mardi 20 juin 2017

Richard Brautigan, encore une histoire de fantôme à Tokyo


Natif de Tacoma dans l'état de Washington, Richard Brautigan habitait le Montana mais son autre pays était le Japon.

Un Japon d’abord ennemi comme il le raconte dans l’avant-propos de Journal japonais, avec cet oncle qui mourut des suites d’une blessure causées par un bombardement sur les côtes du Pacifique et dont le fantôme hanta le jeune Brautigan. Le Japon, il y viendra plus tard, par les haïkus de Bashô, par la peinture et le cinéma, avant de rencontrer le Japon réel au milieu des années 70. Ce n’est pas étonnant non plus qu’entre le Montana et le Japon, ce soit un mort qui guide Brautigan, et que les histoires de fantômes, ces kaidan japonais, circulent entre les deux pays.
Pas seulement bien sûr : il y a les histoires de gueules de bois, dont je ne sais pas si elles constituent un genre littéraire, mais qui sont aussi un pont entre le Montana et le Japon !

Tokyo-Montana-Express (1980) est le plus beau livre jamais écrit.

On ne peut pas oublier le boucher aux mains froides, le loup-garou dissimulé dans un buisson de framboises, la plus petite tempête de neige du monde, la gueule de bois sculptée comme un objet de l’artisanat populaire, les 390 photos d’arbres de noël, le dernier menu des condamnés à mort, et on ne peut pas non plus oublier ce bar dont toutes les serveuses sont identiques, le temple de la carpe à Shibuya, le kaidan de la brosse à dents, les spaghettis préparés pour les amis japonais,  et l’irrévocable tristesse de son merci beaucoup. On ne peut pas oublier le gamin japonais noyé et ses tennis « trempée et très froides, et aussi lourdes d’une blancheur étrange, silencieuse absolument. »
L’autre grand livre de Brautigan  est Journal japonais, et ses 77 poèmes écrits entre le 13 mai 1976 et le 30 juin.
Par exemple : « les chauffeurs de taxi ne ressemblent pas à leur photographie (…) De parfaits inconnus conduisent ces taxis. »

Et pas mal de moments d’inexistence qu’on a tous connus au Japon, sans forcément trouver cela désagréable.

Comme dans Tokyo-Montana-express, il y a aussi un texte sur un film érotique. Lorsqu’il visite le Japon dans les années 70, c’est la grande vogue des roman porno et pinku eiga, films que Brautigan ne peut pas voir en Amérique. Dans Tokyo-Montana-express, Le Château de la fiancée des neiges, le film le plus sensuel jamais tourné, provoquant des érections fabuleuses, s’évaporait comme un fantôme, et ce qui disparaissait n’était pas seulement le film mais le cinéma lui-même, remplacé par un petit jardin public. Je n’ai jamais identifié même une partie du film dont parle Brautigan.

En revanche, le Fauteuil rouge dans Journal japonais est bien connu puisqu’il s’agit de La Maison des perversités (1976) de Noboru Tanaka d’après Edogawa Rampo.  





On notera la fin délicieuse du poème prouvant que Brautigan avait tout compris de l’eroguro.

Chez Tanaka, la femme qui est l’objet de la passion de l’homme dissimulé dans le fauteuil est Junko Miyashita, la femme aux cheveux rouges, l’autre Abe Sada, qui mériterait à elle seule un recueil de poèmes amoureux.





jeudi 4 mai 2017

Momoe Yamaguchi, Last song for you


Les sourcils et la bouche de Momoe Yamaguchi étaient parfaitement rectilignes, son nez était lui aussi mince et droit, et son menton d’un ovale parfait. Une beauté pure et absolue que l’on croirait sortie d’un manga.

Née en 1959, elle n’avait que 13 ans lorsqu’elle commença à chanter en costume marin des romances pour adolescentes. Momoe grandit, abandonna son seifuku et sa voix prit de troublantes inflexions graves. Assez contemporaine pour s’emparer de rythmes discos avec Playback part.2 et Imitation Gold, elle pouvait aussi, dans le déchirant Cosmos, chanter la tristesse de s’éloigner de ses parents. Son règne ne dura que 7 ans et en 1980, elle épousa l’acteur Tomokazu Miura. Elle se retira de la scène après un ultime concert, le 5 octobre 1980 au Nippon Budokan 
Le dernier morceau qu’elle chanta en public est l’un de ses chefs-d’œuvre : Last song for you, qui de fait acquit un statut mythique.
La vidéo est l’une des plus mélodramatiques de Momoe, qui pleure, presque sans interruption, pendant les 7mn que dure le morceau.
On admirera comment les sanglots et la voix brisée deviennent une part intégrante du chant de Momoe. On s’interrogera aussi sur une érotique des larmes, tant Momoe suffoque et s’abandonne pendant les 8mn que dure la vidéo.
On admirera la blancheur sensuelle et hypnotique de ses bras nus.
On admirera le panoramique remontant le long de la robe blanche en corolle, sa gorge soulevée par le chagrin, son cou tendu vers le ciel et son visage renversé, encadré de fleurs.

Accroché à sa main, un pan de la robe fait du tissu entier, le mouchoir qui recueille ses larmes. 


Les larmes sont à ce point l’essence-même de la shôjo, qu’on se demande si ce ne sont pas elles, bien davantage que le sang, qui coulent dans leurs veines.