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mardi 20 juillet 2021

Les trois vies de Masakane Yonekura



Bien des artistes japonais n’ont pas qu’une seule vie. Dans le dernier numéro du magazine Tempura, j’ai appris que Shôichi Ozawa, acteur chez Imamura, était aussi un imminent expert en art folkloriques japonais, parcourant le Japon avec un magnétophone pour enregistrer de vieux airs régionaux. C’est amusant puisqu’Imamura dans les Pornographes lui fait collecter des sons mais il s’agit d’ébats sexuels.

Masakane Yonekura (1934-2014) est un acteur de second rôle et on se rappelle avoir croisé cette tête burlesque, un peu Popeye, dans des films de sabre ou de Yakuza. Il n’était pourtant pas qu’un mercenaire des studios, mais aussi une légende du théâtre japonais.  




Sa troupe, le Gekidan Mingei (théâtre du peuple) fondée en 1950, faisait partie des trois compagnies les plus importantes du Shingeki. Créé au début du XXe siècle le Shingeki rompait avec le kabuki pour représenter Shakespeare ou Tchekhov, s’inscrivant dans l’ouverture des arts japonais à l’Occident.

 


Le Gekidan Mingei était connu pour son engagement à gauche, proche du parti communiste, et participait aux manifestations contre le traité nippo-américain (ANPO). L’appartenance de Masakane Yonekura à la fois au cinéma populaire et au théâtre engagé n’est pas si étonnante, si l’on pense par exemple à la riche carrière cinématographique du danseur butô Akaji Maro.Yonekura a également une troisième carrière, qui est celle pour laquelle il est peut-être plus connu : illustrateur. Certaines de ses peintures sont inspirées des bijinga, les « belles personnes » du peintre Yumeji. Elles sont aussi peuplées d'éphèbes ténébreux, de sorcières, ou d’Ondines chevauchant des hippocampes.



Une de ses œuvres les plus connues est la couverture de Dogra Magra, le roman-monstre de Kyûsaku Yumeno.

  



Certaines images sont très proches du film d’animation Belladonna, mais si Yonekura y participa ce fut comme voice-actor pour le rôle du prêtre, qui par ailleurs ressemble à ses dessins. On peut cependant imaginer que quelque chose de son délicat art fantastique est passé dans le film d’Eiichi Yamamoto.




















jeudi 21 janvier 2016

Belladonna des tristesses, japanese psychedelica



Le 6 février, je présente à la Cinémathèque française, Belladonna des tristesses (Kanashimi no Belladonna, 1973) d’Eiichi Yamamoto, adaptation érotique et psychédélique de La Sorcière de Michelet. 
Produite par Osamu Tezuka, le père du Roi Léo et d’Astro Boy, il s’agit du dernier opus d’une trilogie de dessins animés pour adultes comprenant Les Milles et une nuit (1969) et Cléopâtre (1970). Ce véritable opéra-rock à la folle imagination s’inscrit dans la culture underground et érotique de l’époque, proche autant du baroque de Shuji Terayama que du cinéma pink du révolutionnaire Koji Wakamatsu. Comme chez l’auteur de La Vierge violente, les tortures dont est l’objet la sorcière ne servent pas une apologie de la soumission mais au contraire de la libération féminine.
Si on reconnait le style de Tezuka dans les deux premiers films de la trilogie, Eiichi Yamamoto conçoit Belladonna comme une aventure graphique inédite : parfois seulement crayonnés, aucun dessin n’est lisse et les encres et aquarelles produisent des matières mouvantes et inattendues. Empruntant à l’Art Nouveau, Gustav Klimt, Aubrey Beardsley mais aussi au Yellow Submarine de George Dunning, il s’agit davantage d’une série d’illustrations à l’animation parfois succincte mais hypnotique.
Sa beauté réside dans ses transformations symbolistes : le corps de Belladonna se fend en deux à partir du sexe dans un geyser de sang qui se transforme en vol de chauves-souris. Autre scène folle : la jouissance éperdue de la sorcière nue, engloutie dans l’ombre gigantesque du prince des ténèbres (auquel le mythique Tatsuya Nakadai prête sa voix) qui se dilate, et se contracte autour de son corps et blanc. Avec sa cohorte de femmes brûlées, torturées ou crucifiées de peur que leur jouissance ne dévore le monde, Belladonna respecte à la lettre le caractère visionnaire et féministe du livre de Michelet.


Le 24 septembre 2011, j’avais trouvé à la foire du cinéma d’Argenteuil, ce jeu complet de photos d’exploitation françaises, accompagnant sa sortie en 1976.


On a peu d’informations sur Kuni Fukai, le directeur artistique de Belladonna, sinon qu’il s’agit d’un illustrateur né en 1935, et qu’il serait encore vivant. Une autre de ses collaborations, moins flamboyante visuelle est Hoshi no Orpheus (1978) de Takashi d’après les métamorphoses d’Ovide. Une collecte d’image permet de constater que Belladonna est l’application directe de son style et de ses techniques telle que l’aquarelle. Jeanne la sorcière apparaît comme l’idéal féminin de Kuni Fukai.

Si Beardsley et Klimt sont les influences revendiquées de Kuni Fuka, on peut déceler des correspondances avec le travail du dessinateur allemand Alastair (Baron Hans Henning Voigt, 1887 – 1969), pendant germanique d’Aubrey Beardsley. Ce grand décadent habillé de satin blanc, est surtout connu pour ses illustrations du Sphinx d’Oscar Wilde et de Carmen de Mérimée.

Autre influence perceptible : l'univeres moyenâgeux de l’irlandais Harry Clarke (1889-1931), grand illustrateur de Poe et d’Andersen. 


avec Eiichi Yamamoto en octobre 2013



Pour la séance de la Cinémathèque française, voir ici