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dimanche 15 novembre 2020

Chansons des mauvaises filles et des mauvais garçons



A l'exception des Combats sans code d'honneur de Kinji Fukasaku,  le film de yakuza est romantique, et ces messieurs, lorsqu’ils ne pratiquent pas l’art délicat de l’extorsion ou de l’expropriation forcée, pleurent sur le sens de l’honneur perdu des jeunes gangsters, un oyabun assassiné ou leur aniki  emprisonné, et souvent sur une modeste jeune fille, dévouée à sa mère malade, peut-être institutrice, à qui ils n’osent avouer leurs sentiments. 
Comme le « voyou » interprété par Tatsuya Watari dans la série Gangster VIP (1968), le yakuza part dans le crépuscule, des larmes pleins les yeux alors que s'élève une déchirante enka. 





Je ne sais pas si le terme de « Yakuza Enka » existe, mais inventons-le. On peut imaginer que les membres du Yamaguchi-gumi ne rataient aucun film de leurs incarnations à l’écran et avaient la gorge aussi nouée que les jeunes filles rêvant à la voix de velours d’Akira Kobayashi dans Nous ne verserons pas notre sang et Les Fleurs et les vagues (1964) de Seijun Suzuki. 
Le morceau de Yakuza Enka le plus célèbre est sans conteste Tokyo nagaremono, du film du même nom Le Vagabond de Tokyo (1966) de Seijun Suzuki, que Watari entonnait après avoir décimé un gang adverse. Tokyo nagaremono est aujourd’hui encore un classique des Karaoké, et on la chante la main sur le cœur, le regard voilé par le saké et la fatalité. 

Tous les acteurs des yakuza eiga étaient aussi chanteurs, et les pochettes de disques même lorsqu’elles ne sont pas la BO d’un film, en reproduisent l’imagerie, qu’il s’agisse du versant historique Ninkyo eiga, se déroulant fin XIXe début XXe, ou contemporain comme le Jitsuroku eiga. Dans le premier le chanteur porte un kimono, a un linge enroulé autour du ventre et est armé d’un sabre. Une de ses stars est Ken Takakura, qu’on a surnommé le Clint Eastwood japonais et qui est connu en occident pour son rôle face à Robert Mitchum dans Yakuza de Sidney Pollack. Takakura fut aussi le héros d'une série de films de yakuzas contemporains : Abashiri Prison (Teruo Ishii,1966) dont le thème est devenu un classique de la enka chanté par lui-même ou par Keiko Fuji.


Moins connu chez nous, Kôji Tsuruta fut lui-aussi une énorme star dans des films dont les titres parlent d'eux-mêmes : Le Sang de la vengeance (1965) de Tai Kato, La Cérémonie de dissolution du gang (1967) de Kinji Fukasaku. 



Comme Takakura, on le retrouve en partenaire de Junko Fuji dans la série La Pivoine rouge à la fin des années 60. Junko Fuji, elle-aussi enregistra des disques de Enka Yakuza tendance Ninkyo eiga.

Parmi les femmes de la Enka Yakuza, la plus mythique est Meiko Kaji, autant dans le style Ninkyo que Jitsuroku.

La très belle Hiroko Ohgi, actrice et chanteuse, interpréta des femmes yakuza dans Rising Dragon’s Soft Flesh Exposed (1969) de Masami Kuzuo, avec Akira Kobayashi comme partenaire, et The Friendly Killer (1966) de Teruo Ishii où elle dévoile de spectaculaires tatouages.


L’univers du Jitsuroku eiga est celui des villes du péché, des hôtesses de bars, des néons tentateurs et de la pluie qui lave autant les blessures que les pleurs des marlous. Passant du jeune premier à l'imposant oyabun, Tatsuo Umemiya (Terror of Yakuza de Sadao Nakajima, Tombe de yakuza et fleur de gardénia de Fukasaku) est l'acteur et le chanteur idéal pour nous entraîner dans l'Underworld tokyoïte.




Akira Kobayashi demeure cependant l'une des plus parfaites incarnations de ce romantisme balafré. 



Parfois l’acteur-chanteur incarne un flic maverick comme le très rock Yûsaku Matsuda dans La Preuve de l'homme (1977), mais l'univers glamour et urbain reste le même.


Je ne sais si certains yakuzas ont fait carrière dans la chanson mais cela est probable. Un au moins est devenu acteur et chanteur : Noboru Andô dont on peut admirer la belle gueule de crapule dans les films d'Hideo Gosha comme Les Loups (1971) et Le territoire du sang versé (1969).

Tirés à quatre épingle ou dévoilant des dos éclatants de fleurs tatouées, ces perdants-nés aux poings de fer et à l’œil de velours, aux lames brillants d'éclats assassins et sensuels, passaient la moitié de leur vie en prison. Devant le corps peint de Bunta Sugawara, on imagine le chant d'amour que Genet aurait pu leur dédier.