mercredi 7 septembre 2016

Dans la ville rouge

Faute de déchiffrer les caractères des enseignes de Kabukicho, on développe d’autres facultés. Faire défiler dans sa mémoire des dizaines de façades de clubs érotiques est sans doute un talent inutile mais cela reste un talent. ll y a le club des infirmières, le club des écolières, le club des guerrières, les innombrables Hosts clubs avec sur leurs façades des visages d’éphèbes aux yeux de biches, le Robot restaurant à la musique entêtante et aux automates de femmes gigantesques, et il y a maintenant le Toho Cinéma avec son magnifique Godzilla grandeur nature escaladant la façade. Je suppose que se retrouver « in front of Godzilla » est désormais aussi courant que donner rendez-vous devant Hachiko ou Studio Alta. Plusieurs fois j’ai traversé Kabukicho avec en bande-son Kabukicho no Joou (la princesse de Kabukicho) de Shiina Ringo, troqué cette année pour Shinjuku mon amour d’Urbangarde, déclaration d’amour extatique au quartier.
Cette année, pour la première fois, j’habitais au cœur de Kabukicho, à quelques minutes de Golden Gai. Ce qui m’apparaissait était le Kabukicho matinal, quotidien. A huit heure du matin, les néons sont éteints depuis longtemps et les rabatteurs sénégalais sont rentrés chez eux mais il y a encore des jeunes traines savates ivres qui titubent dans les rues ou boivent une soupe devant une minuscule échoppe, encore des filles en robes collantes et perruques oranges qui sortent des clubs, et des jeunes yakuzas transportant sans doute la recette à leur oyabun dans de petites serviettes en cuir noir. Le matin, alors que les camionnettes et les scooters approvisionnent les conbinis et les bars, il flotte comme une atmosphère de ville portuaire, avec ses bâches bleues, ses vieux japonais tannés, en maillot de corps, un mouchoir noué sur la tête, transportant les tonneaux de bières. Et comme une ville portuaire, Kabukicho est pâle et vieillie au petit matin, attendant la nuit pour retrouver son maquillage écarlate de néons. 



dimanche 4 septembre 2016

Trois petits kaidan à Shinjuku

Le koban

Comme dans tous les quartiers de Tokyo, il y a un koban à Golden Gai, juste en face du temple Hanazono. C’est une petite pièce éclairée au néon qui ressemble au décor d'un film de Kiyoshi Kurosawa, avec derrière la vitre un policier immobile comme un mannequin. Il ne se passe jamais rien ici, et à force d’attendre depuis des mois et même des années, le policier pourrait bien s’évaporer d’ennui.


Le cinéaste allemand 

Nous le savons, ni Daniel Schmid ni Werner Schroeter ne sont morts. Le premier tient un bar à Golden Gai nommé Hécate (voir ici). Sans doute peut-on y croiser Werner, attendant que Magdalena et Candy reviennent de Nichome, le quartier gay, où elles chantent de vieilles romances dans un cabaret de travestis fantômes.


La sorcière de Kabukicho

Le jour, on la remarque à peine, tête flottante entre les clubs et les love hotels. C’est la nuit que son travail commence : jeter des maléfices aux hosts, vendre des filtres d’amours aux mama-san, égarer les touristes français à la recherche de la Jetée, transformer les travestis du Jan June en lolitas et les yakuzas en chats. Il y a longtemps, très longtemps, elle n’était peut-être qu’une naïve lycéenne qui s’est laissé séduire par un jeune rabatteur devant le portail rouge de Kabukicho, et est restée depuis prisonnière des sortilèges des néons.  


Ali Baba, Ville du mystère

Quelqu'un te demande
Matin en mer
Midi sur la colline
Nuit sur la rivière
Qui est-ce?
Bero Bero
Un petit garçon
C'est Ali Baba
La ville du mystère




Chanson de Juro Kara dans Le Journal du voleur de Shinjuku d’Oshima (1969)

mardi 30 août 2016

Une soirée au Nagisa

Chanteuse de enka et de pop sixties, modèle et amante de Daido Moriyama, Yoko Nagisa tient un bar à Golden Gai tout simplement nommé le Nagisa. Moins ténébreux que l’Uramado, il est souvent peuplé de timides sexagénaire semblant se mourir d’amour pour les beaux yeux de la mama-san dissimulés, même au cœur de la nuit de Shinjuku, par d’immenses verres fumés. Aux murs, des affiches de ses concerts, des dessins de Kamimura et Aquirax, des photos des films d’Oshima et Terayama, et sur la télévision Les Funérailles des roses de Matsumoto. Ayant reconnu Peter en un clin-d’œil, Vivi Sato qui m’accompagnait ce soir-là, me donna le titre, totalement usurpé, de Dr Showa. Le bar possède aussi sa légende noire. C’est au Nagisa que Koji Wakamatsu passa sa dernière soirée avant d’être renversé par un taxi fatal, le 12 octobre 2012.