici). Il était en fait un ouvrier de TEPCO. Sa vidéo n’accusait pas – selon lui – la politique nucléaire japonaise, ni d’ailleurs directement TEPCO, mais mettait en cause les conditions de travail des ouvriers de la centrale. Il révélait la loi du silence régnant à Fukushima. « Certains jours, je ne peux pas dormir convenablement pendant la journée bien que j’ai travaillé très tard dans la nuit, car les horaires des ouvriers de notre dortoir sont différents. Il y a une règle qui veut que les travailleurs doivent déclarer leurs conditions de santé par des formulaires. J’écrivais : quatre heures de sommeil, mais je m’apercevais que les contremaîtres avaient marqué : six, lorsque j’avais le dos tourné.” L’homme dévoile ainsi un lumpenprolétariat de l’ère nucléaire : des hommes en combinaison, ses doubles, comme lui dénués de visage, hantent des intérieurs bâchés, des vestiaires et des rangées de casiers.



Le blog, outre de présenter un tracé du parcours du Fukushima Worker, éclaircit une énigme : quel objet tient-il à la main pendant son action ? On a cru qu’il s’agissait d’une caméra et qu’il filmait à son tour le site. Il s’agissait en réalité d’un téléphone portable branché sur la fuku1live TEPCO webcam. Ainsi qu’il le revendique, ce n’est pas seulement TEPCO ou les spectateurs de la vidéo qu’il désigne, mais lui-même. 


L’homme crée une boucle d’image et observe en temps réel le personnage qu’il enverra hanter les réseaux internet. L’idée d’un artiste contemporain activiste n’est alors pas si fantaisiste. Le Fukushima worker admet s’être inspiré de Centers, une performance vidéo de Vito Acconci datant de 1969, dont la scénographie et la durée sont analogues. 



Il considère son action comme le remake de Centers à l’âge d’Internet et du désastre nucléaire. Il apparaît donc certain qu’il voulut aussi détourner la fonction de ces caméras allumées en permanence mais ne diffusant en définitive aucune information.
L’homme de Fukushima n’est pas un voyageur du temps, pourtant son film nous glace comme s’il s’agissait déjà d’une vidéo fossile : un témoignage, projeté dans le futur de l’humanité, sur sa propre disparition.

Publié dans Vertigo n°43. Fin de mondes. Eté 2012.