dimanche 20 novembre 2016

Golden Gai is the Space


Takashi Kurashi, que je rencontrais au Bar Buster, est cinéaste. Je m’en doutais puisque depuis une dizaine de minutes j’étais troublé par sa ressemblance frappante avec Lav Diaz, le réalisateur philippin. Mais lui, ce ne sont pas les grandes fresques telluriques qui le passionnent mais des films expérimentaux en macro où il voit l’accès à un autre monde. « 2001 l’odyssée de l’espace est mon film favori, m’a-t-il dit ce soir-là. J’aimerai être le Kubrick japonais. Vous savez : Golden Gai est l’espace. »  C’était encore plus beau prononcé en anglais par un cinéaste psychédélique japonais : « Golden Gai is the space ». Comme David Bowman, Takashi Kurashi, sans doute cherche-t-il à atteindre le bout du cosmos, qui toujours se dérobe lorsque l’aube bleutée signe la reprise des affaires courantes à Shinjuku. Il faudrait passer par un interstice infime d’espace et de temps, à la lisière de l'aube, pour disparaître dans la vie parallèle.
Lost in time and lost in space.
Mami-chan, la jeune patronne, préfère quant à elle Lolita de Kubrick. Son bar, qui a brûlé en avril dernier, a été reconstruit à l’identique. Le Buster est un bar rock où elle fait partager sa passion pour les Girl’s band, américains comme les Runaways ou japonais comme Shonen Knife et The Portugal Japan.  Aux bars « showa », surchargés d’affiches, de flyers et de photographies de Terayama, elle a choisi la sobriété : une simple couleur rouge qui recouvre tous les murs. Couleur intense qui capture un peu de cet espace infini. Sur la photo, Mami-chan a de faux-airs de Juliet Berto, nouvel indice pour moi de la résonnance des pas entre les piétons de Paris et ceux de Tokyo.

Nous ne sommes qu’aux portes de la vie parallèle. 


samedi 19 novembre 2016

Photographier Golden Gai


Je ne suis pas un photographe et à vrai dire je n’y connais pas grand-chose. Pourtant, j’ai ressenti le besoin de photographier Golden Gai. C’était une façon d’entrer dans ce territoire qui me fascinait et une façon de le regarder et puis qui sait peut-être un jour le voir. Sur les conseils d’un ami, j’optais pour un Canon 1100 d’occasion et je troquais l’objectif pour un 50mm. Ma première série de photos date d’octobre 2015. Très vite j’ai compris que je voulais adopter le point de vue d’un voyageur arpentant Golden Gai et jetant un coup d’oeil à travers les fenêtres et les rideaux en plastiques des portes. Cette méthode m’offrait des reflets, des couleurs et la transparence usée du plastique et des vitres. Je retrouvais souvent ce « doré » qui désigne le quartier. Cet estompage me parlait aussi du temps et de mes chers fantômes. J’ai à nouveau photographié les ruelles en aout et octobre 2016. J’ai vu la rue sinistrée par l’incendie d’avril se relever littéralement de ses cendres quelques mois plus tard, reconstituée, propre et scintillante, comme si tout avait été pardonné. Mais quelque chose s’était bien passé. Pour la première fois, dans ce cycle ininterrompu de nuits, Golden Gai avait fait l’expérience de sa disparition.
Et moi, qu’avais-je appris et que me restait-il à apprendre ?
Un soir, un Japonais qui était dans la même réflexion que moi me confia quelle était sa vision de Golden Gai.

Je n’aurai pas pu l’exprimer mieux. Ce sera le sujet d’un prochain billet.

mardi 8 novembre 2016

Le livre de L'Empire des sens

L’Empire des sens étant censuré au Japon, Oshima édita en 1976 un livre qui comprenait le scénario, un texte du cinéaste et surtout 22 photographies. Plus qu’un livre, il devint  un motif d’inculpation et la police débarqua dans les locaux de la maison d’édition Sanichi Shobô pour en saisir les exemplaires. Le gouvernement japonais ne pouvant traduire Oshima devant les tribunaux pour un film français, c’est ce livre qui fut déclaré obscène et valut au cinéaste un procès qui le marqua à vie. Les photographies valent aussi par leur disposition en diptyque, horizontalement sur des doubles pages. La dernière photographie qui montre les amants riants à travers leur ombrelle percée affirme que L’Empire des sens est aussi un film sur la joie, le sentiment adverse à toutes les censures.
















lundi 7 novembre 2016

Le mystère de la femme en blanc


Le 24 octobre, à peine déposées mes valises à l’hôtel, je fonçais à Golden Gai voir la rue qui avait brûlée en avril dernier. En août, lugubre rue fantôme (lire ici), elle était encore isolée par des suaires en plastique bleu comme si on voulait contenir cette force sournoise qui avait tenté d’éteindre Golden Gai et le renvoyer aux ténèbres. On m’avait dit que quelques bars avaient rouvert dont le Buster de Mami et le Darling de Yuya mais ce soir-là je n’en croyais pas mes yeux : c’est la rue entière, illuminée, qui avait ressuscitée de la suie et des gravats. Certaines mama-san, parmi les plus pauvres ou les plus abattues par le sinistre, avaient revendus leurs échoppes et quelques étages attendaient leur rénovation mais dans les petites chapelles bleues, roses et violettes, on célébrait à nouveau le culte de Kenji « Julie » Sawada et Momoe Yamaguchi. 
Pris dans le jetlag, je flottais un peu. Je me demandais si, comme dans la série Stranger Things, en un clin d’œil la rue n’allait pas s’obscurcir, tomber en cendre et me capturer moi-aussi derrière le voile d’ombre. Lorsqu’apparu un curieux personnage. C’était une vieille femme en vêtements blancs qui s'arrêtait devant chaque bar, tendait le bras et agitait rapidement les doigts comme si elle lançait un charme. Qui est-elle ? Une folle ? Une sorcière ? Une chamane comme les itako du nord du Japon qui communiquent avec les esprits ? Les mama-san auxquelles je montrais sa photo ne l’avaient jamais vue, mais ses gestes et ses vêtements blancs leur faisaient froid dans le dos.