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jeudi 24 mars 2022

Devant mes yeux le désert de Shuji Terayama

 



Boxe et poésie à Shinjuku

De toute l’œuvre cinématographique de Shuji Terayama, seul Le Labyrinthe d’herbe dans la très belle version traduite par Chris Marker est disponible en complément du coffret Sans soleil chez Potemkine* (voir ici). Sa filmographie comptant à peine six longs métrages et 16 courts métrages serait totalement inconnue sans sa présence sur certains sites pirate et cinéphiles proposant des sous-titres anglais puisqu’elle demeure aussi inédite dans les pays anglosaxons. Autrefois l’un des artistes japonais les plus en vue à l’étranger, Shuji Terayama (avec Susumu Hani) est bien devenu le grand inconnu du milieu artistique des années 60 et 70. Une situation d’autant plus aberrante que son iconographie fascinante et sa production multimédia touchant autant au théâtre qu’à la poésie et la photo, seraient plébiscitées par la jeune génération à l’égale de celle d’un Jodorowsky.

Heureusement, du côté de la littérature le constat est moins amer puis que les éditions Inculte (voir ici) ont réédité Devant mes yeux le désert (1966) sa seule œuvre romanesque parue en France en 1973. On retrouve peu l’univers ésotérique et carnavalesque développé par Terayama dans son théâtre ou ses films comme Cache-Cache pastoral ou Le Labyrinthe d’herbes. Ici pas de chamane borgne, de phénomènes de cirque ou d’écolier fantomatique, mais le Tokyo des années 60 et en particulier la faune du quartier de Kabukicho à Tokyo, lumpen semi criminel allant du yakuza à l’hôtesse de club érotique. C’est dans la peau d’un Jean Genet nippon que se glisse Terayama pour décrire ce petit monde, avec comme place central une salle de boxe. 



En effet, ce sport a tenu une place importante dans la vie de l’auteur, qui le pratiqua, en fut le commentateur et lui consacra son seul film de studio, le très beau The Boxer (1976). L’avant-garde de Terayama (et japonaise en général) n’est absolument pas délétère mais compose avec les thèmes de la vitalité, de la santé et d’une virilité toujours trouble. Le livre suit le parcours de deux jeunes garçons : Shinji, petit délinquant qui cherche la célébrité, et Kenji alias « la tondeuse », bègue pour qui la boxe est un chemin de croix. Autour d’eux, le Shinjuku des années 60 que Terayama décrit par fragments : collage de poèmes, de paroles de chansons, de coupures de journaux ou de journaux intimes comme celui de Taichi Miyagi, quadragénaire tourmenté par son homosexualité. Ces digressions dressent le portrait fragmenté d’une ville électrique, agitée par la fièvre créatrice et politique de la jeunesse. Une énergie telle qu’elle s’exprime autant dans la poésie (les tanka ces poèmes courts qui ouvrent chaque chapitre) que sur le ring, le théâtre ou le cinéma.



* Je suppose qu’un DVD antédiluvien des Fruits de la passion production française d’Anatole Dauman doit exister.

 

samedi 25 décembre 2021

Mikami Kan, guitare au poing de Benjamin Mouliets



Si on explore les chaînes Youtube consacrées à la chanson japonaise, impossible de manquer Mikami Kan : crâne rasé, visage marqué de voyou, et surtout un chant rocailleux qu’on pourrait rapprocher de Tom Waits. Si l’on regarde une de ses vidéos live, on est marqué par aussi par sa façon de chanter debout, râblé, en brutalisant sa guitare.



Est-ce du folk, du blues, du punk, une sorte de free jazz ou encore autre chose ?

Une chose est sûre, on a envie d’en savoir plus sur le personnage et sur sa musique. Mikami Kan, guitare au poing de Benjamin Mouliets, est autant une biographie qu’un voyage à travers l’angura (underground) japonais des années 70 jusqu’à nos jours.

Un livre qui semble avoir été conçu dans les petits bars de Golden Gai à Shinjuku qui portent en eux cette mémoire.

La première donnée importante est la région où Kan vient au monde en 1950 : la préfecture d’Aomori, mythique pour être également celle des deux figures fondatrices de  l’Angura, le dramaturge Shûji Terayama et de l’inventeur de la banse butô Tatsumi Hijikata. Le cri de Mikami est fortement relié à cette terre paysanne froide, rude, empreinte de mysticisme mais c’est à Tokyo, marchant sur les traces de son mentor Terayama, qu’il fera ses débuts de poète et de chanteur alors qu’il est âgé d’une vingtaine d’année. Ce qui fascine dans le livre de Benjamin Mouliets est le caractère épique de cette destinée : Kan devient une sensation des festivals folks, signe sur des labels prestigieux, ne connait pas le succès, tente un virage commercial, se décourage, connait la dépression, devient un chanteur itinérant sillonnant les petites salles du nord du Japon, bifurque en acteur de films pinks et de yakuzas… et il n’a pourtant que 27 ans, et d’autres aventures artistiques et humaines aussi chaotiques l’attendent  !



Parmi les étrangetés de cette vie hors du commun, la révélation quasi mystique qu’il eut, alors qu’il était au fond du trou et dépressif, devant Big Wenesday (1978), le film de surf de John Milius. « Cramponné à son siège, il n’en finit pas de pleurer. Il retourne voir le film trois fois d’affilée, et tire de ses séances un enseignement vital de la bouche de Bear, le gourou devenu clochard céleste. « Ce n’est pas de l’imprudence, c’est défier le destin. » (…) « Un simple garçon de plage avait traversé le temps et l’espace pour toucher un simple garçon de la côte de Tohoku. »



Benjamin Mouliets explore toutes les facettes de la vie de Kan avec la même curiosité, considérant que même le cinéma pink, creuset d’activisme politique et de recherche formelle, fait partie de son œuvre au même titre que sa carrière musicale. Mais il y a aussi ses liens avec l’illustrateur eroguro Toshio Saeki qui dessine ses premières pochettes, ou sa participation à des mangas undergrounds, qui font de Kan une passionnante personnalité transmédia. Une figure transpolitique aussi qui, tout en éclosant en pleine période contestataire, voue une admiration jamais démentie à Mishima et côtoie des personnalités d’extrême-droite.




Ce qui concerne la musique de Kan est cependant la partie la plus dense de l’ouvrage. Kan est défini comme un « chanteur passionné », catégorie désignant un chant chargé d’émotion et outré, proche du sanglot parfois. Son genre d’origine n’est cependant pas le folk où il a été rangé souvent faute de mieux mais la enka, la musique sentimentale japonaise qui connait un renouveau dans les années 60. Kan est ainsi un grand admirateur d’Akira Kobayashi, un des jeunes premiers "rebelles" de la Nikkatsu à la fin des années 50, reconverti dans le film de yakuza. Kobayashi est l’image-même de l’edoko, le titi de Tokyo, charmeur et gouailleur, et un excellent chanteur de enka. Même si Kobayashi évolue dans un cadre commercial on comprend comment sa puissance vocale et l’expressivité de ses interprétations, ont pu influencer Kan.


Le titre fétiche de Kan est ainsi son adaptation en 1969 de «  Yumewa yoru hiaku (les rêves éclosent la nuit), popularisé quelques mois plus tard par Keiko Fuji. La liste des amours perdus chantées par Keiko, devient chez Kan une suite de mentor philosophiques comme Marx et Sartre, et les désillusions sentimentales laissent place à une faillite des idéaux. La enka, genre fétiche des yakuzas, avec son imaginaire proche du « réalisme poétique » français, avec ses bars, ses ports, ses files perdus, ses mauvais garçons est en soi une forme d’underground ou au moins de vie parallèle au miracle économique. Cette enka, il va lui faire subir toutes les distorsions, la replonger dans violence de la terre d’Aomori, l’hybrider au Coréen, au free jazz et au noise.



A partir de la fin des années 80 et jusqu’à nos jours, le chanteur solitaire se diversifie, anime des émissions de radio, multiplie les collaborations, voyage à l’étranger et monte des formations éphémères avec des personnalité de l’avant-garde comme Keiji Haino. Si comme moi vous avez une connaissance superficielle de la scène musicale d’avant-garde japonaise, il s’agit de consciencieusement corner et annoter le livre de Benjamin Mouliets pour en faire un futur guide de recherches.




Pour que la connaissance des chansons de Mikami Kan ne reste pas virtuelle, de très nombreuses paroles sont traduites et permettent d’appréhender sa poésie un peu hermétique mais aussi souvent humoristique. 



Un précieux CD contient deux extraits de concerts de Kan l’un en solo à la Malterie (Lille, 2008) l’autre en trio au sein du groupe Sanja (Tokyo, 2007).



Mikami Kan de Benjamin Mouliets est publié aux éditions Lenka Lente.

A commander ici 


 


 

vendredi 21 mai 2021

Namio Harukawa : la cité des femmes


Il y a un an mourait le mystérieux dessinateur Namio Harukawa, le Fellini du fetish japonais.

 



Harukawa est fasciné par des femmes monumentales qui étouffent sous leurs fesses des avortons d’hommes réduits au mieux à l’état d’accessoires. C’est un monde fantastique puisque les femmes d’Harukawa disposent de ces tabourets humains où qu’elles soient : au bureau, dans les bars, le métro… Ces géantes sont les maîtresses d’un monde dévoué à la suffocation masculine.


 

Harukawa possède une technique hors-pair de la mine de plomb qui dote ses dominas d’une puissante réalité charnelle. Namio Harukawa est un pseudonyme et nul ne connait son vrai nom. La composition de son nom d’artiste nous donne déjà les clés pour entrer dans son univers. 

Namio est l’anagramme de Naomi, l’héroïne d’Un amour insensé de Tanizaki, autre fétichiste mais lui des pieds. Naomi, une adolescente, réduit en esclavage son mari, un faible salaryman nommé Jôji. L’emprise de Naomi est plus psychique que sexuelle bien que basée sur la frustration. Ayant abandonné tout amour-propre, Jôji est réduit à être chevauché par son épouse et à faire le tour de leur salon, allégorie de son aliénation. Ci-dessous Naomi interprété par Machiko Kyo dans l'adaptation de Keigo Kimura (1949) et dans celle de Yasuzô Masumura (1967). 




 

C’est cette situation que reprendra le dessinateur dans son étude de la soumission masculine. On peut se demander de quoi se nourrissent ses hommes atrophiés, à la bouche éternellement collée aux fesses de leur maîtresse. Mais Harukawa reproduit aussi littéralement la cavalcade érotique de Naomi.

 


Harukawa est un hommage à l’actrice Masumi Harukawa (née en 1935). Elle débuta sa carrière comme danseuse burlesque sous le nom de Dharma-chan et Jumbo-chan.


 

Outre sa riche filmographie allant de Mizoguchi (Cinq femmes autour d’Utamaro) à Zatoïchi et aux films de camionneurs de Bunta Sugawara, on la retrouve également chez Shûji Terayama dans Cache-cache pastoral où elle joue une artiste de cirque éléphantesque. Mais ce n’est qu’un misemono (un faux phénomène) et son corps se révèle une baudruche. 


 

Son physique inspira le cinéaste Shohei Imamura qui lui offrit son plus grand rôle dans Désirs meurtriers (1964). Elle n’est au départ qu’une femme domestiquée, esclavagisée par son mari et sa famille, avant qu’un viol ne lui révèle sa soumission.


Ce corps jusque-là alourdi, étouffant sous la tradition, révèle sa force d’inertie, réduisant à néant son mari et son violeur, tous deux des hommes chétifs et malades. C’est ce matriarcat sans partage que reproduit Namio Harukawa en donnant à ses héroïnes le visage malicieux de l’actrice.

 




  


samedi 6 février 2021

Tokyo 1970. 75 visages.

Pendant les dernières minutes de Jetons les livres sortons dans la rue, Shuji Terayama en un long travelling, tire le portrait de son équipe, acteurs musiciens, mais aussi artistes ou simples vagabonds de Shinjuku.