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lundi 7 février 2022

L’hiver des Yakuzas 2

 

The Story of a Man among Men

24 décembre

Sailor Suit and Machine Gun (1981) de Shinji Somai



La trame (presque le livret) de Sailor Suit and Machine Gun est classique et pourrait très bien être celle d’un des innombrables films de la Toei où un jeune homme, suivant le code de l’honneur, est contraint de renoncer à ses études et à une vie honnête pour prendre la tête d’un clan. La différence est que l’apprenti Oyabun est ici une collégienne de 14 ans, en uniforme marin, prenant la succession de son père. 



L’aventure d’Izumi devient alors un récit initiatique qui semble se dérouler pendant un été où elle va régler ses comptes avec l’œdipe, tomber amoureuse, connaître la mort, l’amitié, la séparation et le deuil. Tout le film épouse un rythme rêveur et escapiste, suivant cette jeune fille qui semble dériver dans les longs plans séquences de Somai, parfois exaltée, parfois un peu ivre. Somai offre même à la géniale Hiroko Yakushimaru, une superbe « marche vers le destin » avec ses deux compagnons survivants. L’un d’eux avoue qu’il est homosexuel et amoureux de son frère de sang. Lorsqu’il rendre son dernier soupir dans les bras de ce dernier, il déclarera mourir heureux. Un film inclassable, énigmatique, à la fois léger et sombre, sorte d’Alice au pays des yakuzas. Au terme d’un magnifique dernier plan où elle marche dans la rue, joue avec des enfants, et reproduit la pose de Marilyn dans Sept ans de réflexion, Izumi déclare en voix-off : « Mon premier baiser je l’ai eu avec un homme mur, je deviendrais donc une fille stupide. »



 

27 décembre

Fleurs d'hiver / Winter’s Flower / Fuyu no hana (1978) de Yasuo Furuhata



Un film magnifique où Ken Takakura est hanté par l’homme (Ryo Ikebe), un traitre au clan, qu’il a assassiné sur une plage sous les yeux de sa petite fille de trois ans. Au terme d’une peine de quinze ans, pendant laquelle il s’est occupé de l’orpheline sous une fausse identité, il revient à Yokohama et se retrouve en plein guerre des gangs. La beauté du film est de situer toujours Takakura en marge des évènements, de la violence et des luttes de pouvoir pour en faire une figure essentiellement mélancolique. Succession de scènes dans sa petite chambre vide, de café solitaire, d’océan.


Les compagnons d’autrefois comme Kunie Tanaka et Bin Amatsu répondent présents mais eux-aussi semblent las et les vieux oyabun, amoureux de Chagall, ne songent que se retirer pour se consacrer à la peinture.



C’est l’hiver des yakuzas. Furuhata déroule un film lent et silencieux, seulement accompagné par le concerto pour piano de Tchaïkovski et la guitare de Claude Ciari. Même en 1978, les splendeurs de la Toei étant derrière lui, Furuhata demeure un styliste, et on ne peut oublier le moulin en papier rouge de la petite fille qui revient tourner dans la mémoire de Ken Takakura.




Conquest/ Seiha (1982) de Sadao Nakajima



Cette saga yakuza peut faire penser au Parrain mais surtout par son esthétique assez plate aux dramas télévisuels. Pourtant Conquest est un bon divertissement principalement à cause de son casting avec rien moins que Toshiro Mifune dans le rôle du vénérable et droit oyabun et Mariko Okada dans celui de son épouse. On retrouve aussi Bunta Sugawara, Koji Tsuruta (dans un rôle de médecin), Tomisaburo Wakayama, Asao Koike, Tetsuro Tanba, Akira Kobayashi et Reiko Oshida. Il ne manque que Ken Takakura dans la réunion de famille. La figure de Mifune est évidemment écrasante mais pourtant c’est à sa mort que le film quitte sa mise en scène trop lisse, pour prendre une véritable ampleur. 




Mariko Okada devient une Oyabun,  inscrivant in extremis le film dans la série des femmes yakuza. La mise en scène des funérailles et de la réunion des clans devient extrêmement impressionnante et on regrette que le film ne commence pas à ce moment.



 

9 janvier

The Tattooed Hitman /Yamaguchi-gumi gaiden (1974) de  Kosaku Yamashita



Comme me l’a signalé Mohamed, le film s’inscrit dans une série de productions de Mitsuru Taoka, le fils de l’oyabun du Yamaguchi-gûmi. Il s’agit donc de films conçus au cœur du système yakuza pour en faire l’apologie. Si Conquest reposait sur la figure du chef et sa mort, The Tatooed Hitman s’intéresse à un homme de main des années 50 et 60 que l’on suppose donc mythique. Le film raconte le périple de ce yakuza exilé à Osaka et que son frère de sang, un oyabun, tente plus ou moins de maîtriser. Bunta Sugawara prolonge son rôle d’Okita le pourfendeur, c’est-à-dire qu’au code d’honneur va succéder la pulsion. La modernisation des figures héroïques et apolliniennes de Ken Takakura et Koji Tsuruta est une créature tourmentée mais aussi dirigée vers l’assouvissement de ses désirs. 



Il est ainsi sexuellement actif, fréquente les prostituées, et ses tatouages deviennent une force d’attraction érotique. Le fétichisme des armes à feu le conduira à une mort extrêmement sanglante : les balles percent son torse, son cou et même sa joue. Précédent cette mort, un long plan de son visage où se lit l’acceptation de son destin. 


Tout le personnage semble dirigé vers cet instant, une suspension du temps assez inattendue dans un film avant tout efficace. A noter parmi les habitués de la Toei (Bin Amatsu, Tsunehiko Watase, Tatsuo Umemiya…), la présence des trois acteurs fétiches de Nagisa Oshima : Fumio Watanabe, Kei Sato et Rokko Toura.




 

30 Janvier

Black Rain (1989) de Ridley Scott






L’esthétique japonaise a-t-elle été une des matrices du cinéma des année 80 ? C’est probable combien Tokyo a représenté pour les cinéastes mais aussi les vidéastes du clip, un monde déjà digital, avec ses écrans géants, ses clignotements de néons, son obsession futuristes. Un monde d’estampes vidéo reconduisant le japonisme du XIXe siècle. Personne mieux que Ridley Scott ne pouvait saisir à ce point l’esthétique des grandes villes japonaises : si Lang s’était inspiré de New York pour Metropolis, Scott avait emprunté largement à Tokyo pour Blade Runner. 



Curieusement, Black Rain se déroule à Osaka, comme si Scott avait eu besoin d’une cité moins connue pour la rendre abstraite. Il n’y a donc pas d’exotisme comme on pourrait le croire mais la poursuite d’obsessions visuelles. S’il ne peut nier son rapport au Yakuza de Pollack (ne serait-ce que par l’emploi de Ken Takakura), les deux films sont différents : à la surface des visages dissimulant les émotions, Scott préfère des surfaces visuelles, les langues focales aplatissant les images. 



Michael Douglas, éternelle erreur de casting, fait pale figure face à Takakura qui retrouve la timidité de ses  grands rôles, mais aussi d’un casting japonais de grande classe : Yusaku Matsuda, Tomisaburo Wakayama, Shigeru Kōyama, Yûya Uchida…




5 février

The Story of a Man among Men / Shura no Mure (1984) de Kôsaku Yamashita



Était-il possible, en 1984, de réaliser un ninkyo eiga agiographique comme dans les années 60. C’est le pari que semble s’être fixé Kosaku Yamashita en décrivant l’épopée d’un yakuza chevaleresque et sans tâche et en réunissant presque l’ensemble d’une distribution Toei classique. Le résultat est fascinant, comme si les années 70 n’avaient pas été occupées par la relecture critique des Combats sans code d’honneur de Fukasaku. Le film commence à Yokohama en 1935 et va traverser au moins 30 ans d’histoire japonaise, suivant l’élévation d’Hiroki Matsukata d’homme de main en oyabun, mais aussi d’une dizaine de personnages gravitant autour de lui. 



Saburo Kitajima est en particulier génial en yakuza drogué, habillé en gangster de Chicago, fasciné par les armes à feu et surnommé Morocco en raison de son culte pour le film de Joseph von Sternberg. Son « kioday » est Bunta Sugawara, toujours efflanqué, les mains dans les poches et un sourire pouvant passer de la goguenardise à la pure sentimentalité. Koji Tsuruta joue le mentor de Yamashita et retrouve le jeu exact de ses innombrables rôles de yakuza vertueux à la voix douce. Pourtant, The Story of a Man among Men n’est pas qu’une réunion d’acteurs mais montre le talent renversant du réalisateur de La Pivoine rouge et du Jeu présidentiel. On retiendra la scène où la femme du yakuza découvre sur le dos de leur fils, un tatouage écarlate, preuve que sa fascination pour son père lui a fait franchir la ligne et qu’il deviendra lui-même un yakuza. 



Les larmes de Bunta lorsque son kyodai meure dans ses bras. Le visage sillonné de rides de Koji Tsuruta. 



Les funérailles de Morocco, squelette calciné s’effritant sous les doigts de ses compagnons ; belle vanité sur ce qu’est vraiment la vie d’un yakuza.



Un final majestueux et mélancolique sur une page la nuit, les vagues s’éclatant sur les roches rappelant le célèbre générique de la firme. Licence poétique : malgré les décennies qui passent les acteurs ne vieillissent pas.


6 février

Godfather of Japan / Nihon no don kanketsuhen (1978) de Sadao Nakajima




Pendant le premier tiers du film on se dit que Sadao Nakajima ne possède pas la flamboyante de Furuhata ou Yamashita et puis il s’affirme pleinement pour ce qu’il est : un modeste mais efficace cinéaste d’action, menant parfaitement son récit. Godfather of Japan marque le basculement du film de yakuza à un genre proche du thriller économique, suivant en cela les tentatives des clans de se donner une respectabilité en investissant dans des entreprises légales. Autant dire que je n’ai rien compris pendant une bonne partie du film entre les alliances et les trahisons. 



La trame générale est en réalité plus simple puisqu’il s’agit de l’accession au pouvoir d’un oyabun (Mifune) qui gagne surtout parce que ces rivaux s’entretuent. Deux autres lignes narratives sont bien plus intéressantes : la corruption d’un médecin, fis d’un chef, qui se retrouve contraint de participer aux actions de son père, allant jusqu’à supprimer à l’hôpital un rival de celui-ci. Ce qui le mènera à un total dégout de lui-même. La fille d’un homme ayant vu son père endetté se suicider, qui devient la maîtresse d’un chef yakuza, puis la patronne d’un club, elle-aussi donc contaminée par le mal. Tous les deux perdront tout à la fin, dans un bain de sang. Cette dégradation morale va de pair avec la dégradation physique. L’hôpital qui donne au film un côté « drama » insiste aussi sur les corps malades de ces vieux yakuzas qui s’accrochent à leur pouvoir et en veulent encore plus : tension, infarctus, sénilité, invalidité, impuissance…



Rarement le sujet aura été abordé sans qu’en face on ne voit la relève qui, dans d’autres films, est généralement assuré par de jeunes loups. Mifune est presque en retrait pendant une partie du film, mais après sa victoire par défaut il impose son autorité naturelle, puisque c’est lui le Parrain du cinéma japonais.



Parmi les seconds rôles : les transfuges du cinéma d’Oshima, Fumio Watanabe et Kei Sato (les engage-t-on par deux ?), mais surtout Ko Nishimura second rôle immanquable du cinéma japonais, absolument génial en oyabun qui torture son gang avec d’interminables séances de karaoké.





dimanche 2 janvier 2022

L'hiver des yakuzas

Station / Eki (1981) de Yasuo Furuhata



Entreprendre une traversée du cinéma yakuza revient à surtout traverser la carrière de Ken Takakura. Aucun de ses rivaux/partenaires qu’il s’agisse du charmeur Koji Tsuruta, de l’énigmatique Ryo Ikebe, ou de l’incontrôlable Bunta Sugawara ne parviendront à lui ravir son titre de plus grande star du ninkyo-eiga. Son adoubement par Hollywood avec le Yakuza de Pollack est sans doute pour quelque chose dans cette mythification mais le culte était déjà bien présent au Japon avant 1974. Mishima le vénérait et le peintre pop’art Tadanori Yokoo voyait en lui une œuvre d’art, le représentait dans des posters  et lui demandait de chanter sur ses disques. 






D’ailleurs, les peintures de Yokoo sont à peine plus kitchs que les véritables affiches des films de Takakura, le montrant le torse nu couvert de tatouage, la posture féline, le sabre au poing et le regard noir. Avant Bruce Lee, Ken Takakura était l’acteur asiatique dont le dévoilement du corps était un évènement érotique mais aussi mortel. 






Takakura n’aurait pu être remplacé par aucun de ses pairs dans le film de Pollack car il n'est pas un acteur du yakuza-eiga dans son ensemble mais exclusivement du Ninkyo-eiga, le film chevaleresque. Il s’éloigna du genre lorsque celui-ci, sur l’impulsion de Kenji Fukasaku se transforma en jitsuroku, le film documentaire, violent, parfois inspiré de la vie de vrais yakuzas. Même Koji Tsuruta y participa, se muant en chef de gang sanguinaire et Bunta Sugawara y prit d’une certain façon la suite de Takakura comme acteur emblématique. Si Takakura reste associé au Ninkyo c’est parce qu’il y incarne avant tout des valeurs : la fidélité au clan, la suprématie des intérêts collectifs, le sacrifice, la fraternité, la solidarité avec le peuple contre les industriels et les mauvais yakuzas. Il ne s’éloignera jamais de cette ligne. Impossible donc de le voir devenir un des chiens enragés de Fukasaku. 



Dès ses débuts dans le genre, vers 1963, il est déjà une figure du passé, voire imaginaire. Les films se déroulent d’ailleurs le plus souvent entre 1900 et 1930. Avec lui le yakuza possède un statut flou et appartient souvent à un clan de travailleurs (poissonniers, mineurs, pompiers, acteurs) défendant son activité contre des rivaux mafieux. Si Takakura est au départ un jeune apprenti traversant le Japon pour parfaire son instruction, plutôt joyeux et charmeur, son jeu va peu à peu gagner en gravité au fur et à mesure où le genre va s’éloigner du peuple et ses revendications pour traiter exclusivement des questions d’honneur entre clans. Takakura exprime l’abnégation absolue : accroupi sur un tatami, en kimono dans la pose formelle seiza face à son chef ou son aniki, ses yeux sont toujours baissés et il répond dans un souffle. 



Ses films sont un véritable manuel de politesse à l’usage des jeunes yakuzas si de tels codes ont encore lieu de nos jours. Ce qui caractérise Takakura est la timidité, la difficulté d’exprimer ses sentiments, avec ses frères de sang, son chef, mais dans ce cas on peut dire qu’ils se comprennent quand même – mais de façon plus douloureuse avec les femmes. D’où vient cette pudeur extrême ? D’un père absent, peut-être même yakuza lui-même, et d’une mère qui pour assurer sa survie est devenue prostituée et a été obligée de l’abandonner. Cette biographie classique, avec ses variations, trouve son origine dans le récit Ma Mère sous mes paupières maintes fois adapté. Le yakuza héroïque est un enfant pauvre parfois recueilli par son futur Oyabun, et qui jamais ne se montrera cruel avec les prostitués car il sait que c’est ainsi que sa mère s’est sacrifiée pour lui. La beauté fragile et blessée de Ken Takakura vient de ce passé commun aux grands personnages du Ninkyo. 



La trame essentielle du Ninkyo-eiga conduit le personnage vers son sacrifice : l’attaque seul, ou en duo, d’un clan félon de plusieurs dizaines de yakuzas. C’est ainsi qu’il deviendra véritablement un « homme », souvent dans la mort dans les bras de son frère de sang. L’assaut final est précédé de ce que j’appelle la « marche vers le destin », un parcours souvent nocturne, accompagnée d’une chanson enka interprétée par l’acteur principal. Les plus belles « marches vers le destin » sont évidemment celles de Ken Takakura. C’est lui qui arrive le mieux à déplacer son sacrifice dans un champ purement symbolique et dont ses tatouages en font un emblème vivant. 



Avec Takakura, le code d’honneur devenant un code de jeu d’acteur, et peut aussi bien s’exprimer hors du film de yakuza. En ce sens, il est proche de Gabin, y compris dans son parcours allant du jeune edoko (le titi de Tokyo) gouailleur, à l’acteur mûr, marqué et taiseux. Station de Yazuo Furahata, l’un de ses cinéastes de prédilection, date de 1980. Qu’il y interprète un policier n’entre pas en conflit avec ses rôles de yakuza – au fond jamais les gangsters japonais ne se disent ouvertement les ennemis de la police. 



Station est un des plus beaux films de Takakura au seuil de sa vieillesse alors que sa beauté ne tient plus qu’à un fil, et que le visage est en train de perdre sa perfection. Le récit couvre 12 années de la vie de Mikami, un policier, et commence et s’achève dans deux gares sous la neige. Dans la première, en 1969, il dit adieu à sa femme et à son fils. Il ne peut assumer sa vie de famille et sa fonction de policier d’autant plus qu’il a été choisi comme instructeur de l’équipe de tir au pistolet pour les jeux olympiques de Rio. C’est certes un curieux motif de séparation. Dans la dernière, il quitte une autre femme dont il a dévasté la vie. Takakura passe par une série d’épisodes, de rencontres, où son activité de policier, toujours juste par rapport à la loi entraîne une part de malheur. Ainsi lorsqu’il abat des terroristes c’est le cri de colère de la mère de l’un d’entre eux, l’accusant de l’avoir assassiné, qui le hante. L’arrestation d’un serial-killer entraîne la séparation douloureuse avec la sœur/amante de celui-ci, une jeune file innocente. La correspondance que Mikami entretient avec lui jusqu’à son exécution reste énigmatique. Retournant dans la ville du tueur pour déposer des fleurs sur sa tombe, il rencontre Kiriko, une patronne de bar solitaire et entretient avec elle une courte liaison. 




Les trois rencontres avec Kiriko sont accompagnées par le classique Funa Uta (Boat Song) d’Aki Yashiro, la grande chanteuse enka, passant directement à la télévision. Kiriko chante elle-aussi les paroles, puis elle raconte pourquoi les hôtesses de bar se suicident au début de l’année. Pas à cause de la solitude mais parce que leurs mecs, ces playboys idiots et sans cœur, reviennent à la maison les tourmenter. Parfois, lors d’une reprise de la chanson, la caméra sort du bar et Furahata filme la neige, les tombes, la tempête et les vagues qui se brisent sur les rochers. 



Chieko Baishô interprète cette femme, belle mais usée, encore pleine de vie et de désir dans cet hiver sans fin, accroché à un vieil amour tragique et qui entrevoit l’espoir d’un nouveau. Et qui perdra les deux. La dernière rencontre avec Takakura alors que rien ne peut plus être raccommodé entre eux est poignante. La timidité de Takakura, lisant, bouleversé, des horaires de train, n’a jamais été si douloureuse.  Ce que Yasuo Furuhata met en scène pendant la partie centrale de Station est en fait l’équivalent cinématographique de la enka. Une mama-san, un mauvais garçon, un homme au cœur pur mais marqué par le destin, un paysage de neige, un port. Tout un univers proche de la chanson réaliste française qui fait aussi ressembler le film de yakuza au réalisme poétique des années 30.






 


Le Chant du Marin

Je préfère le saké tiède

Je préfère les calmars grillés

Je préfère les femmes silencieuses

Je préfère les lumières tamisées

Quand je bois, je bois doucement

Seuls les souvenirs remontent

Si les larmes me montent aux yeux

Je chante un chant de marin

 

Laissez les mouettes me vider de mon sang 

Je resterai au lit avec ma nana

Jusqu'à tard dans la matinée

 

Qu’importe que le magasin ne soit pas décoré

Je préfère voir le port depuis la fenêtre.

Il n’y a pas besoin de chanson populaire

Tant pis si la corne de brume souffle de temps en temps. 

Quand je bois, je bois doucement

Mon cœur pleure

Si je pense à cette fille d’autrefois

Alors je chante un chant de marin

 

Si je bois doucement

La nostalgie remonte dans ma poitrine

Dans la nuit solitaire

Je chante un chant de marin