Affichage des articles dont le libellé est Dolls. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Dolls. Afficher tous les articles

dimanche 16 avril 2017

Etsuko Miura, Réincarnation, 2015

Une image par jour #28


Sculpture : Etsuko Miura
Photographie : Atsushi Tani
La double page vient du livre Réincarnation (ed. Treville, 2015)
ici


jeudi 31 décembre 2015

Tokyo 2015 #1. Les étranges enfants d’Etsuko Miura

En octobre, la Bunkamura Gallery à Shibuya consacrait une exposition croisée à Trevor Brown et ses peintures de démons aux traits enfantins et à Etsuko Miura la doll artist.

En octobre 2013, j’avais interviewé Etsuko pour Chronicart  (voir ici) mais, pour la première fois, je voyais ses œuvres exposées : ces étranges enfants voûtés, aux jointures en boule, aux mains et aux pieds de squelette, à la peau de cuir rapiécée et aux yeux rougis d'où s’écoulent des larmes d’encre. Si l’on a la chance de croiser Etsuko à l’exposition, on se rend compte que c’est son propre visage qu’elle offre à ses sculptures, poursuivant son travail autobiographique douloureux, transgressif et unique. 













Photos prises le 07/11/2015


Le site de la Bukamura Gallery



Le livre d'Etsuko Miura à commander aux éditions Treville ou sur Amazon

lundi 23 mars 2015

Avant-Garde Japonaise 1972


Au centre, devant sa poupée, Simon Yotsuya (costume clair, fumant), à sa droite Juro Kara et Shuji Terayama.
A sa gauche Tasumi Hijikata. A la droite de la poupée (avec des lunettes), Shibusawa Tatsuhiko (traducteur de Sade et Bataille, amateur de cabinets de curiosité, une des figures majeure de l'avant-garde japonaise. Lire ici).
A 4e rang à droite, en pull blanc et se grattant l'oreille, le dessinateur Kuniyoshi Kaneko.
Et la photo est l'oeuvre de Eiko Hosoe, rien moins !

mardi 10 mars 2015

Etsuko Miura, le frisson des poupées



Les poupées au Japon, c’est une toute une histoire puisque même une fête leur est dédiée (le 3 mars, jour consacré aux petites filles). Les enfants raffolent des coquettes Licca-chan, les jeunes filles collectionnent les Blythe aux yeux démesurés et à grosse tête, quant aux otome (la version féminine des otakus), elles vénèrent les BJD à l’allure d’adolescents éthérés. Si l’on se promène dans Takeshitra Street à Harajujku, au milieu des gothic lolitas en frous-frous noirs et perruques blondes, on croirait débarquer au pays des poupées vivantes. Rien d’étonnant alors que l’on trouve au Japon les plus dignes héritiers d’Hans Bellmer. Le pionnier du Doll Art est l’excentrique Yotsuya Simon, un acteur de théâtre, travesti (on peut le voir dans Journal d’un voleur de Shinjuku d’Oshima), qui découvrant à la fin des années 60 les poupées à articulation sphérique de Bellmer en inventa une version japonaise. Ces adolescents vous fixant de leurs yeux bleus et découvrant sous leur chair des mécanismes d’horlogeries donnent encore le frisson. Le Doll Art s’empare de ces objets enfantins pour en proposer des variations forcément déviantes, les agrandissant, les maltraitants et souvent les dotant d’une sexualité trouble. Le mouvement a ses revues comme Yaso (organe de la galerie Parabolica Bis qui organise régulièrement des expos) ou encore Talking Heads, mook consacré aux arts transgressifs. Certains objets ne manquent pas d’intriguer comme le recueil de photos Ecole d’Hizuki, remake du film Innocence de Lucile Hadzihalilovic interprété par des poupées.
L’une des artistes les plus en vue de ce mouvement est Etsuko Miura dont les œuvres, très impressionnantes, possèdent une dimension autobiographique. En France, son travail est connu grâce à la pochette de Point de suture (2008) de Mylène Farmer et sa poupée rousse à la bouche couturée. Depuis le début des années 2000, les galeries de Tokyo exposent ses poupées amaigries, accidentés, souvent recouverts de bandages, où  fusionnant avec d’autres objets, comme ces violons aux cordes de cheveux qui poussent sur leurs torses. Nous avons rencontré Miura Etsuko à Roppongi, pendant le Tokyo International Film Festival. Pour le film d’horreur Bilocation, réalisé par Mari Asato (ancienne assistante de Kiyoshi Kurosawa), elle avait conçu un couple de siamoises exténuées dont chacune semblait dévorer la substance de l’autre. 
Au cours de cet entretien Etsuko était accompagnée par la mangaka Miyako Cojima, auteur du recueil macabre Histoire d’œil (Tonkam 2008) et organisatrice en 2012 de l’événement « Eyeball and Girls » à la Bunkamura gallery (Tokyo) où exposait Etsuko.


On vous connait en France grâce à la pochette de Point de suture (2008), l’album de Mylène Farmer.
Etsuko : Mylène Farmer a découvert mes poupées dans le recueil The Doll Bride of Frankenstein (2007) et m’a contactée. Je voulais faire une nouvelle poupée spécialement pour l’occasion mais elle a insisté pour qu’on utilise celle du livre. J’ai donc replanté des cheveux rouge-orangés comme les siens. Mylène est ensuite venue au Japon et Atsushi Tani s’est chargé de faire les photos.

Comment êtes-vous devenue une doll artist ?
Etsuko : J’ai commencé par dessiner et puis, chez une amie, j’ai vu des poupées Barbie transformées en créatures de Frankenstein. Ça m’a énormément plu et m’a donné l’impulsion. Je suis ensuite entré au cours privé de Yoshida Ryō appelé Pygmalion. On y apprenait tout : le visage, le corps. J’ai commencé à fabriquer des poupées articulées et des poupées non articulées. J’ai suivi ce cours pendant deux ans. Je n’y allais qu’une fois par semaine mais je pratiquais chez moi tous les jours.

Vous avez étudié Hans Bellmer ?
Etsuko : En fait, quand j’ai commencé à travailler sur les poupées, je ne connaissais pas du tout Bellmer. Maintenant, ça me plait tellement que j’essaie de ne pas trop regarder ses œuvres… pour ne pas l’imiter.

Et vous vous intéressez à Yotsuya Simon ?
Etsuko : Oui, c’est vraiment impressionnant. Ses dernières statues avec des hommes barbus sont très particulières. En fait, toutes ses poupées lui ressemblent. On me dit aussi souvent que mes poupées me ressemblent. Pour ma part, je ne sais pas…
Miyako : C’est assez dérangeant comme idée, non ? Un peu malsain ?
Etsuko : oui c’est vrai mais quoi qu’on fasse, nos créations nous ressemblent. Il y a quelque chose de génétique là-dedans.
Miyako : On se voit tous les jours dans le miroir, c’est normal que ça finisse par nous ressembler ! Je ne fabrique pas de poupées. Comme j’adore ça, j’ai voulu en faire à un moment mais ça me fait trop peur.
Etsuko : Qu’est-ce qui te fait peur ?
Miyako : Sans doute le fait de me projeter trop intimement dans une création. Les poupées ont deux faces, n’est-ce-pas. On peut fabriquer des poupées qui parlent de soi, ou des poupées « fictionnelles ». Il y a deux sortes de créateurs de poupées.
Etsuko : On peut dire que c’est une sorte de thérapie. Un peu comme le genre littéraire japonais que nous appelons « watakushi shōsetsu » où il s’agit de parler de soi avec sincérité sans se masquer. Devant les poupées, on se demande ce qu’est le moi ?


Vous jouiez à la poupée quand vous étiez petite ?
Etsuko : Oui. J’avais des Licca-chan, j’empruntais des Barbie à mes amies… Mais j’avais plus de peluches que de poupées. Quand j’allais dormir, j’alignais dix peluches sur mon lit… Même si j’en fabrique, je ne possède pas ce que les Japonais nomment le ningyō ai, l’amour des poupées. En fait, le visage ne m’intéresse pas vraiment, je préfère fabriquer le corps et inventer des formes.

Selon Yotsuya Simon : « La poupée ne représente que la poupée », c'est-à-dire qu’elle est en être en soi et non l’imitation d’une enfant ou d’une jeune fille. Qu’en pensez-vous ?
Etsuko : Ah oui, et ce n’est pas non plus une amie. Construire des poupées est pour moi une sorte de thérapie émotionnelle. Quand je ne peux pas en fabriquer, je me sens assez mal.

C’est comme si vous expulsiez quelque chose de vous-même
Etsuko : Inconsciemment, mes poupées représentent des sentiments difficiles à supporter. Quand les poupées sont réussies, mon cœur est apaisé. Quand je le trouve ratées, ça ne va pas bien du tout…

Ça a un côté un peu Cronenberg…
Etsuko : Ah, oui. J’aime beaucoup ce réalisateur. En ce qui concerne mes influences, j’adore Funakoshi Katsura qui est sculpteur sur bois. Je me suis même rendu jusque dans la préfecture d’Aichi, à Nagoya, pour le rencontrer.
Miyako : Il y a aussi Koitsuki Hime qui ne fait que des des poupées à articulations sphériques, en porcelaine, d’environ 150 cm. Elle a une très grande technique. Elle, Yotsuya Simon et Etsuko sont les plus importants doll artists du Japon.

Mais pourquoi au Japon rencontre-t-on spécialement cet amour des poupées ?
Etsuko : C’est effectivement très étrange. Entre les amateurs et les artistes, c’est un tout petit monde. J’ai participé à une exposition en France et je ne savais pas comment m’y prendre face à des gens qui n’étaient pas Japonais. Ils n’avaient jamais vu ce genre de poupées. Beaucoup ne comprenaient pas du tout mon travail.
Miyako : Si l’on cherche les raisons, c’est sûrement parce qu’ailleurs les poupées sont souvent des petites filles mignonnes et des jouets. Au Japon, ces poupées à articulations sphériques ce situent entre l’art et le jouet. Les poupées d’Etsuko font partie de cette nouvelle culture qui n’a pas encore tout à fait trouvé sa place. Les artistes japonais en souffrent beaucoup. Ils ont beau créer avec ferveur, on ne sait pas comment regarder leurs œuvres. Par exemple, ils ne sont pas encore intégrés dans l’histoire de l’art à l’université.
    
Dans le film d’épouvante Bilocation, vos poupées jouent un rôle important. Les avez-vous crées spécialement pour le film ?
Etsuko : Oui. Le producteur aime beaucoup mon travail qu’il a découvert lors de l’exposition « Eyeball and Girls » montée par Miyako. J’ai d’abord lu le scénario qui était très intéressant : les personnages voyaient apparaitre des mauvais doubles qui essayaient de les remplacer. Comme les poupées sont dans une chambre rouge et une chambre verte, je leur ai donné des yeux rouges et verts.

Ce sont des poupées recouvertes de cuir.
Etsuko : Oui, j’aime l’idée de de renaissance et de recyclage. C’est du cuir de vache. Certaines de mes poupées sont assez grandes, entre 1m80 et 2m.

Comment travaillez-vous le cuir ?
Etsuko : Je l’achète chez un grossiste où je peux l’avoir à moitié prix. Celui d’Asakusa a un choix incroyable. Ensuite, comme le cuir a en général environ 1 millimètre d’épaisseur, je le pèle jusqu’à obtenir seulement 0,4 millimètre. Il faut qu’il soit très fin. Je modèle la forme dans de la glaise noire et, avec de la colle, j’étends le cuir dessus. C’est entre la peau et le vêtement… Cette poupée d’adolescente est également construite avec du cuir.


A cause des cheveux, elle ressemble à la fiancée de Frankenstein.
Miyako : Elle a été présentée au musée Bunkamura de Shibuya et donc beaucoup de gens sont venus la voir. Et les réactions étaient très divisées : certains la trouvaient effrayante, d’autres mignonne… Moi je la trouve très jolie. J’ai envie de danser avec elle. Lorsque vous la voyez, à quoi pensez-vous ?

Peut-être que si on vit avec elle, elle doit être très exigeante.
Miyako : Exigeante ? Comment ça ? Elle dirait peut-être « apporte-moi du thé ! », « achète moi des trucs ! » ou « dors avec moi ! » ? Moi je pense qu’elle est très docile et gentille. Souvent ce sont les hommes qui les trouvent effrayantes, les femmes disent qu’elles sont étrangement mignonnes…

Votre poupée qui se dresse dans la pénombre avec ses lambeaux de cuir (Sans titre 2) est très impressionnante. Elle est à la fois triste et majestueuse.
Etsuko : Oui, peut-être parce qu’elle repose sur l’eau. C’était pour faire penser à Venise. Et devant il y a du sable. Je voulais donner l’impression qu’elle « pousse » dans l’eau, tristement.
Miyako : Elle ressemble à ces moines bouddhistes qui deviennent des momies par leur propre volonté, de leur vivant, à force de jeuner. C’est un rite nommé sokushinbutsu. Et peut-être que la poupée montre ça : le fait de mourir de faim.
Etsuko : Oui c’est ça. Quand je l’ai faite, je souffrais beaucoup. Je désirais qu’elle ressemble à une statue bouddhique. Elle fait partie de mes poupées les plus grandes, comme Tableau de famille, la poupée sur la table qui fait environ 2 mètres.

Elle est exposée verticalement ?
Etsuko : Oui. C’est une table à manger que j’ai mise à la verticale. La table appartenait à ma famille, là il y a la place de ma mère, puis celle de mon père, de ma sœur. En fait, je n’ai pas beaucoup eu l’occasion de participer à des repas familiaux, et la poupée couchée sur la table, c’est sans doute moi-même. Et je voudrais qu’ils me mangent. Dans les funérailles japonaises, les corps sont incinérés et il arrive que certaines personnes se cachent pour avaler un peu de cendres. En avalant les os de la personne qui nous aimait et qu’on a aimée, on essaie d’ancrer sa mémoire en nous.


Ce qui sort de son ventre ressemble à des cristaux…
Etsuko : J’ai imité un subuta (porc aigre-doux). C’est un plat chinois que j’aime beaucoup et que ma mère cuisinait souvent.

Comment êtes-vous parvenue à ce résultat ? Ce n’est pas simplement de la nourriture telle quelle.
Etsuko : J’ai moulé des légumes. J’allais acheter des poivrons, par exemple, et j’en faisais des moulages. C’est ça que j’ai mis dans le ventre de la poupée. C’est très lourd, ça fait cinquante kilos.

C’est tout de même un drôle de repas familial, les assiettes par exemple….
Etsuko : J’ai enveloppé toutes les assiettes dans des bandages médicaux. J’ai voulu transmettre le message suivant : « Mangeons tous ensemble en famille ». Mais évidemment c’est devenu un peu effrayant. Pourtant mon idée de départ était plutôt aimable.

Peut-on voir un lien avec la crucifixion, le christianisme ?
Etsuko : Pas du tout.

Parce que la poupée est vraiment dans la position du Christ. Le fait d’être mangé fait penser à l’eucharistie.
Etsuko : Il est vrai que les gens qui ont organisé mon exposition en France m’ont demandé de ne pas commenter les questions qui iraient dans ce sens. Lire l’œuvre en faisant référence au Christ peut amener à penser au cannibalisme. Il ne fallait pas non plus parler de cette idée d’avaler les os de ses parents. Il est vrai que c’est très dur à expliquer correctement. Pour une autre poupée, j’ai copié les yeux de ma mère en les agrandissant d’après un portrait photographique. Et j’ai mis aussi un peu de ses os à l’intérieur du corps.
Miyako : Les os de ta mère ?
Etsuko : Oui. Mélangés à la glaise, juste un peu.

Donc, d’une certaine façon c’est presque un portrait de votre mère ?
Etsuko : Je ne l’ai pas faite dans ce but, mais oui, finalement elle a fini par lui ressembler.

Propos recueillis à Tokyo le 21 octobre 2013 par Stéphane du Mesnildot
Traduction et interprète Marie-Noëlle Beauvieux
Remerciements à Miyako Cojima 
Paru dans Chronicart n°6
Avril 2014