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jeudi 3 août 2023

L’été cruel des yakuzas 3 : Le sens de la mort




13 juin 

A True Story of the Private Ginza Police / Jitsuroku: Shisetsu Ginza keisatsu (1973) de Jun’ya Satô


Je ne m’attendais pas à ce que Jun’ya Satô (Super Express 109) ait signé le film de yakuza le plus violent et désespéré de ma longue série de visionnages. Était-ce possible de dépasser même le maître Fukasaku ? Bien sûr d’autres s’y étaient risqués, comme Sadao Nakajima et son Okinawa Yakuza War (voir ici) avec ses yakuzas enragés en chemise hawaïennes, mais ils ne faisaient que s’inscrire dans le filon du Jitsuroku de Fukasaku. A True Story of the Private Ginza Police (1973) est un film ayant sa propre identité et ne ressemblant à aucun autre. Il s’agit encore d’une histoire de soldats revenant de la guerre, et trouvant dans le crime la seule façon de se réinsérer. 



Lorsque Tsunehiko Watase rentre chez lui et découvre que son épouse est devenue une prostituée, mère d’un bébé métisse noir, fou furieux, il noie femme et enfant dans les eaux sombres coulant sous sa barraque. Cette rivière maléfique, il n’en sortira jamais et deviendra un junky, véritable mort-vivant aux vêtements en loques, accomplissant les meurtres les plus violents pour avoir sa dose. Tsunehiko Watase habitué des rôles de yakuza plutôt sympathique et charmeur chez Fukasaku ou dans Wandering Ginza Butterfly est ici méconnaissable allant plus loin que ses confrères, même le Tetsuya Watari du Cimetière de la morale, dans la folie et la négation de soi.



Noburo Ando incarne quant à lui le yakuza classique, voulant faire de Ginza son territoire. A travers lui c’est le Tokyo de l’après-guerre qui va passer d’une ville sombre de marchés noirs, de prostituées et de barraques de tôles à une cité moderne, gouvernés par de respectables organisations criminelles. 



Il organise le mariage d’un de ses hommes de main mais le tueur fou débarque pour un ultime carnage. Il abat Ando, mettant un point final à ses rêves de pouvoir, comme un passé hideux qui ne voudrait pas disparaître. L’autre figure inoubliable est Tatsuo Umemiya, qui au contraire de Noburo Ando, ne cherche pas à construire quoique ce soit, un clan ou s’intégrer à une société. Pour ce mac élégant, seul compte l’argent et le moment présent. 



C’est lui qui orchestre une des scènes les plus dingues et géniales du yakuza-eiga : l’orgie des malfrats dans une maison close, tourbillon d’argent et de sexe, de surimpression mêlant les corps, de visages en pleine jouissance. Au même moment, le frère maudit, rampe dans les toilettes et crève d’une overdose. Toute l’énergie qui anime ces bêtes humaines est dépensée dans une grande flambée nihiliste.







20 juin

A-hômansu (1986) de Yûsaku Matsuda



Ce film m’a été envoyé par Mohamed Bouaouina, grand fan de Yûsaku Matsuda. A-hômansu (titre que je n’arrive pas à traduire vraiment sinon par « la romance d’un idiot ») est l’unique réalisation de l’acteur culte, et c’est un drôle d’objet. Matsuda interprète un motard sans abri, amnésique, dormant dans des parcs. 




Il semble dénué de peur et insensible à la douleur. Il va nouer une amitié avec un petit yakuza (Ryo Ishibashi d’Audition dans un de ses premiers rôles) défendant son territoire contre des trafiquants de drogues. Le film paraît d’abord l’équivalent années 80 des « mood action » des années 50/60. Ces films, souvent interprétés par Yujiro Ishihara, privilégiant l’atmosphère des boîtes de jazz, des villes nocturnes sous la pluie, et des ports dans la brume. 



Ici c’est le Shinjuku des années 80 comme une cathédrale de néons, des restaurants dans les ténèbres, avec comme seule note de clarté la boutique de la fleuriste dont est amoureux Ryo Ishibashi. 



A-hômansu se présente d’abord comme un film romantique et insolite. Jusqu’à ce que l’on découvre la véritable nature de Yûsaku Matsuda : un cyborg.



Le film bascule alors dans un style expérimental proche de Tsukamoto, Sogo Ishii et Takashi Miike. Par exemple cette série de travelings à toute allure, dans les ruelles d’un quartier de bar, à la poursuite d’un tueur qui meurt en stroboscope surexposé. Il s’agit d’une adaptation d’un manga en un volume de Garon Tsuchiy, connu aussi sous le surnom pittoresque de Caribu Marley, dessiné par Akio Tanaka. 





On pourrait croire que ce mélange de film noir romantique et de Terminator vient de l’œuvre originale, pourtant chez Tsuchiy et Tanaka, le mystérieux étranger Daisuke n’est pas un robot mais un architecte initié par des indiens du Mexique, dans la tradition de Carlos Castaneda. Engagé par le patron d’un club érotique « no panties », le sans-abris amnésique, se retrouve au cœur d’un conflit entre yakuzas.  On considère cette histoire de mémoire effacée et de recherche de soi comme une ébauche d’Old Boy, le manga le plus connu de Garon Tsuchiy. Cette première et seule réalisation de Matsuda, qui après la défection de Koike Yonosuke (Detective Story) a terminé le film en 17 jours, reste un mystère. 




21 juin

The Rapacious jailbreaker / Datsugoku Hiroshima satsujinshû (1974) de Sadao Nakajima



Classique film de « yakuza en prison » (ici celle d’Hiroshima), où Hiroki Matsukata joue une brute épaisse incontrôlable, condamnée à 20 ans, et multipliant les évasions. Lors de sa première évasion, il passe par les toilettes de la prison et en ressort couvert de sang et de merde. Ce qui donne un aperçu du caractère jusqu’au-boutiste du personnage. 



Il se fait par ailleurs arrêter à la sortie d’un cinéma  passant un film de gangster. Sa peine s’allonge, jusqu’à se muer quasiment en prison à vie le rendant encore plus enragé à s’évader. On pourrait même dire que la prison et les évasions font partie du cycle naturel du personnage, tant il ne fait rien pour passer inaperçu. 


Ayant monté avec sa sœur un commerce illégal de viande, il fait par exemple du raffut dans une maison close, ce qui le fait retourner bêtement derrière les barreaux. Le film, par le côté outrancier du personnage, possède une dimension comique comme la scène où Matsukata se dissimule dans une armure de samouraï pour échapper à la police à ses trousses. Tatsuo Umemiya obligeant le directeur de la prison à se déshabiller en échange de la libération d’un otage.



Ou encore cette fin où après une nouvelle évasion, Matsukata marche sur une voie ferrée en croquant dans un énorme navet, image de ces forcenés, aussi drôles que terrifiants, que seule la mort peut arrêter. A noter une évocation franche de l’homosexualité en prison, thématique finalement assez rare.




Matatabi (1973) de Kon Ichikawa




Comme on l’a vu souvent, les ancêtres des yakuzas sont les matatabi, vagabonds qui au XIXe siècle parcouraient la campagne, de tripots en tripots, et offraient leurs services à des seigneurs ou des chefs de gangs. Le statut de matatabi est même un passage obligé pour les jeunes yakuzas, leur permettant d’acquérir de l’expérience et connaître différents chefs de clans.  



Le film d’Ichikawa ne présente pas une société criminelle aussi structurée. Traditionnellement, ses trois personnages du film d’Ichikawa sont coiffés de chapeaux de bambous tressés dissimulant le visage et portent une cape. Ce sont trois jeunes  garçons affamés cherchant avant tout à se nourrir, et acceptant n’importe quelle besogne pour un bol de riz. 



Tourné avec un petit budget, ce film indépendant est un récit sans emphase ni glorification des yakuzas, au combats secs et réalistes. L’un deux pour ce qu’il croit être une dette d’honneur assassinera son propre père et deviendra un maudit, un autre vendra la jeune fille qu’il aime et mourra bêtement en tombant dans un ravin. Ses personnages, un peu bêtes et manipulés, par leurs supérieurs, sont les ancêtres des chinpira des films de yakuzas contemporains. 




30 juillet

La plaie de la balle /  Bullet Wound /  Dankon (1969) de Shirô Moritani



Les films de « hitman » interprétés par Yuzo Kayama pour la Toho sont un pan méconnu du film criminel japonais. On pense d’abord devant La Plaie de la balle à une version nippone de James Bond, le personnage travaillant pour les services secrets, et bien sûr à Golgo 13 et au tireur d’élite Duke Togo. Le design purement Toho, avec ses lignes claires élégantes, son côté acier froid, ses expérimentations modernistes, ouvrent une voie assez inédite, créant un monde de relations internationales encore plus inhumain que celui de James Bond ou Le Carré. Nous sommes peut-être encore davantage dans l’univers à la fois abstrait et struturel d'Antonioni. 



Takimura est un tireur d’élite à la double nationalité  car né aux USA de parents japonais envoyés en camps pendant la seconde guerre mondiale. Il se retrouve au centre d’une collaboration entre les services secrets japonais et américains pour faire échouer une transaction entre la Chine et un marchand d’armes superpuissant du nom de Tony Rose, un nihiliste vendant aussi bien aux blocs de l’est que de l’ouest, et ayant le pouvoir de déclencher la 3e guerre mondiale. 



Un super méchant à la James Bond donc. Lorsque Takimura demande s’il ne serait pas plus simple de le supprimer, on lui répond que les USA et le Japon ont déjà fait appel à lui, et que cela entraînerait la vengeance d’un autre personnage, qui n’est pas nommé mais serait encore plus puissant. 

Il s’agit donc encore une fois, comme dans un jidai-geki, de l’alliance entre deux clans autrefois ennemis, au milieu duquel se trouve un héros déchiré, comme ceux incarnés par Raizo Ichikawa. Il ne manque pas un duel entre tueurs (l’autre étant le génial Kei Sato), filmé dans un immense terrain vague, comme celui de deux rônins chez Kurosawa ou Kobayashi, avec un certain sens de l’absurde rappelant le final de A colt is my passport Takashi Nomura (voir ici). 



La traque de Tony Rose passe au second plan, le véritable sujet étant le hitman lui-même. La double nationalité conflictuelle de Takimura, et son expérience du racisme aux USA, fait écho aux troubles politiques du Japon en 1969 : les manifestations étudiantes contre l’ANPO, le pacte américano-nippon, dont l’apparition est surprenante à l’intérieur d’un film s’annonçant comme un divertissement plus lisse. Sans réelle identité, taiseux, et appartenant bien plus à la mort qu’à la vie, Takimura se retrouve lié à une jeune femme n’appartenant pas à son monde. 


Au début du film, échappant à un assassinat, la balle perdue vient blesser à la cuisse une jeune fille (Kiwako Taichi, la jeune femme-chat de Kuroneko de Kaneto Shindo). C’est une sculptrice dont le projet est de s’exiler dans une terre désertique de la cordillère des Andes, là où se trouve les plus belles pierres à sculpter. 



Avec elle, Takimura va lui aussi rêver de s’évader de l’archipel et faire table rase de ses identités. La plaie de la balle forme un diptyque de « films de hitman existentiels » avec Death Above sun Below de Hiromichi Horikawa (voir ici), également écrit par Hideichi Nagahara. On lui doit de très poétiques dialogues entre Takimura et Saori. 

« J’ai vu les yeux de quelques morts. Ils sont tous les mêmes, ils cherchent quelque chose. Je suppose qu’ils cherchent le sens de la mort. »



dimanche 23 juillet 2023

23 juillet : Strane giornate a Roma



L'encre dans la peau



Le catalogue de l’exposition « Tatouages du monde flottant », au musée départemental des arts asiatiques à Nice est sorti. J’y ai écrit un texte sur (évidemment) les tatouages dans les films de yakuzas. J’y étudie pourquoi le tatouage n’apparaît pas dans les films de « gurentai » des années 50, et en quoi son apparition change radicalement la nature du genre. J’aurais l’occasion d’y revenir dans un prochain épisode des « saisons des yakuzas ». 



Cette fascinante exposition, qui se tient du 1er juillet au 3 décembre, retrace 300 ans de figures tatouées. 



Et si je devais choisir un tatouage, lequel serait-ce ? Peut-être Inari le dieu renard car le premier nom de ma famille, il y a quelques siècles était "Goupil".
 

Sur l’étagère de Rina Yoshioka


La nouvelle livraison de Tempura (été 2023) s'intéresse au « Vintage ». J’ai consacré un article à Rina Yoshioka, mon artiste japonaise contemporaine préférée. Rina nous fait visiter son atelier, et les objets et images qui l’inspirent. Ce n’est pas seulement le chrame « rétro » qu'elle retient dans les magazines érotiques des années 60 et 70, mais très concrètement comment représenter les corps des femmes vivant en ce temps-là. C’est donc de la dimension documentaire et sociologique de sa peinture dont j’ai discuté avec Rina.


Une des dernières œuvres de Rina : cette femme en rouge dans un quartier de bars, veillée bien sûr par un chat débonnaire.




Nella Città dell'Inferno



Je vais passer quelques jours à Rome, devenue le temps de la canicule (entre 37° et 43°), la città dell'inferno. Je me réfugie dans la fraicheur de ses musées, pour assouvir une de mes passions : la statuaire gréco-romaine. J’aime particulièrement les bustes d’hommes politiques, de guerriers ou de simples notables, car derrière chacun se trouve un homme qui a vécu il y a plusieurs milliers d’années de cela. Comment ne pas penser qu’ils nous regardent à travers les siècles et jugent sévèrement notre époque ? 



A Rome, je ne m’intéresse pas spécialement au Japon, mais plutôt aux fumetti, les petits formats des aventures de Diabolik ce Fantômas italien baroque et glamour, ou de Dylan Dog, le romantique détective de l’occulte dont la France a toujours raté la publication. Bien sûr, je rends hommage à Valentina, la  belle milanaise dont j’achète rituellement un album à chaque voyage.



Pourtant dans la librairie de la gare de Roma Termini, je ne peux m’empêcher de photographier les mangas qui s’étalent par centaines, me rappelant que l’Italie a été bien en avance sur la France dans ce domaine. 



Il n’y a qu’à voir les éditions des chefs-d’œuvre de Ryoko Ikeda qui s’étalent sur plusieurs rayonnages alors que chez nous on ne trouve que La Rose de Versailles et Très cher frère, ce dernier épuisé depuis des années.









Crimes et pastèques

Quoi de plus agréable que de regarder en été un de ces films de « mystery » des années 70, que l’on pourrait aussi appeler « film de village maudit » ou « giallo campagnard japonais ». Bannai Tarao - The Tragedy in the Devil-Mask Village (1978) de Kazuhiko Yamaguchi, est une production Toei essayant de profiter du succès des adaptations des romans de Seishi Yokomizo. Akira Kobayashi interprète Bannai Tarao, un détective (en apparence) cacochyme, as du grimage (dont la plupart ne tromperaient pas un enfant de cinq ans), enquêtant sur des meurtres d’héritières dans la campagne reculée. Lorsqu’il se déguise en chauffeur de taxi borgne, il ne peut s’empêcher de mettre dans son autoradio une cassette… d’Akira Kobayashi. 


Kazuhiko Yamaguchi est le réalisateur de la géniale série Delinquent Girl Boss avec Reiko Oshida, et de plusieurs films de karaté avec Sonny Chiba. Il se montre particulièrement inspiré dans ce whodunit, dont les décors de studio et les crépuscules flamboyants ne dépareraient pas chez Nobuhiko Obayashi.


Un même rouge-sang teinte les pastèques, les kimonos des poupées diaboliques, et les masques des démons.

Les meurtres sont orchestrés avec une maestria toute italienne, en particulier celle d’une jeune fille amatrice d’automate, dont la pendaison "suspiriesque" fait appel à tout un système de cordes et de poulies, telle une de ces « mécaniques fatales » chères à Kiyoshi Kurosawa.



La signature du tueur est un masque de la démone Hannya, bien connue des amoureux d'Onibaba.



The Tragedy in the Devil-Mask Village bénéficie également d’un superbe générique « démoniaque » faisant intervenir une troupe butô, probablement celle de Tatsumi Hijikata. 







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Photo d'ouverture de Shorato Akemiya