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mardi 29 mars 2022

Animerama : vertiges érotiques de l’animation japonaise

 


Entre 1969 et 1973, Osamu Tezuka et Eichii Yamamoto inventaient le dessin animé pour adulte, érotique et psychédélique, en se projetant dans les contes orientaux, l’antiquité et le moyen-âge. Après le génial Belladonna,  Eurozoom (voir ici) a édité également Mille et une nuits (1969) et Cleopatra (1972), les deux volets inédits de la trilogie Animerama.



Splendide folie graphique, toute en rondeurs, arabesques et couleurs vivantes, Mille et une nuits retrace l’épopée d’Adlin (mélange d’Aladin, Ali Baba et Sindbad, et par ailleurs inspiré de Jean-Paul Belmondo), un pauvre marchand d’eau finissant par devenir calife de Bagdad. Sous son allure picaresque, le récit offre une très belle construction symétrique puisque le nomade opprimé finira par exercer les lois injustes dont il était la victime.

Cette réflexion sur le pouvoir, l’amour et la révolte colle parfaitement à la contestation de l’autorité des années soixante, emportée par une irrésistible musique psychédélique d’Isao Tomita. Contemporain de Yellow Submarine de George Dunning, Mille et une nuits s’engouffre dans la même voie d’expérimentations visuelles et musicales. Malgré un sujet qui s’y prête, le film n’est pas une simple illustration des contes mais est sous-tendu par un projet plus ambitieux : faire du dessin animé l’expression la plus pure de l’érotisme. 





Sur une île peuplée de femmes surnaturelles, Adlin se noie dans une ivresse sensuelle se traduisant par des croisements de lignes douces esquissant des fesses, des seins ou des pénis sans jamais aller au terme de la représentation. Ce moment d’abstraction est le sommet du film et digne de figurer parmi les classiques du cinéma expérimental.



Cleopatra est davantage marqué par le style graphique de Tezuka (qui co-signe cette fois le long métrage) avec des personnages anguleux et des femmes insectes longilignes.  Ce second opus est à la fois un péplum et un film de science-fiction débutant avec des agents secrets du futur envoyés en Egypte antique. Lors du prologue filmé en prises de vues réelles, seuls leurs visages ont été redessinés, produisant une curieuse hybridation.



Plus comique avec ses déformations de personnages en proie l’émotion (souvent sexuelle), il joue sur les anachronismes et fait apparaître en caméo des icônes comme Astroboy, autre succès de Tezuka. Lors d’une séquence délirante, l’arrivée de Cléopâtre à Rome est saluée par un défilé de chefs-d’œuvre de l’art occidental animés allant de Goya à Dali, en passant par Degas et Millet. 



L’esthétique traditionnelle  japonaise, tenue relativement à l’écart de la trilogie, fait aussi retour lors de la splendide séquence de la mort de César filmée comme une pièce kabuki. 





Tout cela est un peu sans queue ni tête, historiquement farfelu (Cléopâtre aurait commandité l’assassinat de Cesar), mais témoigne d’une vigueur et d’un plaisir d’expérimenter réjouissant. 



Ce patchwork trouve son unité à travers la figure tragique de Cléopâtre,  femme à la fois fatale, innocente et victime de la soif de pouvoir des hommes. Cette dimension féministe trouvera son accomplissement dans Belladonna, le chef-d’œuvre symboliste de Yamamoto.



  

jeudi 21 janvier 2016

Belladonna des tristesses, japanese psychedelica



Le 6 février, je présente à la Cinémathèque française, Belladonna des tristesses (Kanashimi no Belladonna, 1973) d’Eiichi Yamamoto, adaptation érotique et psychédélique de La Sorcière de Michelet. 
Produite par Osamu Tezuka, le père du Roi Léo et d’Astro Boy, il s’agit du dernier opus d’une trilogie de dessins animés pour adultes comprenant Les Milles et une nuit (1969) et Cléopâtre (1970). Ce véritable opéra-rock à la folle imagination s’inscrit dans la culture underground et érotique de l’époque, proche autant du baroque de Shuji Terayama que du cinéma pink du révolutionnaire Koji Wakamatsu. Comme chez l’auteur de La Vierge violente, les tortures dont est l’objet la sorcière ne servent pas une apologie de la soumission mais au contraire de la libération féminine.
Si on reconnait le style de Tezuka dans les deux premiers films de la trilogie, Eiichi Yamamoto conçoit Belladonna comme une aventure graphique inédite : parfois seulement crayonnés, aucun dessin n’est lisse et les encres et aquarelles produisent des matières mouvantes et inattendues. Empruntant à l’Art Nouveau, Gustav Klimt, Aubrey Beardsley mais aussi au Yellow Submarine de George Dunning, il s’agit davantage d’une série d’illustrations à l’animation parfois succincte mais hypnotique.
Sa beauté réside dans ses transformations symbolistes : le corps de Belladonna se fend en deux à partir du sexe dans un geyser de sang qui se transforme en vol de chauves-souris. Autre scène folle : la jouissance éperdue de la sorcière nue, engloutie dans l’ombre gigantesque du prince des ténèbres (auquel le mythique Tatsuya Nakadai prête sa voix) qui se dilate, et se contracte autour de son corps et blanc. Avec sa cohorte de femmes brûlées, torturées ou crucifiées de peur que leur jouissance ne dévore le monde, Belladonna respecte à la lettre le caractère visionnaire et féministe du livre de Michelet.


Le 24 septembre 2011, j’avais trouvé à la foire du cinéma d’Argenteuil, ce jeu complet de photos d’exploitation françaises, accompagnant sa sortie en 1976.


On a peu d’informations sur Kuni Fukai, le directeur artistique de Belladonna, sinon qu’il s’agit d’un illustrateur né en 1935, et qu’il serait encore vivant. Une autre de ses collaborations, moins flamboyante visuelle est Hoshi no Orpheus (1978) de Takashi d’après les métamorphoses d’Ovide. Une collecte d’image permet de constater que Belladonna est l’application directe de son style et de ses techniques telle que l’aquarelle. Jeanne la sorcière apparaît comme l’idéal féminin de Kuni Fukai.

Si Beardsley et Klimt sont les influences revendiquées de Kuni Fuka, on peut déceler des correspondances avec le travail du dessinateur allemand Alastair (Baron Hans Henning Voigt, 1887 – 1969), pendant germanique d’Aubrey Beardsley. Ce grand décadent habillé de satin blanc, est surtout connu pour ses illustrations du Sphinx d’Oscar Wilde et de Carmen de Mérimée.

Autre influence perceptible : l'univeres moyenâgeux de l’irlandais Harry Clarke (1889-1931), grand illustrateur de Poe et d’Andersen. 


avec Eiichi Yamamoto en octobre 2013



Pour la séance de la Cinémathèque française, voir ici