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vendredi 2 août 2019

Les Musiciens de Gion et le crépuscule des geishas


Il y a deux geishas dans Les Musiciens de Gion (Gion bayashi, 1953) de Mizoguchi : la plus âgée, Miyoharu (Michiyo Kogure), symbolise l’« avant » et la jeune Eiko (Ayako Wakao) l’« après ». Il s’agit de l’avant et de l’après-guerre mais plus généralement du monde traditionnel et du monde moderne. Ce Japon contemporain est celui de la constitution, des hommes d’affaires, des industriels et des contrats. 
Que deviennent alors les geishas, ces femmes censées représenter l’apogée de la beauté japonaise ? Elles ne disparaîtront pas mais serviront de monnaie d’échanges entre les hommes de la nouvelle société. La patronne de la maison de geisha, qui n’est rien d’autre qu’une maquerelle affiliée aux hommes de pouvoir, prête de l’argent à Miyoharu pour que celle-ci achète une parure luxueuse à sa protégée Eiko lors de son intronisation comme geisha. L’endettement a pour but de pousser Miyoharu dans le lit d’un homme d’affaire et permettre la signature d’un contrat juteux. La geisha, sous une forme dénaturée, entre dans l’économie du capitalisme japonais en devenir. Le système hiérarchique traditionnel séparant les femmes de l’art et celles vouées au plaisir des hommes n’est plus qu’une fiction et la geisha se confond désormais avec la prostituée.
Cette dégradation est signifiée par l’un des plans les plus violents de Mizoguchi. Dans une chambre d’hôtel de Tokyo, un haut fonctionnaire se jette sur Eiko pour la violer. La jeune fille tombe et un panoramique la rattrape à travers l’ouverture de la cloison semblant fermée par des barreaux. 
La geisha, parée, coiffée et maquillée, est jetée au sol, recadrée comme simple objet de plaisir à prendre et emprisonnée. Eiko mordra pourtant l’homme jusqu’au sang, lui arrachant presque la lèvre. 
La geisha de l’« après » se montre ainsi la plus rebelle, prête à combattre pour défendre son statut, tandis que  Miyoharu capitule.
Le film s’achève sur un statuquo : Miyoharu, ravalée au rang de courtisane, continuera à se faire entretenir par cet homme qu’elle n’aime pas, et sans doute par d’autres, permettant à sa cadette d’incarner la pure geisha. Mais Eiko n’est qu’une poupée, une publicité nécessaire aux superstructures se réclamant du Japon traditionnel. 

Mizoguchi n’avait cependant jamais été dupe de ce mensonge et du destin de prostituée de la geisha. Dès 1936, il achevait Les Sœurs de Gion par les sanglots d’Isuzu Yamada : « Pourquoi faut-il qu'on nous fasse tant souffrir ? Pourquoi faut-il qu'il existe une profession comme celle de geisha ? Pourquoi faut-il que ça existe ? Tout ça, c'est une grossière erreur ! Ça ne devrait pas exister ! Vraiment, ça ne devrait pas exister. »