dimanche 2 juillet 2023

Maléfices de l'été japonais

 


En été pendant O-bon, la fête des morts, on invite les esprits des ancêtres dans les maisons pour apaiser leur tristesse, et parfois leur colère, de ne plus être vivants. C’est aussi la saison des films d’épouvante où Sadako revient hanter les rêves des adolescents. Pendant cette Toussaint caniculaire, cet Halloween suffoquant et gorgé d’humidité, le Japon semble « hiberner » prenant à rebours nos usages occidentaux. L’hibernation estivale possède aussi un son particulier, hypnotisant qui a lui-seul provoque la somnolence : le chant des cigales, grésillement qui ne connait aucun répit et permet à coup sûr de deviner si un film se déroule en été. On retrouve sur le sol leurs enveloppes transparentes qui se brisent entre nos doigts. Chez Takeshi Kitano même les yakuzas, d’ordinaire plein d’une vigueur maléfique, sont « ensuqués », plongent dans le spleen et désertent leurs territoires. Seuls les amants des films pinks comme ceux de La Femme aux cheveux rouges (1979) de Tatsumi Kumashiro, bien que liquéfiés, semblent redoubler d’ardeur, se nourrissant de leur propre sueur comme des vampires. Mais ils sont aussi l’exutoire d’un public de salarymen en costards, qui au prix d’on ne sait quelle discipline restent secs en toutes circonstances. 

Au Japon pendant cette saison, on dort partout, dans le métro, les parcs ou les cafés, transgressant la règle que le sommeil serait un moment privé. La plus étrange des créatures de l’été japonais est aussi la plus familière : l’adolescente qui entretient avec la saison un rapport intime. Les lycéennes immobiles comme des plantes vertes, semblent dormir debout et attendre surtout que leur jeunesse passe. Pourtant leurs rêves, comme ceux des passagers endormis des trains dans Sans soleil (1982) de Chris Marker, tourné en été, sont remplis de fantômes effrayants et de fantasmes déchaînés. Et comme lorsque la bulle de chaleur éclate et que tombe une pluie libératrice, ces yurei et bakemono, sont soudain libérés. 

Dans Typhoon Club (1985), Shinji Somaï regarde l’adolescence comme une série de phénomènes climatiques. Pour la bande de lycéens bloqués dans leur école par un ouragan, c’est d’abord une poussée de chaleur, étouffante et sensuelle, qui exacerbe des pulsions troubles et parfois violentes, et une libération lorsque l’orage éclate. Les lycéens se regroupent dans la cour de l’école, au cœur même de l’œil du cyclone et, lorsque le déluge s’abat sur eux, ils se déshabillent et exécutent une chorégraphie sauvage. Si les garçons sont encore un peu gauches et se roulent dans la boue, les filles, victorieuses, renvoient à ces chamanes et prêtresses shinto dialoguant avec les éléments. 

Sans doute est-ce la raison pour laquelle les récits initiatiques associent toujours la féminité aux éléments naturels, alors que les garçons s’inscrivent dans une autre histoire plus tourmentée et suicidaire. La pluie ne fait pas qu’apaiser des désirs en surchauffe, ou annuler le contrôle de la jeunesse par l’école et l’uniforme, elle replonge le Japon dans ses racines sacrées. Bien différent de son équivalent américain, plutôt masculin et relatant l’expérience matérielle du monde, ces récits de coming of age japonais décrivent un voyage intérieur à la rencontre d’un moi magique.