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jeudi 17 décembre 2020

Maki, chanteuse des sombres dimanches



Asakawa Maki, plus communément appelée Maki, était l’oiseau de nuit du Shinjuku des années 70, reconnaissable à des signes immuables : la robe noire, les cigarettes, les longs cheveux corbeaux et les lunettes de soleil même au cœur de la nuit. Ses albums sont une suite de pochettes où elle émerge à peine des ténèbres, et qui pour quatre d’entre eux ont pour seul titre Darkness I, II, III et IV. Sa voix est l’une des plus reconnaissables de la chanson japonaise : haute et mélodieuse mais avec un fond rocailleux, chargé de tabac et d’alcool. Elle est l’équivalent musical des photos les plus chargées de matières de Daido Moriyama. 






A la fin des années 60, elle quitte son travail de comptable au service des pensions de la mairie de Mikawa, sa ville natale, et s’installe à Tokyo. C’est en reprenant dans les bases américaines des standards de Mahalia Jackson et de Billie Holiday qu’elle commence sa carrière. En 1968, elle est remarquée par le dramaturge Shûji Terayama qui lui propose un récital au Scorpio Theater, la salle de cinéma et de spectacle underground de Shinjuku. 



Shuji Terayama lui composa plusieurs chansons dont le mythique et jamais enregistré Long Goodbye et l’envoûtant Kamome (mouettes). Dans ce récit à la Kurt Weil, un marin raconte le meurtre d’une femme infidèle. « Une rose sanglante pousse sur cette triste histoire d'amour ». Maki est une chanteuse de blues mais aussi une chanteuse réaliste reprenant Casbah no Onna (Femme de la Casbah) d’Eto Kunieda, inspiré par le personnage de Fréhel dans Pépé le Moko. Au fond d’un bar, quelque part au bout du monde, au Japon ou en Algérie, une femme usée et solitaire voudrait voir le crépuscule sur la Seine, les danseuses du Moulin Rouge et les fleurs des marronniers des Champs-Elysées. 

Sa discographie compte 22 albums, de Maki no sekai (le monde de Maki, 1970) à Black Good Luck (1991). La plupart sont mythiques comme Maki Live, Uramado (fenêtre sur cour) la série Darkness ou Maki II. Toute sa discographie est disponible sur Youtube. La vie privée de Maki demeure énigmatique. En avait-elle une d’ailleurs ? Personne ne lui connaissait de famille, et même son âge bien qu’on la dise née en 1942 reste un mystère. Son existence semble n’être qu’une suite de concerts et d’enregistrements. Une vie dédiée à la musique et à la création d’un blues purement japonais, avec des musiciens légendaires. Sur son blog (ici), son amie la chanteuse Tokiko Kato, raconte qu’une nuit, alors que Maki lui téléphonait, son bébé s’est mis à pleurer. Maki lui a alors dit : « Ne me fais plus jamais entendre la voix de ton bébé ? » Sans aucun doute, elle était un peu sorcière. 



Si elle abandonna au fil du temps la chanson ou le folk pour se consacrer au jazz, son dernier album, Black Good Luck est une œuvre expérimentale et électrique. Un des morceaux qui me fascine le plus est Flash Dark, dont la narration en anglais et en japonais évoque autant le Velvet Underground que Sonic Youth.

 


Maki, encore ensommeillée, est visitée par une jeune femme, sans doute américaine (Maki, hello. I was just passin’ through. How have you been ?). Allumant une cigarette (bruit naturel du briquet), Maki essaye de définir le terme ibasho, l’endroit privé, qui n’appartient qu’à soi, où l’on peut être soi-même. Le refuge, peut-être ? « Tu n’as pas à expliquer », lui dit doucement son amie. Si je ne peux pas comprendre les paroles japonaises, même la narration anglaise, un peu hallucinée, parlant de salade et de poison, est énigmatique. « Quel est ce fil fragile sur lequel nous évoluons ? Y a-t-il un autre côté ? », lui demande son amie. On se doute que Maki nous parle ici de la mort, celle qui viendra la chercher le 17 janvier 2010, alors qu'elle séjournait dans la ville de Nagoya pour un concert. Terrassée par une crise cardiaque, elle été retrouvée inanimée dans sa chambre d’hôtel. 



Maki n’avait aucune confiance dans le CD, et ce n’est qu’après sa mort que son œuvre complète fut rééditée. Au Tower Records de Shibuya, régulièrement, de petits autels sont dressés en son honneur, présentant des biographies et ses disques. Ses photos ornent toujours les murs du club de jazz Pit Inn où elle venait faire des concerts a capella. Cependant, sa véritable chapelle est le bar obscur Uramado à Golden Gai dont le patron maintient la flamme de l’acid-folk et du jazz. Vous pourrez poser la main sur son piano et entendre battre le cœur de Maki. 




Les portraits en noir et blanc de maki sont tirés de The Long Goodbye, the world of Asakawa Maki (Byakuya Shobo ed.)



jeudi 4 février 2016

Morita Doji, la chanteuse évaporée



Le nom de ce blog m’a en grande partie été inspiré par l’atmosphère unique des chansons de Morita Doji. A travers ses musiques on ressent la profonde mélancolie de cette ville qui d'une certaine façon ne parvient jamais à être au présent, s'élançant vers un futur innacessible et à jamais retenue par le passé.
On connait bien sûr Asakawa Maki, l’oiseau de nuit de Shinjuku, qui nommait ses albums Black ou Darkness, mais Morita Doji a établi son royaume encore plus loin dans les ténèbres. On sait qu’elle est née le 15 janvier 1952, mais cela reste le seul élément biographique la concernant. « Morita Doji » est un pseudonyme et même son visage, coiffé d’une perruque bouclé et masqué de lunettes noires, demeure inconnu. 

Après 6 albums studio et un live, entre 1975 et 1983, elle disparut. Non pas à la façon des actrices d’Ozu comme Setsuko Hara, qui se retirent à la Garbo et dont on est étonné d’apprendre la mort centenaire. Non, Morita Doji s’évapora purement et simplement à l’âge de 31 ans sans laisser la moindre trace. La légende veut qu’elle se soit suicidée, tragique destin alimentée par ses chansons. La mort, le retrait du monde et la nuit infini sont les thèmes obsessionnels de Morita Doji, marquée par l’événement qui décida de sa carrière musicale : le suicide de son meilleur ami lorsqu’elle avait 20 ans, sujet de sa chanson Goodbye. Elle chante d’ailleurs au masculin plusieurs de ses histoires d’amour, comme si c’était l’ami mort qui continuait à vivre à travers elle, explication probable de son travestissement. « Doji » signifie aussi « jeune garçon ». Elle évoque les gracieuses et romantiques créatures transgenres de la mangaka Ryoko Ikeda (La rose de Versailles, Très cher frère). Malgré l'apparence masculine, la voix demeure d’une fragilité inouïe.


Les chansons de Morita Doji m’ont ramené plusieurs années en arrière, lorsqu’étudiant je découvrais les albums de Nick Drake. Je retrouvais des correspondances dans leurs deux voix, douces mais immédiatement présentes, ces violons rampants parlant directement à l’âme, ces odeurs d’automne et de pluie. Et ces voix séraphiques, appartenant déjà à une chorale fantôme.  Un des albums de Morita Doji s’appelle Nocturne, mais ce pourrait être le titre de tous ses albums et toutes ses chansons, tant ils semblent spécialement écrits pour la nuit. Comme si sa vie réelle s’était arrêtée à la mort de son ami, ses chansons racontent le désir toujours anéanti d’appartenir au monde.

Les fans de Morita Doji, sans surprise, sont des étudiantes tourmentées, sans doute des poètes, et des garçons fragiles et romantiques. Ce sont eux qui se rendaient dans les églises où les concerts se déroulaient accentuant le culte étrange et morbide autour de la chanteuse. Elle fut aussi une des chanteuses préférées des étudiants des années rouges. Non pas dans la flambée révolutionnaire mais des années de cendre et de désenchantement qui ont suivies. Morita chante essentiellement la perte de la jeunesse.

Ecouter Morita Doji serait comme découvrir, dans un immeuble à Tokyo, la chambre oubliée d’une étudiante des années 70, mystérieusement préservée à travers le temps.




Trois chansons pour entrer dans l'univers de Doji 
 




Un documentaire en 3 parties. On peut y voir Doji et le montage de la tente de l'album The Last Waltz.











Les sept albums de Morita Doji


Live in St. Mary's Cathedral, Tokyo 東京カテドラル聖マリア大聖堂録音盤 (1978)


Good Bye グットバイ (1975)


Mother Sky マザー・スカイ=きみは悲しみの青い空をひとりで飛べるか= (1976)


A Boy ア・ボーイ (1977)


The Last Waltz ラスト・ワルツ (1980)


Nocturne 夜想曲(やそうきょく) (1982)


Wolf Boy 狼少年 (1983)

 

Photos à l'intérieur du 33t de The Last Waltz




On peut lire ici la traduction de quelques-unes de ses chansons

dimanche 31 janvier 2016

Miwa, un dandy japonais

En septembre 2009, après bien des recherches, les documents français étant rares, je publiais sur mon blog (Les Films libèrent la tête) un portrait d'Akihiro Miwa, flamboyante et énigmatique créature du cinéma japonais. J'y suis revenu plusieurs fois par la suite, surtout au gré de découvertes iconographiques. Voici l'intégralité des billets consacrés à Miwa.



Chanteur adulé, comédien pour le théâtre et le cinéma, vedette de la télévision à l'instar d'un Takeshi Kitano (1), Akihiro Miwa est une figure non seulement transgenre mais surtout transdisciplinaire, à la fois populaire et underground, qui pourrait résumer 50 ans de la vie culturelle japonaise.
Né en 1935, Miwa est à 17 ans l'une des vedettes des bars gays de Ginza et en particulier le Brunswick où il rencontre Yukio Mishima (2). Mishima et celui qui est alors plus communément appelé Maruyama se lient d'amitié. Celle-ci fut très fructueuse. Mishima est apparu dans certains spectacles de cabaret de Miwa, pour lesquels il composait des chansons. Miwa fut la vedette de deux adaptations cinématographiques de pièces de Mishima : le célèbre Lézard Noir (Kurotokage, 1968) et le moins connu Manoir de la rose noire (Mansion ot the Black Rose/ Kuro bara no yakata, 1969), tous deux réalisés par Kinji Fukasaku. Ce sont ces films qui popularisèrent la figure de Miwa en occident.



(Miwa et Mishima sur scène)


C'est à un ami de Mishima, le célèbre Yasuzo Masumura (L’Ange rouge, La Bête aveugle) que Miwa doit sa première apparition à l'écran. Dans Courants chauds (Danryu, 1957), il interprète un chanteur mais son apparence, bien que très efféminée, est encore celle d'un garçon. Par la suite, jamais Miwa n'apparaîtra sous une autre apparence que féminine, ce qui est encore le cas aujourd'hui. C'est donc plus commodément au féminin que nous parlerons de l'artiste.


(Miwa à ses débuts, encore sous l’apparence d’un garçon)


Plus qu'un travesti, Miwa modernise la figure de l'onnagata (forme de femme), acteur de théâtre kabuki spécialisé dans les rôles féminins. L'onnagata naît en 1629 d'un décret du shogun interdisant la scène aux femmes. Censée combattre la prostitution des actrices, cette loi permis l'éclosion de ces figures androgynes, creusets de troubles et de fantasmes. Alors que le travesti occidental est souvent cantonné dans le burlesque, l'onnagata japonais est respecté et même vénéré (voir La vengeance d'un acteur de Kon Ichikawa). Même s'il n'est pas forcément homosexuel, l'onnagata conserve idéalement en dehors des planches une apparence féminine. Mishima a consacré à cette figure l'une de ses plus belles nouvelles, intitulée justement Onnagata, et inspiré par l'acteur Utaemon Nakamura dont il était proche.
« Mangiku n'exprimait jamais rien - même la force, l'autorité, l'endurance, le courage - autrement que par le seul moyen dont il disposait : une expression féminine. » (3)


(Miwa en onnagata classique)


Miwa est la descendante de cette tradition culturelle, mais aussi plus globalement d'un pays où, comme l’écrit Agnès Giard (4), l'identité sexuelle n'est pas une notion biologique mais sociale.
Jamais Miwa n'a cherché à camoufler certains traits masculins, un visage racé mais plutôt anguleux et surtout une voix aux inflexions graves. Si aucun des personnages qu'elle a interprétés n'est désigné explicitement comme un travesti, le travestissement est toujours présent en hors-champ. Miwa propose une version théâtrale, fétichisée à l'extrême, de la femme fatale, entre Marlène Dietrich et Joan Crawford. Le kitsch typiquement japonais dont relève Miwa est celui du théâtre Takarazuka, dont tous les rôles sont interprétés par des femmes ressemblant à des travestis masculins, mais aussi de personnages de manga tel Lady Oscar. Lorsque Miwa se bat à l’épée, c’est davantage par souci esthétique que par nécessité scénaristique.

(Le théâtre Takarazuka)

La plus célèbre incarnation de Miwa est le Lézard Noir, personnage de criminelle diabolique inventée par Edogawa Rampo (5). Comme Fantômas et Musidora, dont elle serait la version extrême-orientale, le Lézard noir est une experte en déguisements qui prend d'ailleurs parfois l'apparence d'un homme. Le choix de Miwa est donc un rire sous cape : le Lézard Noir serait intrinsèquement un leurre. On pourrait croire que Mishima adapte le roman de Rampo en se souvenant de la note de Susan Sontag (6) invitant à reconsidérer, sous l'angle du "camp", les meilleurs films de Feuillade.



Le Lézard Noir exprime l'attachement de Mishima pour la littérature populaire pourvoyeuse de frissons et de cruautés. Dans Confession d'un masque (titre qui pourrait admirablement s'appliquer à Miwa), Mishima évoque ses premières masturbations devant une reproduction du Saint Sébastien de Guido Reni. Le livre de Rampo s'ouvre sur une autre référence biblique et décadente, également au panthéon de Mishima : la danse de Salomé. Le Lézard Noir apparaît le soir du nouvel an dans un club privé, et commence à se dévêtir pour les convives.
« L’Ange noir allait, d’un moment à l’autre, devenir l’ange blanc : son corps complètement nu, ne serait plus couvert que de deux colliers de grosses perles, de magnifiques boucles d’oreilles en jade, de bracelets incrustés d’une multitude de diamants à chaque bras et de trois bagues à ses doigts. » (7)
Si Miwa ne reproduit pas la performance, elle danse néanmoins devant de grandes reproductions des dessins d'Aubrey Beardsley pour la pièce d’Oscar Wilde.


Dans le night-club psychédélique, repaire du Lézard Noir, les néons fluorescents, les corps bariolés, en transe, et les dessins cruels de Beardsley forment l'écrin où Miwa vient s'inscrire. Fukasaku expérimente les ruptures chromatiques et les zooms dynamiques qui seront la marque de ses grands yakuza-eiga. Ce monde au bord du chaos se fige soudain à l'apparition du Lézard Noir, équivoque créature qui aurait pu naître dans l'imagination surchauffée de Huysmans et Jean Lorrain. Outre son activité de voleuse de diamants, le lézard noir est une artiste décadente qui transforme ses victimes en statues de chair et les expose dans son musée des horreurs (8). Le Lézard Noir est une variation sixties de Des Esseintes, donc une militante Camp.


« Le Camp écrit Sontag, est un certain modèle d'esthétisme. C'est une façon de voir le monde comme un phénomène esthétique. Dans ce sens — celui du Camp — l'idéal ne sera pas la beauté; mais un certain degré d'artifice, de stylisation. »
Seul un travesti, maître des simulacres, peut régner sur ce monde de signes, souvent réduit à une pure surface (Le Lézard noir est une fantaisie Pop Art contemporaine du Danger Diabolik de Mario Bava).
L'ironie ne pourrait cependant définir totalement la figure de Miwa, forgée par le sentimentalisme excessif de la Enka, chanson romantique japonaise dont elle s'est faite l'une des plus grandes interprètes. Si le détective Akechi récupère le dament dérobé à l'industriel, celui-ci est sans valeur comparé à la véritable pierre précieuse qu'il conquiert : l'amour du Lézard Noir.
"Et moi, je compris vite que ton cœur à toi était une vraie pierre précieuse, un pur diamant" lui déclare-t-il alors qu'elle meure dans ses bras (9).


Suite immédiate du Lézard Noir, Le Manoir de la rose noir abandonne le serial pour le mélodrame gothique.
L’introduction du personnage dans la fiction est presque identique dans les deux films : Miwa incarne Ryuko, une femme mystérieuse, apparaissant chaque soir à minuit dans un club privé.


Une rose noire à la main, elle méduse son assistance, exclusivement masculine, en interprétant une chanson exotique. Une légende entoure Ryuko : sa rose deviendrait rouge lorsqu'elle aura trouvé l'amour véritable. Parfois des hommes, ravagés par la passion, affirment l'avoir connue par le passé... prétendants pantelants qu'elle rejette d'un éclat de rire.
Miwa projette l'image d'une femme idéale, chimérique. Lorsque sonne minuit, passe un fantôme d'amour que les hommes ne peuvent saisir. Ryuko elle-même ne pourra que mourir lorsqu'elle tentera de s'incarner pour vivre la passion véritable... tel est le sens de cette rose qui vire au rouge de la passion et du sang.




Miwa se met en scène comme un songe, une splendide composition esthétique, une pure image de spectacle. Le sous-texte transsexuel est ici davantage désenchanté que dans Le Lézard Noir.
« Le faire-semblant de sa vie quotidienne, écrit Mishima, était le support du faire-semblant de ses représentations sur scène. Voilà, Masuyama en était convaincu, ce qui faisait le véritable onnagata. L'onnagata naît de l'union du rêve et de la réalité. »
Miwa ne peut être qu'une figure mélancolique, condamnée à mimer parfaitement l'amour des hommes et des femmes sans jamais y participer.
Ces deux productions resteront malheureusement les seules à mettre Miwa en vedette, symbole de la liberté dont a pu jouir le cinéma japonais dans les années 60 et 70.
Avant de quitter les écrans, Miwa fit pourtant une ultime apparition dans Jetons les livres, descendons la rue (1971) de Shuji Terayama. Miwa reprend le rôle qu'elle tenait dans la pièce La Marie Vison, spécialement écrit pour elle par Terayama.


Quasiment nue dans une baignoire, elle interprète la reine d'un enfer aux teintes roses dont "même le propriétaire serait gay"... Dans cet enfer déserté, au milieu de poupées en plastiques, la reine attend désespérément qu'un damné se présente pour tromper son ennui. Miwa prend naturellement place dans l'univers "fardé" de Terayama, parmi les "créatures flamboyantes" de ce frère japonais de Jack Smith.


Comme si son personnage était parvenu au bout de ses représentations cinématographiques, Miwa se consacra à la scène et à la chanson. Son très beau répertoire, qui s'étend de la Enka à des airs populaires japonais, fait également la part belle à des adaptations mélodramatiques de chansons de Piaf, Aznavour ou Serge Reggiani. Pas plus que dans ses rôles, Miwa ne recherche la stricte imitation d'un timbre féminin (10). La voix masculine de Miwa, grave et profonde, donne sa pleine puissance lorsque le féminin s’empare d'elle et la pousse vers les octaves. Pour Miwa, le féminin équivaut à une force, jamais à une faiblesse ou une préciosité.
Au delà de la question des genres, au-delà de l'homme et de la femme, Miwa est avant tout un dandy, qui comme Brummell pourrait dire : "la création de moi-même est ma folie".






(1) Miwa apparaît d’ailleurs dans Takeshi’s dans son propre rôle de concurrente de Kitano à la télévision.
(2) Voir Henry Scott-Stokes, Mort et Vie de Mishima (1974), ed. Philippe Picquier 1996.
(3) Yukio Mishima, Onnagata (La mort en été,) Folio 1988.
(4) Voir Agnès Giard, L’imaginaire érotique au Japon, Albin Michel 2006.
(5) Une première version, réalisée en 1962 par Umetsugu Inoue, est interprétée par Machiko Kyô, l'actrice de Mizoguchi.
(6) Susan Sontag, Notes sur le camp (1964)
(7) Edogawa Rampo, Le Lézard Noir (1929), ed. Philippe Picquier 2002.
(8) Mishima est intégré au musée de chair du Lézard Noir, sous l’apparence d’une gouape à la Genet, maniant le cran d’arrêt.
(9) Yukio Mishima, Le Lézard Noir (1961), NRF 2000.
(10) Miwa a prêté sa voix à plusieurs dessins animés, le plus célèbres étant Princesse Monoke de Miyazaki où elle interprète le loup.





Miwa en Lézard noir
album photo datant de 1968




 Sa vie en images


 
 
 

En privé


Le retour du Lézard Noir
En 1994, Miwa donnait une série de représentation de son rôle le plus célèbre : la voleuse de diamants du Lézard Noir d'Edogawa Rampo dans l'adaptation théâtrale de Yukio Mishima. Plus de 25 ans après le film de Fukasaku adapté de la pièce qui l'a rendu populaire de part le monde, Miwa réendosse les tenues noires et lamées de l'aventurière.








Miwa Dietrich




 A la recherche du Lézard noir


Je ne savais pas alors qu'un futur complice travaillait à un documentaire consacré à Miwa. C'est en 2013 que Miwa :  A la recherche du Lézard noir de Pascal-Alex Vincent fut édité en DVD en France, et connut plus tard une sortie en salles au Japon. A cette occasion, j'avais fait pour le magazine Chronic'art une courte interview. 
 « Dans les années 90, je travaillais pour une société spécialisée dans la distribution du cinéma japonais classique qui avait en catalogue Le Lézard Noir (1968). Le film était extrêmement intrigant. L'actrice qui jouait la méchante portait un prénom masculin, alors que jamais le film ne la désigne comme un travesti. Enfin ce film baroque et très féminin était réalisé par... Kinji Fukasaku, dont j'avais vu plusieurs films de yakuzas plutôt... "couillus", et  masculins. Dans La demeure de la rose noire, toujours de Fukasaku, sa simple apparition faisait littéralement sangloter des yakuzas transis d'amour, comme si Miwa avait distillé un poison féminin dans l'univers viril de ce cinéaste. Je ne vois pas d'équivalent dans l'histoire de l'entertainement mondial : un acteur à qui un gros studio confie le rôle féminin principal de 2 films de premier plan, sans jamais communiquer sur le fait qu’il soit un travesti. Et un acteur, qui plus est, en activité depuis... 1957, qui continue à se produire en récital, à la télévision à l’image d’un Kitano, et tourne des publicités pour les téléphones ou les chips. »

Pour commander le DVD sur le site des éditions Outplay ici