samedi 21 janvier 2023

Junji Ito dans l’antre du délire

 


Vous souvenez-vous de vos frayeurs d’enfance, lorsque la maison familiale, plongée dans le silence et l’obscurité devenait menaçante ? Ce territoire d’ombres, Junji Itô s’en est fait l’explorateur en dévoilant la peur dissimulée sous les tatamis.



Le festival d’Angoulême m’a confié le commissariat de l’exposition Junji Itô dans l’antre du délire. Dans les années 2000, j’étais un fanatique des recueils édités par Tonkam avec leurs sublimes couvertures gravées ou réfléchissantes. Junji Itô était le pendant des films de la J-horror et je reconnaissais ses créatures cauchemardesques dans la terrifiante Madame Saeki de  la série Ju-on, descendant les escaliers comme une araignée. Rémina, Spirale, La Femme limace et les fruits sanglants sont toujours chez moi à portée de main. La réédition des chefs-d’œuvre d’Ito chez Mangetsu, a donc été un évènement, faisant en France sortir le mangaka du culte confidentiel pour lui donner la place qui lui revient : un des plus authentiques « Masters of Horror » contemporain, égal d’un Stephen King ou d’un John Carpenter.



Né en 1963, Junji Ito prend la suite de ses aînés Shigeru Mizuki (Kitaro le repoussant) et Kazuo Umezz (La Femme serpent). Le premier métier de Junji Ito est prothésiste dentaire, ce qui peut se percevoir dans les dentitions parfois carnassières de ses personnages. Il se fait connaître à la fin des années 1980, en publiant dans Gekkan Halloween, des histoires courtes mettant en scène des jeunes japonais et leur cadre quotidien : lycée, quartier, maison familiale. Ses thèmes de prédilection sont le culte de la beauté, le harcèlement, la solitude, les névroses, l’aliénation familiale. Rarement issu du folklore, l’horreur chez Junji Ito est d’abord sociale. Il peuple de monstres le Japon de la bulle économique, cette illusoire période de prospérité. Le Japon des années 80  connut une épidémie de légendes urbaines telle la « femme défigurée » agressant les enfants à la sortie des classes. Cette rumeur est née dans la préfecture de Gifu, région d’origine de Junji Itô. Ce phénomène de société a inspiré le mangaka pour ancrer l’horreur dans le quotidien.



On peut considérer ces rumeurs comme la version modernes des « kaidan » (récits surnaturels) de l’ère Edo : des histoires de fantômes, de chats diaboliques ou de meurtres colportés par les marchands. Les récits de Junji Ito sont elle-aussi des « histoires du coin de la rue », qui naissent entre l’école et la maison familiale, chuchotées par des groupes d’adolescents. Ainsi celle de « L’oracle à la croisée des chemins » dans L’Amour et la Mort : dans la ville de Nazumi, un ténébreux jeune homme apparait les jours de brouillard et prédit les pires catastrophes aux adolescents qui le consultent.



Dans ses récits fantastiques, les jeunes lectrices et lecteurs retrouvaient leurs angoisses liées au harcèlement, à la pression scolaire ou à l’étouffement familial. Chez Junji Itô, la famille fait tout pour retenir en son sein les enfants jusqu’à posséder leur esprit et modifier leur organisme. Ces peaux craquelées, tatouées, pustuleuses ou trouées, ces sourires cruels, ces dents proéminentes et acérées, sont le fruit d’un travail expressionniste du noir et blanc. Tel un scalpel, la plume de Junji Itô déchire la surface du réel pour révéler des monstres. La terreur est tapie dans l’embrasure des portes, au fond des couloirs, dans les profondeurs des caves et saute en gros plan au visage du lecteur. 



Pour mettre en scène ses huis-clos, le mangaka use d’un art implacable du découpage. Par goût, Junji Itô se détourne des architectures monumentales des métropoles japonaises préférant les bourgades et quartiers résidentiels. A l’orée de ces petites communautés se trouvent des cimetières, temples ou lacs, où se pratiquent encore des rituels ancestraux.



Junji Itô est un maître du mystère qui a popularisé la « folk horror » japonaise inspirée de ses traditions rurales. Les habitants des champs et des montagnes conservent jalousement leurs secrets et mieux vaut ne pas s’égarer sur les routes secondaires du Japon sous peine d’être transformé en épouvantail, séduit par une femme-oiseau, ou voir surgir d’un puits un monstre de pierre. 



Les villes et les campagnes sont le théâtre des légendes urbaines et folkloriques. Les monstres attendent les adolescents dans les rues de ville nocturnes ou baignées dans le brouillard. Les cimetières, les temples et les villages, abritent des démons ancestraux. Les spirales envahissent le décor, les plantes prolifèrent de façon autant végétale qu’organique, les corps et les visages bourgeonnent de façon incontrôlable, et les espèces mutent. La société se dérègle et l’horreur devient cosmique.  



Au découpage strict des planches et aux décors réalistes succèdent des dessins immersifs fourmillants de détails. Une plante bourgeonne sur le cou d’une jeune fille, et comme un vampire la vide de son sang. L’excroissance devient une forêt d’arbres fruitiers qui emplit toute une pièce. A partir d’un élément insolite, l’horreur prolifère jusqu’à envahir totalement la case. Les mangas de Juni Itô peuvent nous faire perdre la tête… où au moins la faire gonfler et s’envoler tel un ballon d’hélium.



L’un de ses inspirations majeures est l’écrivain américain Howard Philip Lovecraft, l’inventeur de la mythologie de Cthulhu, et maître d’une horreur dépassant les limites la perception humaine. Au découpage strict des planches et aux décors réalistes succèdent des dessins immersifs fourmillants de détails. Ces dérèglements provoquent chez les hommes d’incontrôlables altérations, autant organiques que sociales. Obsédés par les spirales les habitants d’un village s’enroulent sur eux même comme des escargots. La planète Rémina, monstrueux cyclope galactique, fait retourner la Terre à la barbarie. Les requins à pattes de Gyo, nous attaquent sur la terre ferme, entrainant une mutation biomécanique des êtres humains. Comme Lovecraft, Juni Itô est l’Inventeur de son propre folklore fantastique. Le père de Tomie possède le talent  exceptionnel d’imaginer des situations totalement inédites, des monstruosités jamais vues, qui distordent notre vision du monde.



Tomie est la créature la plus célèbre de Junji Itô. C’est elle qui, en 1987, le pousse à devenir mangaka professionnel lorsque sa première aventure remporte la mention spéciale du Prix Kazuo Umezz. Junji Itô pose dès cet épisode le principe de résurrection de la lycéenne. Ses camarades de classe vont jusqu’à l’assassiner et font disparaître le cadavre en se partagent les morceaux. Pourtant, comme si de rien n’était, Tomie revient à l’école… Il doit donc beaucoup à Tomie : elle à la fois comme sa bienfaitrice et le spectre qui le pousse à toujours la faire revivre dans de nouvelles aventures. Elle est aussi la muse qui l’a poussé à raffiner son trait comme pour mieux sublimer sa beauté.



Qu’est-ce qui donne sa force à la créature et l’emprisonne dans un cycle infernal ? Sa beauté exceptionnelle est sa malédiction, suscitant autour d’elle le désir de possession, la jalousie et la haine. Les hommes qui prétendent aimer Tomie, veulent la peindre ou photographier sa beauté, souhaitent en réalité la capturer. Tomie est le révélateur de la violence, souvent sexuelle, et de la domination masculine. Tomie venge-t-elle les femmes japonaises ? Assurément. Tel un fantôme japonais classique, Tomie pousse ses assassins à la folie et à l’autodestruction. Personne n’est innocent dans le monde de Tomie. Tomie est-elle une mutante ou un être venu d’ailleurs ? Qu’on la découpe en morceau et chaque membre donnera naissance à une nouvelle Tomie. Si on la décapite, sa tête continue de vivre et le corps d’une Tomie pousse sous son cou. Fait-elle partie d’une autre espèce ? Est-elle un clone qui en se multipliant pourrait envahir le monde ? Entité virale, comme Sadako, Tomie est un mosntre abstrait et presque métaphysique. 


L'exposition Junji Itô dans l'antre du délire se tiendra au festival d'Angoulême du 26 au 29 janvier 2023

 

 

jeudi 19 janvier 2023

Jours étranges en Corée : à la recherche d’Haemi



Haemi, Jongsu et Ben, sous une véranda à la campagne, regardent le crépuscule. On n’entend que le souffle du vent et le grésillement des cigarettes de marijuana. Ben passe sur le lecteur de sa voiture la BO d’Ascenseur pour l’échafaud de Miles Davis et happée par la musique, Haemi se lève et danse torse nu en levant les mains vers le ciel, formant en ombre chinoise un oiseau avec ses doigts. 



Elégiaque et aérienne, la trompette, avec une netteté fantastique, annule tous les autres sons. Lorsque le vent se fait entendre à nouveau, c’est comme si brutalement celui-ci arrêtait la musique. Les sons reviennent : crissements d’insectes et ces vaches qui mugissent dans le lointain. Tous ces bruits qui étreignent le cœur quand la nuit tombe sur la campagne. Désemparée, Haemi vacille, tente de poursuivre sa danse mais finalement renonce et se met à sangloter. Elle quitte l’image et lentement la caméra glisse vers un arbre noir aux feuilles bruissantes. Haemi s’est retrouvée soudain seule, perdue face à la nuit, à cette campagne immense et déserte et aux choses qui y sont tapies. Ce sont deux souffles qui s’enchaînent : celui aigu et lumineux de la trompette de Miles Davis et celui du vent, sombre et inquiétant. Le vent murmure à Haemi qu’elle aussi vient de ce paysage, de ces fermes et de ces champs, et qu’elle a beau changer d’apparence, fuir à Séoul ou en Afrique, jamais elle ne pourra lui échapper. 

L’enquête que mène Jongsu  sur la disparition d’Haemi, si elle n’aboutit à rien, va en revanche lui permettre de s’extraire de cette terre où peu à peu il s’enracine. La recherche d’Haemi n’est rien d’autre que la recherche de lui-même et de sa vocation d’écrivain qu’il fuyait sans cesse. Collectant moi-aussi des indices, j’en avais conclu que l’assassinat de Ben ne se déroulait pas dans la réalité mais dans le roman que le garçon s’était enfin décidé à écrire. Lorsqu’il se déshabillait après le meurtre, il s’agissait d’une mue vers une autre identité. Et Haemi, où avait-elle disparu ? Lorsque Ben évoquait ces serres laissées à l’abandon et qui semblent demander à être brûlées, parlait-il d’Haemi et d’autres filles dont personne ne se soucie vraiment ? Est-elle passée dans l’univers parallèle des mandarines invisibles et des chats de Schrödinger ? Haemi avait-elle vraiment existé ?


Burning est tiré de Les Granges brûlées, une des nouvelles du recueil d'Haruki Murakami L'Elephant s'évapore. Le film de Lee Chang-dong développe le thème, à mon sens, le plus troublant de l’écrivain : la disparition. Dans Les Chroniques de l’oiseau à ressort, la femme du héros s’éclipse du jour au lendemain, le laissant seul dans la maison, sans lui donner de nouvelles. Bien sûr on comprend qu’elle est tout simplement en train de se séparer de son mari. Mais pour le héros cette disparition semble absolue, comme si elle avait été transportée hors de sa réalité, dans un lieu inaccessible. 



A la fin de l’année dernière, après un bref passage à Tokyo, je visitais la ville de Sokchon, au nord de la Corée du sud. Autour de la pension de famille, il y avait des serres bien sûr,  et même en grande quantité et je ne pouvais pas m’empêcher de les regarder avec un léger soupçon. 



Les serres, je m’en apercevais, son très fréquentes en Corée, et on comprend ce qui a poussé Lee Chan-dong à les substituer aux granges de Murakami. Qui s’en soucierai si l’une d’entre elles, laissée à l’abandon, venait à être brûlée. Bien que située à plusieurs centaines de kilomètres de Paju, où avait été tourné Burning, la campagne où je séjournais lui ressemblait un peu. Au fond la Corée du sud n’est pas si grande pour qu’apparaissent des différences notables de paysages. En remontant encore plus au nord, se trouvait la région de  Goseong, que l’on décrivait comme « désolée ». On y accédait par une autoroute longeant des hôtels plantés sur la plage, sans souci d’harmonie dans leur architecture. Si elle était « désolée » c’est sans doute par sa proximité avec la DMZ, et pour la première fois je ressentais les étranges vibrations liées au voisinage du nord. Les routes menant à la DMZ étaient logiquement désertes : qui voudrait s’y aventurer à part les militaires.

J’ai regardé le soleil se coucher sur un lac noir. J’y lançais une pierre qui rebondit sur sa surface : il était gelé, immobile, comme l’allégorie exacte de cette région. Je fermais les yeux : le silence, pas un seul  chant d’oiseau, sinon dans le lointain un léger bruit de froissement. Le lac gelé me fit aussi repenser à la disparition d’Haemi, comme si la croute de glace séparait un autre monde, exacte réplique inversée du nôtre. 


Dans Burning, la maison de Jongsu à Paju donne sur une autre partie de la DMZ. La présence de la Corée du nord agit-elle comme un maléfice ? L’un des aspects les plus « pittoresque » du régime des Kim est aussi ses apparitions et disparitions soudaines. Kim Jong-un peut s’éclipser pendant plusieurs semaines, alimentant toutes les rumeurs et réapparaître sans explications.  Des membres de sa famille ou des généraux, disparaissent, eux pour toujours, comme s’ils n’avaient jamais existé. A l’inverse, lors de cérémonies, apparaissent comme par magie sa sœur, la terrible Kim Yo-jong, et sa fille Kim Ju-ae, dont même l'âge est inconnu. Le réel est mouvant, manipulable, comme dans Burning où il suffit que Ben, lassé de sa nouvelle compagne, baille pour qu’elle s’évapore.

Dans la nouvelle de Murakami et dans le scénario de Lee Chang-dong, la jeune fille commentait ainsi sa pantomime de l’épluchage de la mandarine : « Ce qu’il faut, ce n’est pas imaginer qu’on tient une mandarine mais plutôt oublier qu’il n’y en a pas. »

Pour retrouver Haemi, Jongsu doit entrer à l’intérieur de la mandarine invisible, et pour cela devenir écrivain.




mercredi 4 janvier 2023

Carnet de notes d’un bref retour à Tokyo



Après plus de trois ans d’absence, refaire ce chemin cent fois parcouru : sortir du Narita Express à Shinjuku Station, chercher sur les panneaux la sortie Est (une erreur peut être fatale et vous condamner à errer pour l’éternité, ou ce qui lui ressemble, dans ses couloirs), être un moment désorienté au carrefour où se croisent toutes les directions, mais trouver instinctivement l’escalier montant vers Kabukichô.



Je ne restais que peu de temps à Tokyo, à peine trois jours avant de m’envoler vers Busan en Corée du sud. C’était un choix de ne prendre que le pouls de la ville avant un plus long séjour, sans doute en été pendant la saison des fantômes.




J’avais choisi le même hôtel qu’en août 2019, en haut de la colline des Love Hotels de Kabukichô. Les hosts dominaient toujours le quartier mais certains avaient pris des visages de démons. Tokyo est plus que jamais une cité de masques et de spectres.





En remontant la rue, je me souvenais qu’il fallait tourner à droite, après une enseigne verte, tourner à nouveau droite et que l’hôtel se trouvait en face d’un club de kickboxing. 




Son nom n’est même pas un nom, juste une localisation tautologique. La chambre est spacieuse et n’a rien à voir avec les étouffants business hotels qui surplombent le quartier. La salle de bain qui compte une douche et une baignoire est elle-aussi gigantesque. Je n’ai jamais compris comment cet hôtel miraculeux pouvait par ailleurs afficher des prix défiants toute concurrences. Comme je n’y ai jamais croisé le moindre locataire, je suppose qu’il ne compte en réalité qu’une seule chambre et n’ouvre que pour moi.




2019 et 2022 se raccordaient enfin, mais ce n’était qu’un faux raccord. Dans la collure, bien des choses avaient changées, parfois imperceptiblement.


Pour exorciser les maléfices temporels, je me rendais dès le premier soir au bar justement nommé Le Temps, l’un des lieux les plus romantiques de  Tokyo, idéal pour rêvasser, écouter du Chopin, lire une lettre d’amour, déguster un cocktail préparé par un suave serveur, parler du cinéma français des années 60 et de Françoise Sagan, et bien sûr admirer la fresque de son créateur, le génial illustrateur Aquirax. 





J’ai également rendu visite à Benzaiten, la déesse du quartier, et son sanctuaire enchâssé entre les clubs et les love hôtels. Je me suis encore perdu dans l’énigme de ce visage parfait aux longs yeux effilés. 



Je suis aussi allé au temple Hanazono en bordure de Golden Gai. Je suis passé sous les toris rouges et j’ai tapé deux fois des mains pour qu’Inari, le dieu renard, écoute ma prière.




J’étais prêt. 


Dans l’immense bordel de néon de Kabukichô, une disparition notable : le Robot Restaurant. Ce palace kitsch de miroirs et de gigantesques amazones dorées a été fermé pendant le covid. Sa musique entêtante faisait partie du décor sonore du quartier. Peut-être rouvrira-t-il mais en attendant, il abrite un luxuriant club de showgirls.





La petite boutique d’uniformes d’écolières d'occasion de Nakanao Broadway, à côté de la librairie underground Taco-ché était introuvable. Je sais que tout le monde se moque de cette disparition mais j’y passais rituellement pour ramasser les derniers dépliants d’Olive des Olive, Hiromichi Nakano School, Benetton (qui fabrique des uniformes spécialement pour le japon), Candy Sugar ou Roco Nails petit gals school. Mon inutile collection s’arrête donc ici. Dans l’immeuble jouxtant le Mandarake de Shibuya, RecoFan le disquaire où je glanais des 33t d’Asakawa Maki ou Hako Yamasaki, a lui-aussi fermé (mais serait, m’a-t-on dit,  bientôt relocalisé). 

Sur les vitres du koban (commissariat) rond qui fait un peu office de point de rendez-vous à Udagawa-cho , les membres de l’Armée rouge japonaise sont toujours recherchés plus de cinquante après. Dans d’autres commissariat, une affiche signée du mangaka d’horreur Hideshi Hino, met en garde contre les arnaques téléphoniques.



Disparue : la Smoking Area de la sortie Est d’où je regardais l’écran géant de Studio Alta. A côté, l’immense affiche du garçon efféminé aux cheveux longs, avec sa chemise à carreaux rouges, avait été décrochée. J’oublie toujours de qui il s’agissait mais j’aimais cette présence immuable.

La sortie Est s’est cependant doté d’un nouvel habitant : un chat géant en hologramme qui miaule des comptines électriques, s’étire, et coiffé d’une casquette de policier délivre toute une série de consignes. 



C’est une nouvelle divinité qui règne sur le quartier en concurrence avec l’immense Godzilla  du cinéma Toho de Kabukichô. Je suis resté planté trente minutes à la regarder, fasciné, me disant que Chris Marker lui aurait à coup sûr réservé une place dans Sans soleil. Ce chat a-t-il un nom ? 

Ce félin « kaiju » est bien plus réjouissant que le Shibuya Scramble Square qui se dresse au-dessus de Shibuya Station. Sur 229 mètres de haut, ces 32.000m² de galeries commerciales furent inutilement érigées pour les JO de 2020.Malgré sa beauté architecturale, la tour achève d’enfermer la gare entre les gratte-ciels. Une sorcière plus sympathique survolait Shibuya : Yayoi Kusama pour son association avec Louis Vuiton.

 



Shibuya demeure cependant un haut lieu du dandysme tokyoïte et il suffit de traîner autour d’une smoking area pour observer des créatures à faire crever de jalousie les wannabes des fashion week parisiennes.



Ce n’est pas un réel changement mais il m’a semblé qu’il y avait toujours plus de boutiques Mandarake à Nakano Broadway et il est bien possible que la galerie marchande se nomme un jour « Nakano Mandarake ». Comme de coutume, avant de me perdre dans le labyrinthe des boutiques, j’ai déjeuné au Freshness Burger d’un délicieux burger avocado et d’un fantastique crispy chicken burger.




L’endroit où les changements sont imperceptibles demeure le Golden Gai.



Le bar Bali où j’avais rencontré Chiemi s’est déplacé dans une des rues parallèles. La vielle mama-san en kimono a été remplacée par une plus jeune, en kimono elle-aussi, qui ressemble à une affiche des années 30. 



Les touristes n’étant pas vraiment revenus et même certains habitués semblaient s’être évaporés pendant l’épidémie. Le quartier retrouvait l’allure de ville fantôme qui était la sienne lors de mes premières visites. 






Comme toujours je prenais quelques photos à travers les lucarnes, photos spirites de présences peu à peu estompées. Mais n’est-ce pas surtout moi qui à Tokyo me sent un peu irréel ?



J’allais faire un tour au Sea & Sun, tenu par l’exubérante Taru. Il s’agit d’un bar Pink ou burlesque et le « sex » qui manque à son nom est partout présent en peintures et colifichets, et dans les plaisanteries de la mama. Un client arborait un superbe T-shirt « Horrors of Malformed Men de Teruo Ishii.






Au bar Ace, le tout premier où je suis entré il y a  14 ans, je saluais bien entendu Tsuyoshi qui est presque le témoin de ma vie dans le quartier.  



Yuya, que je considère un peu comme le maire de Golden Gai, tient toujours le Darling, repère des cinéastes indépendants les plus délurés. 


Surtout, je retrouve Mami-chan à l’écarlate Bar Buster. Elle est l’une des âmes les plus généreuses de Golden Gai et la seule patronne que j’appelle de temps en temps « mama ». 

Je n’avais jamais pensé à lui demander l’origine du nom de son bar. Cette fan absolue des Runaways l’a tiré de Light of Days de Paul Schrader : The Barbusters est le nom du groupe où jouent Joan Jett et son frère Michael J. Fox.

C’est au Bar Buster que commença l'une de mes  plus étranges aventures à Tokyo.



J’ai traversé Kabukichô en compagnie d'une écolière fantôme.










(photos Constant Voisin. Yurei: Yuka)