lundi 1 juin 2015

Fragments de la sexualité otaku


1. Quand le zentai part braconner


Ce n’est pas un film mais un de ces « matériaux pornographiques », un fragment, que l’on trouve sur youporn. Il n’a même pas de titre mais la description basique d’une situation : Japanese Av model butt groped.  Pourtant, dans sa laideur et sa bêtise, sa mise en scène improvisée, il fascine malgré tout. Si on le voyait en entier, peut-être comprendrions-nous comment ce personnage en combinaison (presque) intégrale (soit un zentai) parvient à s’introduire dans la salle de classe et à abuser des jeunes élèves ? On sait que la pornographie ne s’embarrasse pas de logique  mais épouse juste des canevas fantasmatiques. Au Japon, le viol et la violence sont des conventions admises et la prétendue jeunesse des personnages également. Ce qui gêne et intrigue ici, ce sont surtout les réactions aberrantes des jeunes filles observant le viol de leurs camarades, tour à tour dégoûtées, indignées voir curieuses… ou totalement absentes. Certaines, sans que l’on sache exactement pourquoi (sont-elles possédées par le zentai), commencent à se masturber avec des sextoys. 
La créature chétive et sans visage, qui pourrait être facilement maîtrisée par les jeunes filles, serait en fait une épure absolue du hentai japonais, ce pervers qui feuillette timidement les magazines pornographiques emplies de nymphettes écervelées. Il en est la projection fantasmatique, jouissant d’une liberté absolue dans cette république de Salo miniature que devient la salle de classe.


2. Daikichi Amano : amours visqueuses
On la vu, le zentai violeur de lycéenne était une réduction d’un être humain à la seule perversité, sans le minimum d’affect ou même de jouissance requis dans le porno traditionnel. La créature était une sorte d’être humain larvaire, à peine formé. L’idée d’un porno non humain remonte sans doute à Hokusai et aux Rêve de la femme du pécheur, duquel Daikichi Amano a tiré, autant en photographies qu’en films, une série de variations fascinantes. Dans l’idée, il s’agit bien sûr de zoophilie mais ici non mammifère et surtout basé sur l’idée de multiplicité, de grouillements, avec la viscosité comme dénominateur commun. Les modèles sont recouverts d’insectes, de vers, de reptiles ou d’animaux marins, jusqu’à disparaître presque totalement, comme dans une composition d’Arcimboldo. Amano est un maître des matières et de la couleur allant chercher des variations infinis dans la peau de ses animaux ; ce qui l’éloignent évidemment du pur matériel pornographique.






Mais il n’est pas sûr que les hentai prennent un si grand plaisir aux compositions baroques d’Amano. Peut-être préfèrent-ils se tourner vers des bandes moins raffinées, comme cette vidéo où une jeune fille en maillot de bains, une serviette autour de la bouche (au fond l’élément aquatique est préservé), se fait d’abord palper par des mains anonymes, remplacées par des vibromasseurs, puis des pénis (évidemment mosaïqués).




3. Rei Ayanami, clone sexuel
N’avez-vous jamais nourri des pensées coupables devant les Sylvidres d’Albator, l’Armanoïde de Cobra ou encore la redoutable Furia de San Ku Kai ? 
Imaginez un instant que jamais vous n’ayez jamais dépassé ce stade, que votre sexualité se soit construite exclusivement à travers des personnages de dessin animé ou des amazones de science-fiction. Au Japon, vous seriez ce que l’on appelle un otaku et votre chambre/appartement serait envahie d’amantes virtuelles. 
La libido otaku se divise entre des artefacts plus ou moins mainstream, à l’érotisme suggestif, et une pornographie underground qui est celle, par exemple, des mangas amateurs. Une circulation s’opère entre les deux, les mangas amateurs proposant souvent des versions classées X de personnages officiels.
Prenons par exemple Rei Ayanami, la jeune pilote aux cheveux bleus de Neon Genesis Evangelion, la géniale série d'animation d'Hideaki Anno débutée en 1995. Rei est un clone et en tant que telle connait de multiples morts et résurrections tout au long de la série. Elle est aussi un pilote remplaçable à l'infini, un corps adolescent appartenant aux adultes et totalement dévolue à usage : la guerre. Ce mélange de perfection martiale et de soumission en ont fait l'icone otaku absolue.


 

Elle a donné lieu à des variations hentai.


Des cosplay parfois assez élégants



Mais aussi à des vidéos pornographiques comme celle-ci où la starlette Mirina Izumi porte la tenue complète de pilote ainsi que les cheveux bleus et les lentilles de contact rouges.



Il n’y a aucune mise en scène dans ces vidéos, pas même de décor, seule importe de représenter le personnage dans des scènes sexuelles. On notera que Rei n’est pas ici déshabillée, à la différence des photos sexy du cosplay, et que la main de son partenaire sans visage caresse d’abord le costume du personnage. L’excitation otaku réside sans doute moins dans l’acte sexuel (d’ailleurs essentiellement masqué par les mosaïques usuelles) forcément déceptif, que dans ce prologue qui détaille le déguisement et en isole les « éléments d’attraction ».  L’otaku s’adonne donc au plaisir classique du fétichiste entre objet partiel et totalité, mais, univers de science-fiction oblige, l’objet de son désir est déjà une créature artificielle et dans le cas de Rei Ayanami un clone.

samedi 28 mars 2015

Les entrailles de l'ange

Angel Guts: Red Classroom (1979) de Chusei Sone, scénario Takashi Ishii

Muraki, éditeur de magazines érotiques, assiste à la projection privée d’un film déjà ancien : une lycéenne se faisant violer par 5 hommes dans une salle de classe. Muraki est bouleversé par le visage de la jeune fille, qui tombe en syncope au terme de son viol et se relève, dénué de toute expression, et retombe encore. Le viol était-il réel ? A-t-il assisté à la destruction d’un être humain.




Muraki retrouve la jeune fille, nommée Nami, au guichet d’un Love Hotel, cadre d’une séance photo. Il lui donne rendez-vous; ils vont à l’hôtel mais il refuse de lui faire l’amour. «Je veux te revoir demain» lui dira-t-il. Mais elle ne viendra pas ; elle lève un homme dans un bar et nous aurons l’exemple de sa folie : une sexualité violente et insatiable. 






Muraki ne cesse pourtant pas de l’aimer. 3 ans plus tard, alors qu’il erre ivre dans les ruelles de Golden Gai, il la voit dans l’embrasure de la porte d’un bar. Il tente de l’entraîner avec lui mais le patron, amant de Nami, le roue de coups dans un terrain vague. Il revient pourtant le lendemain et se fait à nouveau battre, mais cette fois il reste dans le bar.
Il observe alors les activités de Nami qui se donne sur le comptoir à 5 hommes, reproduisant le film initial... et il voit aussi que l’on sort une lycéenne ligotée, d’une trappe, et qui est violée à son tour.
Ce qui a détruit nami, au-delà encore de son viol, c’est le film lui-même, qui a volé son image, transformant son supplice en spectacle, le réitérant à chaque projection. On a atteint ici la plus infernale des dégradations. Nami non seulement reproduit les conditions de son viol mais remet en scène le spectacle de la destruction de son innocence sur une autre jeune fille.


Devant le bar, Nami semble sortir d’une vision néo-sirkienne de Fassbinder, un glamour corrompu. Elle entraîne Muraki dans son monde, absolument disloqué. C’est le passage le plus beau du film, expérimental et inattendu. Des plans de vitesse et d’énergie traversent la scène qui déstructure en faux raccord. Mais cette énergie ne va nulle part, ce n’est qu’une convulsion.



lundi 23 mars 2015

Shinjuku Pink

Kabukicho par Noboru Tanaka 
Golden Gai par Chusei Sone


Kabukicho, le quartier rouge de Tokyo  fut l'un des lieux de prédilection des roman porno Nikkatsu. Dans Night of the Felines (1972) de Noboru Tanaka, les femmes-chats sont les employées d’un «bain turc» (ce que l’on appelle maintenant «soapland») où les rapports sexuels (sans pénétration) s'effectuent par le frottement des corps couverts de savon. Un sujet en or pour le cinéma érotique japonais puisque la mousse du savon permet de dissimuler les organes et la pilosité tabous.
Pourquoi les appelle-t-on ici «félines» ? Sans doute parce qu’elles vivent la nuit et avalent au petit matin de petites bouteilles de lait.
Chez Tanaka, la sexualité fait davantage partie d’un flux de vie que d’un cahier des charges. Ainsi Night of the Felines est une ballade mélancolique dans Kabukicho avec le bain turc des filles comme lieu d’ancrage.
Il y a une continuité Mizoguchi - Masumura - Tanaka, chacun s’arrêtant à peu près au moment où l’autre commence à tourner. La transmission entre Mizoguchi et Masumura est évidente puisque l’auteur de La Bête aveugle fut assistant sur les derniers films du maîtres qui découvrit par ailleurs Ayako Wakao. Mais on peut établir un lieu entre Cinq femmes autour d’Utamaro et Tatouage ; et un autre entre La rue de la honte et Night of the Felines même si les bains turcs de la bulle économique remplacent les bordels de l’après-guerre. Le désenchantement est porté par Ken Yoshizawa, qui fut le révolutionnaire aux yeux brûlés de L’extase des anges de Wakamatsu. Il interprète chez Tanaka un vagabond de Kabukicho bisexuel et tourmenté ; un perdant magnifique, qui s’effondre au petit matin sur le béton alors que les banques et les boutiques de vêtement lèvent leurs rideaux métaliques. Tanaka reprend l’acteur mythique de la gauche révolutionnaire, celui qui un an plus tôt allait faire sauter Tokyo, pour le montrer totalement anéanti, ne trouvant un refuge que dans la nuit interlope de Kabukicho. 

Réalisé 5 ans plus tard, Shinjuku, Messy District: I'll Be There de Chusei Sone appartient à la veine néo-réaliste du cinéma pink. Ici, pas de perversions spectaculaires ni d’effets visuels outranciers, mais la représentation de la vie d’un quartier de Shinjuku : Golden Gai, labyrinthe de bars minuscules où Mimi, l’héroïne, est serveuse. Qui l’a déjà fréquenté, découvrira le quartier en 77 et constatera que presque rien n’a changé : ni les enseignes, ni les chats et presque pas la faune d’artistes qui s'entassent dans ces minuscules échoppes. Chusei Sone enchaîne les succès de l’époque : « Imitation Gold » de Momoe Yamaguchi et « Tokio » de Kenji Sawada ; ce sont encore les mêmes chansons qui accompagnent les clients jusqu’à l’aube bleutée de Shinjuku. Les serveuses ont aussi gardé leurs habitudes, allant boire un dernier verre, dans un autre bar de Golden Gai, une fois leur service terminé. 



Cache-cache pastoral de Shuji Terayama





Textes et interview tirés du dossier de presse original (1974).




Synopsis

Un garçon de quinze ans vit seul avec sa mère dans une vieille maison au pied du Mont de l'Effroi. Il étouffe. Il a envie de prendre le train, de s'en aller au loin, d'abandonner sa mère.
Quelquefois, il va bavarder avec son père défunt qui lui parle par la bouche d'une prêtresse du Mont de l'Effroi. Un jour, se mêlant aux gens d'un cirque installé dans le village, il fait la connaissance de la Femme-ballon. Il a de plus en plus envie de partir...
Le garçon porte une admiration inavouée à la jeune mariée de la maison voisine. Quand elle lui propose de s'enfuir avec elle. Au comble de la joie, il est prêt à faire n'importe quoi pour l'accompagner.

Là s'arrête le premier récit "autobiographique" du cinéaste.
En rentrant chez lui, l'auteur se trouve en présence de lui-même encore enfant, qui lui reproche d'avoir faussé, embelli son passé.
Il entreprend alors un voyage à travers son enfance afin de la modifier. Après sa rencontre avec l'enfant qu'il était, il songe à tuer sa mère, mais en se débarrassant de l'existence maternelle, pourra-t-il se libérer vraiment de son existence écoulée ?




Propos du réalisateur


Mon enfance. Les grandes parties de cache-cache... C'était à. moi de chercher les autres, et personne ne répondait plus a mes appels.
A la tombée du jour, les musiciens du cirque voisin, qui répétaient pour la représentation du lendemain, étaient partis se coucher. Et moi, le long d'un chemin désert, au fond de cette campagne où je suis né, je cherchais toujours mes petits camarades. Mais où est-ce qu'ils ont bien pu passer?
Une lumière filtrant aux fenêtres d'une maison. Du dehors, j'observe celui qui, dans la salle commune, sert à manger aux siens. Je reconnais, dans ce vénérable chef de famille, un des enfants partis se cacher au début du jeu. Tous les autres avaient également pris de l'âge. Ils avaient échappé à mes recherches. Ils me reléguaient dans mon enfance.
Si nous voulons nous libérer, liquider en nous toute l'histoire de l'humanité, et, autour de nous, celle de la société, il nous faut d'abord évacuer nos propres souvenirs. Mais alors, notre mémoire commence avec nous une partie de cache-cache et ne peut guère se livrer intégralement.

Dans ce film, où le personnage central entreprend une sorte de révision de son passé, je me suis proposé de retrouver avec lui son identité. Et par là notre identité a tous.

Shuji TERAYAMA




Interview de Shuji TERAYAMA

Enfant, vous avez été recueilli par un parent, propriétaire d'un cinéma, et vous avez découvert ainsi la magie de ce moyen d'expression. Quels sont les films qui vous ont alors, le plus marqué ?
Mon premier contact avec le cinéma, à cette époque, fut limité au son : c'est derrière l'écran que j'avais "ma petite place", ce qui, fait que j'étais privé de l'image - et ce qui explique peut-être l'importance que j'accorde à la bande-son, notamment dans "Jetons les livres..." 
De même, ma première œuvre d'auteur fut un drame radiophonique. Je vais ajouter, sans aucune modestie, qu'on me considérait comme "un génie de la radio" et que j'obtins plusieurs prix radiophoniques internationaux. Le premier vrai film, complet, qui m'impressionna fortement fut "Les Enfants du Paradis", et plus particulièrement la scène où Marcel Herrand tire un rideau et montre une scène d'amour, devenant l'auteur de cette même scène, qui semble être son œuvre...

Qu'est-ce qui vous a conduit, plus tard, à devenir critique de boxe ?
La boxe est une pièce de théâtre jouée silencieusement par deux hommes... C'est "En attendant Godot" - sans paroles... De plus, c'est très érotique. Dans mon enfance, j'ai pratiqué la boxe. Ne pouvant continuer, je suis devenu critique. La boxe montre que la force physique a tendance à perdre de son importance dans le monde culturel contemporain - Est-ce un tort - Est-ce un manque ? 



Comment est né "DEN'EN NI SHISU", le recueil de poèmes devenu plus tard "Cache-cache Pastoral" et pourquoi avez-vous voulu, plus tard encore, en faire un film ?
J'ai commencé à composer des poèmes alors que j'étais adolescent. A l'âge de 26 ans, j'ai décidé de renoncer à la poésie mais, avant d'arrêter, j'ai voulu écrire sur mon enfance et m'en tenir là. C'est ce qui est devenu "Cache-cache Pastoral"; le recueil de poèmes.
Il faut vous souvenir qu'après la guerre tout était ruine tout était à refaire "par les enfants" et qu'aussi, à partir du chaos, tout était admis. Moi, je voulais m'imposer une forme ; j'ai choisi le poème pour la rigueur du rythme... Par contre, après 1960 le Japon est devenu un pays asservi, encombré d'obligations et, quand le monde n'a plus de liberté, il faut, plus que jamais, trouver une forme d'expression libre...
Pourquoi, ensuite, un film ? Parce que je considérais que le recueil de poèmes ne traduisant plus ma vraie (?) enfance, était fabriqué. J'ai voulu décomposer ma mémoire, pour me libérer de mon enfance. Je ne pense pas que j'y ai réussi, puisque le cinéma, aussi impose ses règles. Je n'ai peut-être pas encore complètement "traduit" mon enfance, mais j'ai réussi à la "dire" différemment... Je voulais passer de l'intérieur à l'extérieur - pour rentrer ensuite dans l'intérieur. Le poème est, trop souvent, un monologue. Mais le cinéma risque de l'être aussi...
Il y a, bien sûr, de l'onirisme dans le film. Du surréalisme, je ne sais pas. Mais il est marqué par Lautréamont et "les Chants de Maldoror". De même, je suis influencé par Marcel Duchamp et le compositeur John Cage... Notre œil ne voit que la surface. Parfois, avec un couteau, je suis tenté de m'ouvrir l'œil pour voir l'autre monde qu'on ne peut pas voir. J'aime aussi le Luis Buñuel de la période du 'Chien Andalou".

Qu'est-ce qui vous a poussé à fonder un théâtre-laboratoire et à devenir metteur en scène de théâtre ?
Je voulais utiliser la poésie "avec du corps". Le théâtre c'est la poésie incarnée. J'ai donc, en 1965, fondé un théâtre-laboratoire, un théâtre qui mêle public et acteurs, qui descend dans la rue, qui va en province, qui s'attache à mélanger les éléments.

Quand vous avez abordé la mise en scène de cinéma vous aviez certainement des "maîtres" dans ce domaine. Lesquels ?
D'abord, dans mon enfance, il y a eu Luis Buñuel et "Le Chien Andalou". Mais ce ne sont pas des cinéastes qui m'ont donné l'impulsion... je ne crois pas... Cependant, j'apprécie beaucoup et j'ai sans doute été frappé par Glauber Rocha et "Antonio Das Mortes", Fellini et "Huit et Demi", Antonioni et "L'Éclipse".



Qu'est-ce qui vous frappe le plus dans la vie actuelle, rapport avec le cinéma ?
La vie actuelle est un mélange de réalité et de fictif. On ne voit pas toujours la frontière. On se trompe... Tout ce qu'on filme est fiction : on le sait. Dans la vie, on ne sait plus... Par exemple, au cinéma, si quelqu'un tire, il est considéré comme un héros. Si on fait ça Place Saint-Michel, on est un criminel... Au cinéma, on faisait semblant de faire l'amour ; maintenant, on fait l'amour. Peut-être qu'un jour, au cinéma, on tuera vraiment...Dans la vie réelle, on "fait du cinéma" souvent, on simule ou on est emporté...

Auriez-vous aimé vivre à une autre époque et sous une autre identité : lesquelles ?
J'aurais aimé naître au Moyen Age - et devenir Casanova.

Hors le Japon, dans quel pays aimeriez-vous vivre et travailler ? Pourquoi ?
N'importe où, à Paris, Borne, Londres ou New-York - à condition qu'il y ait des gens. Pas le désert !

Quels sont les grands hommes décédés que vous auriez aimé connaître ? Pourquoi ?
Si une nuit, je recevais chez moi, il y aurait Karl Marx, Jayne Mansfield, Lautréamont, Jack Dempsey, Léonard De Vinci, Billy the Kid et Benjamin Franklin...

Parmi nos contemporains, quels sont ceux que vous aimeriez rencontrer et pourquoi ?
Toutes les femmes qui s'intéressent à moi... Je plaisante... II y aurait Jorge Luis Borges - non, je ne suis pas sûr que j'aimerais le connaître, son œuvre me suffit.

Que croyez-vous être ? Que voudriez-vous être ?
Je crois être Shuji Terayama. Ma profession est Shuji Terayama. Ce que je voudrais être ? Shuji Terayama... Mais un être humain n'est pas un être figé : il est toujours en devenir. Et je veux appliquer la théorie du paradoxe: pour être humain aussi. Vous savez ? Pour attraper la tortue le lapin fait la moitié du chemin, la tortue aussi ; mais le lapin ne rattrape jamais la tortue.... L'être humain veut devenir quelqu'un, mais il fait son chemin, son désir se déforme, se déplace, donc, il n'y arrive jamais.




Avez-vous un axiome ?
"La vie n'est qu'adieux" : C'est un vieux proverbe chinois.

Si vous n'étiez pas auteur-réalisateur de films, de quelle manière aimeriez-vous participer au monde d'aujourd'hui ?
En étant un révolutionnaire - et pas un homme politique ! Les soi-disant révolutionnaires veulent fonder une nouvelle société et, trop souvent, ne deviennent que des hommes politiques. Les vrais entretiennent l'état de révolution. En un sens, Trotzky était un surréaliste.

Quels sont, selon vous, vos atouts et vos handicaps ?
Mes atouts ? Je n'ai pas de famille, je n'ai pas de santé, je n'ai pas d'argent. Mes handicaps ? Les mêmes choses.

Qu'est-ce qui l'emporte, chez vous, de l'instinct, de l'intelligence, ou de la sensibilité ?
Je pense que ces trois éléments forment un jus composé; ils ne peuvent être dissociés.

Quel est votre paysage idéal ?
La nuit, je suis obsédé par un paysage : j'ouvre une porte et je me trouve au sommet d'un rocher; devant moi, il y a la mer, vide... Ceci est un rêve. Mon vrai paysage idéal comporte une foule, celle d'un champ de courses, celle d'une fête. Je ne suis bien que là où il y a beaucoup de monde; là je peux être seul - en le choisissant, je peux me cacher, m'effacer.



Qu'est-ce qui vous rebute le plus chez les êtres et dans nos mœurs actuelles ?
Je n'aime pas les êtres qui se défendent contre les changements, l'évolution, qui figent leur vie et en font une nature morte. Dans nos mœurs, ce qui me rebute, c'est le "chez moi-isme", la tradition, la prudence, le conservatisme tel qu'il &e pratique au Japon où l'on se protège. Ainsi, le Parti Communiste japonais, ça n'est pas du communisme, c'est du conservatisme...

Où vous situez-vous aujourd'hui, par rapport à vos ambitions et vos rêves ?
J'ai - et je perds - des ambitions. Je me déplace...

De quoi vous réjouissez-vous ?
De me demander quelles nouvelles rencontres humaines m'attendent.

Quels sont vos projets cinématographiques ?
J'ai beaucoup d'idées. J'ai cinq projets de films, mais cherche encore le producteur... J'aime les faits-divers que publient les journaux, et j'y trouve souvent le thème de mes films. J'ai ainsi, en tête, plusieurs thèmes : la métamorphose, les murs qui tombent, révolution des enfants, un crime commis par un enfant, Jack l'Étrangleur, le rapport entre un enfant qui découvre une nouvelle comète et la disparition d'un Japonais moyen (peut-être devenu cette comète). J'ai aussi envie de réaliser un film en Europe.




Vos films sont chargés de symboles que l'on retrouve, de "Jetons les livres»»." à "Cache-cache pastoral". Il y a les rails les horloges, l'adolescent violé, la mère. Pouvez-vous nous en parler ?
Les rails sont, pour moi, une chose très triste : le bonheur pour les êtres, consiste à se rejoindre, or les rails ne se rejoignent jamais... Pour ce qui est des horloges, depuis mon enfance, j'étais conditionné par elles à travers la famille, la terre; aussi, je voulais condamner les horloges et avoir "mon heure à moi"... Quant à l'adolescent violé, il se peut qu'on puisse devenir adulte en violant mais, en ce qui me concerne, je ne pouvais qu'être violé. Mais dans le prochain film, peut-être, le garçon violera... Et la mère, la mère est comme la coquille de l'œuf ; pour que le poussin sorte, il faut la briser! Au Japon, le matriarcat est très puissant, le père a démissionné, il est souvent mort à la guerre. Bien sûr, ce n'est que ma conception, mais je crois que cela continue. Même dans la religion japonaise, il n'y a pas de dieu qui représente le père. En Occident, c'est l'élevage qui l'emporte, et c'est un principe paternel. Le Japon, lui, a été un pays d'agriculture, qui ressemble à la matrice maternelle. Parfois, au Japon, on appelle le corps maternel le "champ". Et "Cache-cache Pastoral" évoque la terre, 1a culture, les saisons, le renouveau, la floraison, la Mère...


Propos du machino



"Ah! qu'il est doux de se faire gonfler...", qu'elle disait, la Femme-ballon.
Oui, mais quel mal on a eu ! Le plus difficile, c'est pas l'enveloppe gonflable du sur mesure, quoi. Non,c'est plutôt de confectionner la robe qu'elle a dû mettre par-dessus, a cause de la censure. II fallait
pas qu'elle craque pendant l'extase...

   
Ô blanche main dont l'index impérieux nous guide sur le chemin de la vie... Tu parles! Pour la déplacer pendant le tournage, on a dû s'y mettre à deux* Et on n'est pas faiblards !



2 m 50 de long sur 1 m 50 de large, une boîte d'allumettes qui contient aussi des filles. Amours, délices, flammes...

 Pour avoir un beau bébé, il faut compter, disons...neuf mois. En plus, il vaut mieux être ce qu'on appelle une femme. Tandis que le nôtre, de bébé, un qu'on jette après usage, il a été fait, vite fait, très vite fait par un homme, un vrai. Vous savez bien, le décorateur...

Ça paraît pas, mais rassembler une dizaine d'horloges vieux modèle, c'est pas du tout évident. Surtout dans un coin aussi paumé.Forcément, vous savez bien que le Japon est un pays tout ce qu'il y a de moderne, comme qui dirait industrialisé, que là-bas c'est l'horloge électronique, à transistor et tout, qui s'est répandue jusqu'au fin fond de la province. Non mais c'est vrai..




Poème



s'il est un quartier
pour le bois ou le riz
pour la foi ou la mort
hirondelle où est celui
des vieilles mères a vendre

au cache-cache
de la vie je suis resté
celui qui cherche
qui n'en finit pas de chercher
dans le village en fête

jetées en flammes
dans l'eau trouble d'un torrent
les amaryllis
feront de leur éclat rouge
l'offrande d'un sacrifice

pour ensevelir
le peigne rouge sang
de ma défunte mère
au Mont de l'effroi je vais
ou sans fin souffle le vent

dans la boîte à ouvrage
le temps a passé
sans qu'une aiguille
entre ma mère et moi ne pût
refermer la déchirure

promise à la vente
l'horloge soudain
se met à sonner
que sous mon bras j'emporte
à travers la plaine morne

lorsque pour mieux voir
je m'apprête à me couper
le coin des paupières
sur la lame du rasoir
se reflète l'horizon

se détachant
des cheveux d'une fillette
ces fleurs empruntées
aux couronnes mortuaires
ont aussi leur langage

jeune milan chante
et toi grillon funèbre
de Shimokita
puisse ma mère dormir
quand je l'abandonnerai

seul don qu'elle fit
à son ménage voici
l'autel familial
à ce point frotté qu'un oeil
de verre s'y peut mirer

des tablettes
funéraires de mon père
les traces de mes doigts
tristement se détacheront
pour s'envoler dans la nuit

afin d'acheter
un nouvel autel familial
ils sont partis
disparaissant à jamais
mon petit frère et l'oiseau

à demi fumée
cette cigarette pointée
vers le nord
où dans l'obscurité là-bas
s'efface mon pays natal

(traduction Alain Colas)