jeudi 29 novembre 2018

L'Hotel World Kaikan à Nakano



Lorsque qu’on se rend à Nakano Broadway, on peut très bien passer par la grande galerie marchande toujours surpeuplée, avant de gravir les escaliers qui mènent au le paradis des mangas eroguro, des figurines d’Ultraman et des revues érotiques des années 70. On peut aussi passer par les ruelles, où s’alignent des dizaines de restaurants, de pachinkos et de Girls Bars. On est alors sûr de tomber sur la façade en losanges jaune orangé de l’Hotel World Kaikan. Construit pendant les années 60, d’où sa décoration pop désormais délabrée, il a bien été un hôtel mais après sa fermeture est devenu une ruche de bars et de karaokés. Sans doute reprend-il vie une fois la nuit tombée, mais c’est dans la journée qu’il se dresse de façon sinistre. Seul son second étage est accessible (1er étage chez nous), entouré d’escaliers fermé par des grilles. A droite, la porte d’un bar dont la décoration est un cercueil rouge marqué d'un "D". Deux escaliers descendent au sous-sol. Les emprunter était tentant puisque l’Hotel World Kaikan évoque à la perfection un décor de J-horror avec ses chambres que l’on suppose hantés par des suicidés ou des yakuzas assassinés. J’ai descendu les quelques marches, jusqu’à un sol en damier, plongé dans une semi pénombre, et des portes métalliques abritant sans doute un karaoké. Je suis resté quelques instants à me glacer d’effroi mais un bruit m’a fait prestement remonter à la surface.
Comment ne pas penser que la façade de l'hôtel rappelle la moquette de l'Overlook de Shining
Hotel Underworld Kaikan ? 



mercredi 17 octobre 2018

La voie oblique




Les livres de voyage c’est une grande affaire. Je me suis toujours refusé d’emmener des livres japonais au Japon. Pourquoi lire sur le Japon alors que le Japon est tout autour de moi ? Les deux tomes du Meurtre du Commandeur d’Haruki Murakami m’attendront donc à mon retour. Il vaut mieux, suivant la mystique qui m’est propre, emprunter une voie oblique. J’ai retenu trois livres : un que je n’ai pas lu et deux livres de survie. Par commodité, ce seront bien sûr des livres de poche. Celui dont j’ignore tout est La Marge d'André Pieyre de Mandiargues. D’après la quatrième de couverture, il m’a l’air assez éloigné de l’adaptation de Walerian Borowczyk et parle d’une dissolution et d’une renaissance dans un quartier de bars et de prostitution. Non pas à Shinjuku mais à Barcelone mais Mandiargues est un écrivain japonisant, et qui sait où l’on peut aboutir par la voie oblique ?

Un livre est un objet magique qui peut permettre de forcer le hasard et d’ouvrir des portes invisibles. Il y a bien un bar à Shinjuku qui se nomme "Hécate", d’après un film oublié de Daniel Schmid, adapté d’un étrange roman de Paul Morand se déroulant à Tanger. Sans la connaissance de ces deux œuvres, aurais-je remarqué cette petite plaque en bois, parmi les centaines d’autres du quartier ? J’y rencontrais une femme chat en kimono qui m’expliquait que son mari, le propriétaire maintenant décédé, avait adoré ce film. L’année suivante elle n’était déjà plus là et personne ne savait pourquoi le bar se nommait ainsi. Un jour, le Bar Hécate aura changé de nom mais la maîtresse de la nuit, la déesse des chiens, hantera encore les lieux.

Peut-être y a-t-il à à Tanger un autre Bar Hécate permettant de passer clandestinement entre les deux pays ? Et ce chant qui court entre les ruelles n’est-ce pas Nessun dorma, l’air de Turandot qui donne son nom à un autre bar ? Personne ne dort mais à l’aube la princesse de glace a déjà disparu et il faudra attendre une autre nuit pour espérer encore en son amour. Personne ne dort, c’est le territoire des vigilambule, ceux qui entrent, les yeux grands ouverts dans cette marge entre le crépuscule et l’aube.

L’Amour fou d’André Breton est un livre que l’on n’a jamais lu, qui n’a jamais été écrit ni publié mais dont on tente d’assembler les fragments qui nous parviennent par liaisons libres, automatisme, vases communicants, phrases attrapées, rêvées, murmurées. Dans un bar, au terme d’une nuit étrange,  une jeune fille m’a dit à l'oreille : « Tu as trouvé l’endroit que tu cherchais depuis toujours. » Elle m’a fait plusieurs présents mais cette phrase je l’ai conservée comme une pierre précieuse. C’était une de ces « femmes sans ombre » qui apparaissent vers trois heures du matin et qui n’ont que peu de temps pour délivrer leur message à un salaryman ivre, une hôtesse de club mélancolique ou un voyageur.



Une phrase peut être la clé qui ouvre l’Entrée des fantômes, comme celle que lance Raúl Ruiz à Jean-Jacques Schuhl dans le restaurant chinois de Davé : « Je te propose de jouer le rôle du chirurgien dans Les Mains d'Orlac. » On rêverait de se promener avec Schuhl dans Shinjuku la nuit et, suivant les traces rose poussière laissées par les travestis, trouver dans une ruelle le fantôme du restaurant, désormais fermé, de la rue Richelieu, avec peut-être cet aquarium dont les reflets verdâtres transforment les clients en spectres mais surtout, encadrés et accrochés au mur, les polaroïds des visages familiers de mille et mille amis disparus. Car chacun, à Tokyo, peut trouver l’endroit qu’il cherche depuis toujours.

La Marge, L’Amour fou et Entrée des fantômes, sont les trois livres que j’emporte à Tokyo cet automne. 




lundi 11 juin 2018

Morita Doji (1952-2018)


Morita Doji est morte le 24 avril.
Son décès a été annoncé dans le bulletin de JASRAC (association des auteurs de musique)
 

Mon article sur Morita ici

lundi 19 février 2018

Ouvert de minuit à sept heures du matin

La Cantine de minuit de Yarô Abe

Où se trouve la Cantine de minuit à Tokyo ? Tout près de Kabukichô puisque c’est là où travaille Marilyn la stripteaseuse (les œufs de colin, vol.1), pas loin non plus de Nichome, le quartier gay ou se trouve le bar du travesti Jun (le nattô, vol.1), et à quelques minutes du sanctuaire Hanazono (Les Inarizushi, vol.2) d’où sortent certaines clientes qui sont peut-être des femmes-renards. Il ne fait donc guère de doute que la cantine se trouve à Golden Gai. Ce n'est qu'une gargote comme les autres, qui ne paye pas de mine. On remarque qu’Abe dessine rarement l’extérieur du bar, excepté la première planche de la première histoire. Pour le reste nous ne quittons presque jamais les quelques mètres carrés de ce petit théâtre des nuits de Shinjuku. Si Ozu, selon l’expression consacrée, filmait à hauteur de tatami, Abe dessine à hauteur de comptoir.
Les personnages sont coupés à la taille et les cadrages alternent le point de vue du patron et ceux des clients. Cet art minimaliste repose sur le talent de portraitiste de Abe qui en quelques traits fait exister ce petit peuple noctambule de yakuzas, boxeurs, livreurs, hôtesses de bars, bohèmes et surtout d’oyaji-san, ces quinquagénaires à lunettes, en costard-cravates et dégarnis, salarymen ou patrons de petits commerces, qui viennent oublier leur célibat ou retarder le moment de rentrer au foyer. C’est ce qui prouve que la Cantine est très loin de la nouvelle vague des bars, plus rock et exubérants, de Golden Gai. L’autre talent d’Abe est bien sûr de donner une âme aux plats que sert le patron à la demande de ses clients : les fils de nattô, l’algue grillée qu’on entoure sur une boule de riz, la tranche de porc frémissant dans le ramen, le bacon croustillant… Et le curry de la veille est toujours meilleur, bien sûr. La cuisine de nuit fait partie de l’esthétique de ces bars, au même titre que les chansons pop de l’ère Showa. C’est bien souvent par la commande d’un de ces plats qu’Âbe commence son récit, qui va mener à une peine de cœur, une idylle inattendue, des retrouvailles ou une histoire d’amitié. 
Mais il y a autre chose, indéfinissable et émouvant, qui montre combien Abe est parvenu à saisir l’atmosphère particulière de Golden Gai. Il s’agit de l’entrée en scène des clients qui, ouvrant le rideau, apparaissent dans l’encadrement de la porte du bar.

Cela provoque, si l’on est un nouveau client un instant d’étonnement chez le patron ou la mama-san, et si l’on est un habitué, un salut chaleureux qui est comme un retour à la maison. On n’a alors besoin que d’un bol de soupe et d’un verre de saké, pour atteindre un bonheur doux et complet. Et s’il pleut sur Golden Gai, la nuit pourrait bien durer un million d’années.

Sinon, la Cantine de minuit fait désormais partie de la culture de Golden Gai puisqu’on la retrouve sur le guide qui recense les centaines de bars.





La Cantine de minuit est bien sûr édité par Le Lézard noir



Quelques vues de Golden Gai




dimanche 15 octobre 2017

hIstOIres

Histoire de l’Oeil

Story of the Eye

Story of I

Story of O

Histoire d’O