lundi 22 juillet 2019

Elle est morte après la guerre




Koji Wakamatsu et Masao Adachi furent les héros du cinéma des années 1960, faisant exploser toutes les catégories : du cinéma érotique et du cinéma politique, du commerce et de l’expérimental. Ils tournaient leurs brûlots en quelques jours, dans les rues, dans la campagne, sur les toits de Tokyo, dans des appartements minuscules. Et lorsqu’ils donnaient des caméras aux étudiants pour filmer les émeutes, ceux-ci pouvaient voir leurs images un mois plus tard dans les cinémas pornos de Shinjuku comme des newsreal révolutionnaires. Alors que les cinéastes de la nouvelle vague comme Oshima étaient des dandys et des intellectuels fascinés par l’Europe, Wakamatsu était un visionnaire sauvage. Adachi était plus timide, intellectuel, mais aussi plus idéaliste et déterminé. On en finit donc plus d’attendre que sorte en France, d’une façon ou d’une autre, Dare to Stop Us (2018) de Kazuya Shiraishi qui retrace leur vie à la charnière des années 70. 
Hiroshi Yamamoto (Masao Adachi) et Arata lura (KOji Wakamatsu)
L’un tournera L’Extase des anges, le dernier chef-d’œuvre des années rouges, et l’autre, après le fondamental AKA Serial Killer, ira rejoindre le Nihon Sekigun au Liban pour un exil de presque 30 ans. Dare to Stop Us, que j’ai eu la chance de découvrir au festival d’Udine, est produit par leur société historique, Wakamatsu pro, avec un budget minuscule ne permettant pas une réelle reconstitution historique. Shiraishi a donc choisi de s’en passer et fait hanter par ses personnages le Shinjuku contemporain comme si deux couches temporelles se superposaient. Mais au fond, rien de surprenant pour qui a expérimenté le caractère fantomatique de ce quartier dont certains territoires comme Golden Gai, appartiennent à un autre temps, et sont traversés par les spectres. 
Arata Iura, qui n’avait pas réellement convaincu dans le rôle de Mishima dans Le jour où il choisit son destin, interprète ici génialement Wakamatsu. Si l’on parle de fantômes, il faut préciser que lura était présent dans le bar Nagisa, à Golden Gai, la nuit où le cinéaste a été renversé par le taxi, ce qui entraînera sa mort quelques jours plus tard. Nagisa, la patronne du bar, chanteuse et amante de Daido Moriyama qui lui consacra un livre, a elle-même disparue l’an dernier. On pourrait croire au lent effacement de ce qui fit la légende de ce quartier, refuge d’artistes, d’activistes et de noctambules, mais ce n’est pas le cas. Le bar est toujours ouvert et on y trouve les mêmes habitués, soixantenaires qui célèbrent encore, en silence, le culte de leur égérie. C’est un travail du même ordre qu’effectue Arata Iura faisant revivre Wakamatsu tel qu’il l’a connu, et sans doute tel qu’il a toujours été : un brigand, râleur, enfantin et combatif, et un cinéaste-né. Pour l’avoir rencontré plusieurs fois, je dois avouer avoir très ému, comme si le film me permettait de passer encore un peu de temps avec lui.
L’autre originalité de Dare to Stop Us est de montrer ce gang de mauvais garçons à travers le regard de Megumi Yoshizumi (Mugi Kadowaki), assistante réalisatrice ayant noué avec Wakamatsu une relation de père et de fille et secrètement amoureuse de Masao Adachi. 
La jeune fille est la figure méconnue du mouvement, aspirante cinéaste n’ayant tourné qu’un moyen métrage (qu’est-il devenu ?) et qui, enceinte, se suicidera en 1971 à l'âge de 23 ans.
Elle travailla sur certains des films les plus importants de Wakamatsu comme Sex Jack et La Vierge violente et sur La guérilla des écolières d'Adachi. On la retrouve comme assistante, l'année même de sa mort sur le magnifique Gushing Prayer, the 15 years old prostitute d’Adachi qui parle de jeunesse perdue, de sexe, d’avortement et de suicide. 
Si Gushing Prayer obéit à la charte du cinéma pink élaborée par Wakamatsu, il est plus doux et mélancolique. Ses quatre lycéens errent dans une ville brumeuse et essayent de comprendre à quel moment le sexe devient de la prostitution donc une valeur marchande. Est-ce nécessairement quand on le paye ? Et si l’on y prend du plaisir est-ce encore de la prostitution ? Et si l’on ne ressent jamais de plaisir, notre corps est-il encore nous-mêmes ? Est-ce un objet que l’on peut vendre ? La soumission des adolescentes aux adultes, professeurs qui les prostituent, les violent, les mettent enceintes et les abandonnent, n’est-elle pas aussi celle du Japon à l’Amérique ? 
La prostituée de quinze ans, dégoûtée par cette société sans idéal, finira elle-aussi par se suicider. La balade de Yasuko est accompagnée par les lettres d’adieu de jeunes filles suicidées, mélopée d’outre-tombe bercée par les notes vaporeuses d’une guitare acid-folk. C’est de ce brouillard que revient dans Dare to Stop Us, Megumi Yoshizumi, cinéaste au film perdu et figure oubliée de la guerre de Tokyo.  

jeudi 21 février 2019

Les Funérailles des roses par Bertrand Mandico

Les funérailles des roses de Toshio Matsumoto (Funeral Parade of Roses, 薔薇の葬列, Bara no Sōretsu, 1968),

vendredi 8 février 2019

Mes nuits dans les bars avec Naomi, Eri, Mina, Ako...


Ce sont les femmes de la nuit de l’ère Showa. Elles se nomment Naomi Chiaki, Eri Chiemi, Mina Aoe, Tamaki Sawa, Ako Midorikawa et sont les stars de la enka, cette chanson sentimentale parfois matinée de pop ou de rythmes exotiques comme la bossa nova. C’est à la fin des années 60, que les divas du blues japonais quittent leurs kimonos pour raconter la solitude moderne dans les villes de néons, les nuits pluvieuses, et les bars à cocktail où viennent s’échouer les office ladies trompées, les mama-san solitaires, les prostituées au cœur brisé … Sur les pochettes, ces femmes à la dérive ont le regard lointain et semblent attendre un amour qui ne viendra pas.  Comme des instants prélevés à un film imaginaire, les photos reflètent l’esthétique particulière de showa, sa mélancolie enfumée, glamour et capiteuse. Les pochettes dessinées sont l’œuvre de Kazuo Kamimura, l’auteur du Club des divorcés et de Fleur de l’ombre, qui lui-aussi n’a cessé de mêler son encre aux larmes de ces miss lonelyhearts. 















mardi 1 janvier 2019

De Palma Japonais


C’est toujours un plaisir de dénicher dans les boutiques d'occasion, pour une poignée de yens, ces fameux «pamphlets», livrets que les spectateurs pouvaient acheter à la sortie des salles. Ainsi, on découvre de nouvelles interprétations graphiques des films de Brian De Palma. Les caractères japonais suffisent à donner une expressivité inédite à ses images. L'affiche de The Fury ne m'a jamais semblé plus belle qu'avec ces caractères rouges et griffés. Quant à Scarlett Johansson dans The Black Dahlia, sa peau blanche et scarifiée évoque un érotisme bien plus asiatique qu’occidental.






































et le "theme song" de Blow Out, apparemment seulement édité au Japon.

mercredi 19 décembre 2018

Muhammad “UCUP” Yusuf

J'ai découvert les gravures sur bois de l'artiste indonésien Muhammad “UCUP” Yusuf en novembre à l'exposition "Catastrophe and the Power of Art" du Mori Museum à Roppongi. C'était de loin les œuvres les plus marquantes. Avec le collectif d'artistes activistes Taring Padi, militant pour les droits des paysans, il mêle  la magie, l'horreur et la politique, avec une énergie noire rappelant les comix underground et la grande peinture révolutionnaire d'Amérique du sud. 












MUHAMMAD “UCUP” YUSUF A native of Yogyakarta, Muhammad “UCUP” Yusuf has been involved in artbased protests as part of the Taring Padi collective since the late 1990s. He believes that art is an invaluable tool that fosters understanding and tolerance in society. His newly created woodblocks and woodblock prints reveal his efforts for social change while offering a glimpse of some of the rural communities that are close to his heart. The intricately executed images narrate stories on current disputes over land expropriation and illegal development in Indonesia. Black Coal Dark Energy, for instance, refers to a recent debate about a coal power plant in Central Java. It shows a sea of solemn-faced people beneath angry signs with statements including “Don’t take our land” and “Why state violence against own people.” A larger banner reads “Land and water, our flesh and our blood, we take care until the end” echoing the resolution of the people. The choice of medium of woodblock engravings is significant as throughout history it has been harnessed to create political propaganda. 
Muhammad “UCUP” Yusuf studied painting at the Indonesian Institute of Arts, Yogyakarta, where he graduated in 2005. Alongside a number of prominent private collections in Indonesia and abroad, his works are in the permanent collections of the Palace Museum Yogyakarta, Indonesia; Singapore Art Museum; Fukuoka Asian Art Museum, Japan; and the Queensland Art Gallery of Australia. His work has been exhibited at such institutions as the Museum of Contemporary Art Lyon, France; Yokohama Museum of Art, Japan; and the Jogja National Museum, Indonesia. 
Born in Lumajang, Indonesia, 1975 | Lives and works in Yogyakarta
Extrait du catalogue REV | ACTION, CONTEMPORARY ART FROM SOUTHEAST ASIA, curated by Loredana Pazzini-Paracciani.  Sundaram Tagore Gallery, 2015

le site de Taring Padi