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mardi 31 janvier 2023

Le noir Paraiso de Suehiro Maruo


Suehiro Maruo est réputé pour être un maître de l’ero-guro (l’érotisme grotesque) à l’imagination sans limite. Nous avons frémi aux spectaculaires horreurs de L’île panorama et Le Diable en bouteille tout en sachant que les monstres qui les hantent sont d’abord des démons de l’esprit. Paraiso, célébrant les quarante ans de carrière du mangaka, dévoile une autre facette de son art : ici, l’horreur est ancrée dans le réel et prend pour cadre le Japon ravagé par les bombardements et l’immédiate après-guerre. Elle ne nait plus de fantasmes macabres délirants mais d’une approche historique et documentaire, et s’exerce en premier lieu sur les enfants, éternelles victimes de la cruauté des hommes.




Le Japon d’après-guerre : le crépuscule des dieux

Le Tokyo des années trente était une cité prospère, ouverte au progrès et l’un des foyers intellectuels et artistiques de l’Asie. La guerre en a fait un champ de ruines où tente de survivre un peuple en haillons. Les hommes reviennent mutilés ou traumatisés, les orphelins sont livrés à eux-mêmes, et de très jeunes filles se prostituent. Dans ce chaos, rodent des prédateurs prêts à tout pour en tirer profit, aussi bien économiquement que sexuellement ou idéologiquement.



Les ruines du pays étaient autant matérielles que spirituelles. La capitulation d’Hirohito le 15 août 1945 s’était accompagnée d’un renoncement à sa nature divine. Lorsque le Japon s’ouvrit à l’Occident pendant l’ère Meiji (1868-1912), l’empereur fut placé à la tête de la nation pour en assurer l’identité. Sa divinisation était la clé de voûte d’une puissante opération de propagande visant à en faire le descendant direct d’Izanagi et Izanami,  les divinités fondatrices du Japon. Dans les manuels des écoliers, cette généalogie n’était pas enseignée comme une allégorie mais comme un fait historique. Mourir pour la patrie, en projetant son avion sur les navires américain, participait d’une dévotion quasi mystique au souverain. La défaite laissa donc les Japonais désemparés, et en fit littéralement un peuple sans dieux. Pour survivre, ils allaient devoir adopter les mœurs de l’occupant américain dont le but était de « déféodaliser » leur pays et le transformer en une nation moderne, démocratique, accordant entre autres le droit de vote aux femmes.

Fallait-il pour autant rejeter tout de l’ancien Japon, et en particulier les cultes shintos et bouddhistes, désormais entachés de crimes de guerre ? Le catholicisme allait-il devenir, comme souvent, l’instrument d’une acculturation ? Dans une case de Paraiso, la tête d’un Bouddha décapité est effondrée au milieu des ruines comme l’annonce de la chute des anciens dieux. Le prêtre qui traverse ce paysage pense : « Le Bouddhisme est une religion de barbares. Seul le catholicisme détient la vérité. Les Japonais finiront par devenir les serviteurs de Dieu. »



La religion chrétienne n’était pas étrangère au Japon : au XVIIe siècle, des jésuites portugais, basés à Nagasaki, menèrent une mission d’évangélisation. La répression des catholiques japonais par les shoguns, l’une des plus violentes de l’histoire, est relatée dans le film Silence (2016) de Martin Scorsese d’après le roman de Shusaku Endo.


Le temps était-il venu pour les missionnaires de prendre leur revanche ? Contre l’enfer terrestre qu’était devenu le Japon, le catholicisme proposait le concept de martyr, soit la sanctification par la souffrance, et un séduisant « Paraiso » immaculé. Suehiro Maruo est né précisément dans le département de Nagasaki en 1956. Cet élément biographique pourrait-il expliquer la récurrence des motifs catholiques dans son œuvre ? 


Maruo ne résume pas toute l’horreur de l’époque au seul Japon. Paraiso s’achève en Pologne avec deux récits : Monsieur le Hollandais et La Vierge Marie, narrant le martyre du légendaire Maximilien Kolbe. Ce frère franciscain, fondateur en 1931 du Jardin de l'Immaculée près de Nagasaki, retourna en Pologne et fut déporté à Auschwitz en 1941. Ayant pris la place d’un prisonnier condamné à mourir de faim et de soif, Kolbe aurait survécu trois semaines grâce la prière, avant d’être exécuté avec une piqure de phénol. Dans Monsieur le Hollandais, l’esprit miséricordieux de Kolbe incite un jeune garçon à se montrer charitable avec les blessés d’un bombardement. 



Dans La Vierge Marie, c’est une image de la Vierge, offerte par un déporté dessinateur de bandes-dessinées, qui aide Kolbe à transcender son martyr. Ainsi, c’est le dessin lui-même qui fait office de relique sacrée. On peut-y lire la profession de foi de Maruo envers la bande-dessinée qui, pour l’enfant turbulant et un peu délinquant qu’il était, fit office de rédemption. Dans Paraiso, la seule évasion des enfants hors de ce monde de terreur est la lecture de Lost World, le manga d’Osamu Tezuka inspiré de Conan Doyle.

 

Entre néo-réalisme et surréalisme

Maruo absorbe les références cinématographiques ou littéraires pour nourrir son œuvre. Dans Paraiso, il puise au cinéma néo-réaliste né en Italie au sortir de la guerre.

La première case de Vagabonds de guerre compare les ruines de Tokyo à celles de Berlin. « Tokyo est minable jusque dans ses ruines » écrit Maruo. Ces visions d’une ville ravagée et de ses enfants perdus évoquent Allemagne année Zéro (1948) de Roberto Rossellini et la destinée tragique du petit Edmund dans le Berlin d’après-guerre. Les pickpockets juvéniles rappellent ceux de Paisa (1946) : un GI se faisant dérober ses rangers par un enfant romain découvrait que ses parents avaient péri sous les bombardements alliés. Le Tokyo de 1949 a trouvé une représentation saisissante dans Chien enragé (1949) de Kurosawa où un policier traverse les quartiers de bidonvilles et son peuple de damnés. Un même néo-réalisme est à l’œuvre dans la littérature japonaise d’après-guerre et le mouvement de la « littérature de la chair ». Dans L’Idiote (1946), Sakaguchi Ango décrit une passion animale dans une ville enflammée par les bombes et La Barrière de chair de Taijiro Tamura (1947- adapté par Seijun Suzuki en 1964) documente la vie des prostituées racolant dans les décombres. Ce courant littéraire moderne, violent et transgressif, attaquant tous les tabous tels que l’inceste, le sadomasochisme, le cannibalisme ou la défiguration, alimente l’horreur réaliste de Paraiso. La critique d’une religion corrompue avec ses curés dissimulant leurs perversions sous leurs soutanes entraîne Maruo du côté du cinéaste surréaliste Luis Bunuel. 



Le récit Diabolique présente un curé pédophile aux allures de démon. Lorsque des mendiants s’introduisent dans l’orphelinat pour festoyer, se déguisent en religieuses et parodient la Cène, Maruo reproduit la célèbre orgie blasphématoire de Viridiana (1961). Quant aux bandes d’enfants, elles rappellent celles des quartiers de pauvres de Mexico dans Los Olvidados (1950). Luis Bunuel et Maruo partagent la même cruauté dans cette image brute, et parfois hallucinée, d’une enfance perdue entre délinquance et maisons de correction.

 

Une comédie inhumaine

Parallèlement au néo-réalisme, Maruo ne délaisse pas l’ero-guro qui a fait sa réputation.

Maruo poursuit certaines de ces obsessions telle l’androgynie avec ses garçons et filles aux physiques neutres, facilement interchangeables. La petite Tarô dans Vagabonds de guerre se fait passer pour un garçon, sans doute pour éviter de se faire violer. Parallèlement, dans Dodo l’enfant do, un garçon se travesti en marchande de fleur, pour mieux vendre sa marchandise. La crise d’identité que connait alors le Japon perturbe également les genres. Personne n’est vraiment ce qu’il parait.



La culture de Maruo dans le domaine de l’horreur, autant au théâtre qu’au cinéma, est foisonnante. Dans le terrifiant Dodo l’enfant do, une créature au visage mutilé, vêtue de noir et tenant un bébé dans les bras, hante les décombres. Son origine obscure en fait une légende urbaine semblable à la fameuse « femme défigurée » des années 1980. Les rumeurs circulent parmi les enfants : était-elle l’épouse d’un professeur d’université, une professeure de shamisen ou la patronne d’un restaurant ? Son visage au nez tranché lui donnant l’apparence d’une tête de mort s’inspire du maquillage de Lon Chaney dans Le Fantôme de l’opéra (1925) de Rupert Julian. Lorsqu’elle suce le doigt blessé d’un enfant, elle reproduit le geste du Nosferatu (1922) de Murnau. Le bébé momifié qu’elle transporte en fait une mère d’outre-tombe, telle Oiwa-san le plus célèbre des fantômes féminins du kabuki, à l’origine du cinéma d’horreur japonais et qu’interprète la mère des enfants dans Tomimo la maudite. Cette créature nous l’avions aussi croisée dans Vampyres : l’ogresse dont la bouche carnassière était calquée sur celle d’Hanya la démone du théâtre nô.



Ce ne sont pas les seules auto-références dont Maruo parsème Paraiso. Sayo Matsumoto, la petite fille abusée par un prêtre dans Diabolique ressemble comme deux gouttes d’eau à Tomimo. Dans Paraiso et Tomimo la maudite, un même vieillard à la barbe blanche a pour mission d’attirer les enfants dans un orphelinat catholique. Dans les deux mangas, les jeunes héros ont des visions hallucinées du martyre des premiers chrétiens de Nagasaki. Comment se nomment d’ailleurs les derniers chapitres de Tomimo la maudite ? Tout simplement Paraiso. Se recoupant sans cesse, les œuvres de Maruo forment une véritable comédie inhumaine du Japon.

 

Le peintre des enfers



En quoi le style de Maruo a-t-il changé au cours de ses quarante ans de carrière ? Dans La Jeune fille aux camélias, Yume no Q-saku ou Le Monstre au teint de rose, ses décors étaient stylisés comme sur une scène de théâtre. Son art s’exerçait alors sur les phénomènes de foire et les créatures baroques. La composition même des maisons japonaises, avec leurs tatamis, futons et cloisons de papier, inclinait à cette théâtralité. Pourquoi élaborer des architectures complexes alors que le centre du récit était une inimaginable chenille humaine ? Au fil du temps, le dessin de Maruo a gagné en rondeur, l’éloignant de la violence viscérale de ses premières planches où sa plume semblait griffer cruellement la feuille de papier. Sa technique s’est évidemment enrichie et les cases éparses de villes, reproduites d’après des photographies d’époque, ont laissé place à de vastes panoramas. L’un des jalons de l’appropriation du décor par Maruo est d’ailleurs L’Île panorama où il élabore un vertigineux paysage, une végétation luxuriante et des édifices au-delà de la raison. Peut-être fallait-il à Maruo un décor qui soit lui-même un monstre décadent pour l’amener à élargir son champ de vision. Dans L’Enfer en bouteille, l’île grouillantes d’insectes, de créatures marines et de fruits exotiques est également un espace mental : l’expression de l’amour incestueux du frère et de la sœur. Tomimo la maudite rappelle La Jeune fille aux Camélias mais le récit est cette fois contextualisé : le quartier des théâtres d’Asakusa pendant les années 40, avec ses façades et banderoles est désormais restitué avec une précision maniaque. Les personnages, toujours aussi insolites, sont désormais intégrés au Japon et à son histoire. Paraiso est l’accomplissement de cette mue : de fantasmagorique, l’art du mangaka est devenu documentaire. Les grandes planches éclatées où il lâchait la bride à son imaginaire érotique laissent place à un découpage plus classique. Nous sommes rivés au sol avec les personnages et traversons un monde littéralement dantesque et clos sur lui-même, qu’il s’agisse de Tokyo ou du camp d’Auschwitz : cet enfer sur terre, est la création de l’homme lui-même, et Maruo devient son peintre halluciné, tel un Jérôme Bosch des temps modernes.

 


Ce billet est la version longue du texte que j’ai écrit pour le Dossier de presse de Paraiso.

mercredi 11 novembre 2020

Je voyage dans ma bibliothèque japonaise : Haunted Mansion de Senba Ryuei, illustré par Maruo

Né en 1952, Senba Ryuei était considéré comme un des grands espoirs, du Tanka, forme de poésie japonaise courte où s’illustrât notamment Terayama. 

Sa particularité était de mêler à la forme traditionnelle de l’argot et des termes de la sub-culture de l’époque. Un de ses recueils les plus connus se nomme Moi, le joli lièvre de mars. Il collabore ensuite avec Araki pour Une boutique de fleurs dans un cimetière. 


Senba Ryuei abandonna la poésie et se tourna vers l’écriture de récits d’horreur, avant d’être miné par l’alcoolisme et de mourir en 2000 à l’âge de 48 ans. 


Le recueil eroguro Haunted Mansion (1990), également nommé Horned Mansions, est illustré par Suehiro Maruo. On y trouve la nouvelle La Maison de Momogen, où une femme essaye d’atteindre le plaisir sexuel en se recouvrant de vers de terre. Dans La Maison des putes, un poète qui poursuit la "beauté spasmodique de la peur" assassine les sœurs de sa maîtresse et les transforme en figures de cire.


Dans Moi, le joli lièvre de mars, on trouve ces vers :

Au milieu de la nuit, quand la pluie tombe, les cadavres brûlent en attendant l’aube des morts

Quelques centaines de millions de personnes dans le noir, mangent et boivent jusqu'à ce que leur langue s'engourdisse à minuit

Sous les tropiques, les papillons de nuit se dissolvent, les bêtes fondent et la nuit les gens deviennent fous.


dimanche 2 avril 2017

Necronomidol : Psychopomp


Les Necronomidol sont les chamanes de la J-pop : cinq jeunes filles de moins de 20 ans qui depuis 2014 mixent les chants emo des idoles, avec du métal et de l’électro. Les vraies racines de Necronomidol sont cependant plus anciennes et puisent dans les musiques de JA Seazer pour Shuji Terayama. Ce fameux angura. On adore bien sûr la farouche guerrière Risaki Kakizaki et ses pointes de cheveux rouges comme du sang séché, mais l’idole immédiate est Sari avec ses cheveux verts et son araignée sur la joue. Necronomidol est à la base un projet hybride puisqu’initié par Ricky Wilson, un producteur américain suite au succès de groupes alternatifs comme Baby Metal. D’où peut-être sa nature davantage underground que mercantile et son respect de l’intégrité de ses musiciennes. Les Necronomidol sont autant des chanteuse que des actrices autour desquels s’élabore un concept empruntant à Suehiro Maruo, à Lovecraft et aux croyances shinto. 
Dans Psychopomp, l’un de leurs plus beaux clips, elles sont mises en scène par le photographe Dan Szpara à Aokigahara, la fameuse forêt des suicidés. On croit d’abord à des images fixes, déjà fascinantes, avec ces lichens verdâtres et mordorés couvrant les troncs d’arbres, mais si on y prête attention, il y a toujours un frémissement dans l’image : une touche de lumière vibrante, des feuilles d’herbes, des insectes… Les Necronomidol apparaissent une à une, elles-aussi immobiles, comme intégrées à cette vie séculaires. Elles ne chantent pas et ne sont jamais réunies. Chacune est découpée en plans de mains, de jambes, de cheveux, comme si elles entraient dans un monde dont le visage n’était plus le centre et dont le temps humain n’était pas non plus la mesure. Si la forêt les entoure, elles sont comprises entre deux motifs : un crâne de cerf blanchi et ce tapis de feuilles d’automne gorgé d’humidité. Les jeunes filles magiques mènent ainsi cette vie parallèle, entre l’os ayant atteint son point inaltérable et les matières organiques en décomposition.


















jeudi 14 janvier 2016

Le cabinet de curiosités du Docteur Maruo



Das Ungetum des Rosenstck (le monstre du rosier)

Les livres de Suehiro Maruo sont des collages hallucinés, mais cohérents, d’influences. Publié en 1982, Das Ungetum des Rosenstck est un condensé de l’art du dessinateur et de ses obsessions.
Tout d’abord le vampire, avec la reprise de 3 interprètes de Dracula :
Bela Lugosi (chez Tod Browning) et Udo Kier (chez Paul Morrisey) se partagent la couverture.


Klaus Kinski (chez Herzog) apparait dès les premières pages. 


Le vampire c’est bien entendu Maruo lui-même qui «vampirise» les images des films, des peintures, des affiches et les «maruorise».
Ainsi, l’histoire qui ouvre le livre est un remake du Cabinet du Dr. Caligari.

On reconnait bien sûr les images, icônes de l’histoire du cinéma, mais celles-ci sont déjà légèrement modifiées par le trait fin et cruel de Maruo. Caligari est bien moins ébouriffée que Werner Krauss, mais ressemble aux bourgeois japonais pervers du dessinateur. La plus remarquable métamorphose est celle de Cesare le somnambule. Maruo a également affiné les traits de Conrad Veidt, accentué son androgynie, pour aboutir à l’image d’un adolescents pervers et fardé. 


Cesare ne se contente pas d’enlever les jeunes filles au-dessus des toits, il leur offre aussi un baiser sur l’œil, obsession du dessinateur. Cette langue dardée dans la pupille d’une jeune fille, nous entraîne encore ailleurs chez le George Bataille d’Histoire de l’œil. 


L’hôpital psychiatrique de Caligari devient alors la clinique où est enfermée Marcelle, le souffre-douleur du narrateur et de Simone. Et dans cette clinique, la jeune fille est brisée sur les genoux de l’inquiétante directrice comme l’adolescente de la Leçon de guitare de Balthus.


Le plaisir que l’on prend aux œuvres de Maruo vient pour une part de la reconnaissance des œuvres citées. Il ne s’agit pas tant de se sentir un «initié» que de retrouver la dimension fantasmatique de l’image : lorsque l’image de film n’était pas encore rattachée à un récit mais valait pour elle même. Maruo réintroduit dans les images cette charge d’inquiétude et d’érotisme.
Das Ungetum des Rosenstck contient également une première version de l’histoire de Midori, la jeune fille aux Camélias.

Maruo aime l’expressionnisme pour les cauchemars en noir et blanc, le blafard et les monstres fardés. Le Conrad Veidt des Mains d’Orlac de Robert Wiene se retrouve coiffé d’une casquette d’officier. Que veulent alors dire ses mains crispées ? Quelles tortures, quelles perversions contre-natures ont-elles infligées ?




Cesare, l’assassin somnambule, est le frère des adolescents pervers de Vampyres ou Yume no q-saku. Il faudrait aussi tisser l’intertexte entre Dogra Magra, le roman effrayant de Yumeno Kyûsaku (l’écrivain dont le nom déformé donne son titre au recueil de Maruo) et les romans de maisons de fous qui sont en genre littéraire nippon en soi, et le Cabinet du Docteur Caligari qui pourrait s’y rattacher. Maruo ne nous fascine pas seulement par son traits précis et décadents ou par ses phantasmes, mais aussi par la logique de l’agencement de ses références. Ce ne sont pas les excès sexuels ou sanglants qui nous poussent à entrer dans l’univers de Maruo mais la possibilité d’avoir accès à une culture : celle de ces japonais férus de surréalisme, d’arts décadents, lecteurs de Sade et de Bataille. Parcourir les rayons des bouquinistes de Tokyo permet d’avoir un aperçu de ce continent caché, mais toujours vivace.


 


L’art de Maruo est un art de l’hybridation, de la reprise d’images qu’il intégre à son univers. Revenons à la figure du vampire et surtout à Klaus Kinski dans le Nosferatu d’Herzog. Sans peut-être qu’il en ait pleinement conscience, ce qui touche Maruo est le maniérisme où s’inscrit déjà Herzog, recréant le Nosferatu de Murnau. Maruo a-t-il eu connaissance de l’affiche de Paladin, très proche de son style ? Ou encore de celles de Druillet pour Rollin qui "vampirisent" celles de Mucha ? 


Le Nosferatu d’Herzog, n’est pas l’aristocrate de Browning ou Fisher, ni même le squelette vivant de Murnau. C’est une larve blanchâtre d’avoir fuit trop longtemps la lumière du jour. L’alliance du mal et de la difformité, la représentation de monstre vicieux comme des insectes inquiétants, est une constantes de l’ero-guro et des récits d’Edogawa Rampo.


Dans ses mangas ou ses illustrations, Maruo reprend des procédés cinétiques, comme la décomposition de mouvements. Ici, la descente du vampire, comme une chauve-souris vers sa proie. Une façon de réinsuffler le mouvement aux images. Car Maruo ne reprend jamais les images pour les figer à nouveau, leur édifier des autels fétichistes, il leur insuffle une vie nouvelle, qui est celle de ses fantasmes.


Parmi les influences ou communautés artistiques où l’on peut inscrire Maruo, il y a bien entendu Clovis Trouille (1889-1975), qui partage avec lui l’amour des vampires, du sadisme et des collages. Une toile de Trouille est un espace fantasmatique où s’agencent les figures aimées, où volent les chauve-souris comme de petits esprits bienveillants.






Dans Le vampire d’ornella Volta (livre qui fut peut-être en possession de Maruo, tant on en retrouve les illustrations dans son œuvre), quelques dessins de l’étrange Alberto Martini (1876-1954) dont La Vénus exhumée. Nosferatu, quelques aristocrates et peut-être même Arsène Lupin, exhument le corps d’albâtre d’une belle morte. Martini, lui-aussi use du collage pour créer un roman noir imaginaire.





Une vue plus large de La vénus exhumée. La gravure date de 1904, soit 18 ans avant Nosferatu de Murnau !


Mossa (1844-1926) est un peintre du début du siècle et que l’on peut rattacher à l’art nouveau. La vision d’un Pierrot assassin, éphèbe équivoque, sur une place 1900 m’évoque Maruo. Je ne sais pas, évidemment, si ce peintre niçois est connu au Japon, mais je le rattache au «deviant art» nippon pour le caractère kawai de ses personnages féminins au visage rond, et aux grands yeux, plongés dans des univers morbides. On trouve également chez Mossa des décompositions cinétiques.



 




Les images de ce billet viennent d'éditions japonaises de Maruo. On peut les retrouver dans les ouvrages édités par Le Lézard Noir : Ranpo Panorama et Le Monstre au teint de rose.


Le site de l'éditeur ici . 

On trouvera sur le blog Au carrefour étrange les illustrations de Jean Marembert pour Champavert de Pétrus Borel. Tout simplement Maruo en France en 1947.