vendredi 28 janvier 2022

Summer Wars de Mamoru Hosoda (2012)

Contes et légendes du Cyberespace




Summer Wars décrit la guerre que livrent Kenji un jeune informaticien, et une famille campagnarde contre Love Machine, un virus menaçant de détruire Oz, un monde virtuel fédérant la population mondiale. Signé par un des plus talentueux animateurs japonais actuels, Summer Wars  est une œuvre complexe et sans cesse euphorique.

Connu en France grâce à La Traversée du temps, Mamoru Hosada est un peintre délicat de la vie provinciale japonaise, constante des productions Madhouse (les merveilleux Un été avec Coo et Mai Mai Miracle). S'il excelle à représenter une campagne estivale bruissant d'une vie secrète, Hosada est également le démiurge d’univers virtuels foisonnants. Oz marque l'aboutissement d'un travail commencé avec Superflat Monogram, reprise de l'univers d'Alice commandée par l'artiste Pop Art Takashi Murakami, et Digimon Adventure, décrivant déjà la lutte contre un virus informatif vindicatif. Oz, aux allures de parc d'attraction psychédélique, récupère les esthétiques pops du Kawaii (le mignon enfantin, tout en courbes, popularisé par Hello Kitty) et du Superflat (les couleurs en à-plats, sans ombre ni relief). Sa belle architecture aérienne et ses avatars drolatiques, renvoient à la préhistoire le sinistre Second Life et son peuple de zombies.

Cette vision idéalisée et pacifiste, propre au Kawaii, est aux antipodes de celles, cauchemardesques, de Serial Experiment Lain de Ryutaro Nakamura et Chiaki Konaka ou de Ghost in the Shell de Mamoru Oshii nées au début de l'Internet.



Oz est un monde en perpétuelle construction et métamorphose, comme le signale le totem qui occupe son centre : une tête gigantesque de Félix le chat. Outre son statut de figure fondatrice du dessin animé, Félix est une créature modulable (sa queue devient un point d'interrogation), presque un idéogramme. Pendant les premières minutes du film, Oz s’élabore au fur et à mesure de sa description. Le plaisir enfantin du jeu de construction se développe encore lors de l'énumération des degrés de parentés de la famille et l'organisation  par la grand-mère de la résistance de la petite ville contre le virus.


La grand-mère devient le lien affectif et familial qui unit tous les membres de la communauté. Ce qui permet de lier les mondes réels et virtuels, n'est rien d’autre que la famille, fondement de la société japonaise. D’abord locale et provinciale, la famille devient globale et planétaire dans le Cyberespace. Pour autant Hosoda, n’en fait pas une force passéiste. Au contraire,  c’est une entité mutante, tentaculaire et joyeusement anarchique. Le jeune héros, mathématicien génial, devra tout autant débrouiller des généalogies remontant aux samouraïs que déjouer les stratégies malignes de Love Machine.

 


Dans son ultime métamorphose, Love Machine devient un essaim d’avatars, rappelant les créatures d’épingles d’Alexeïeff. Tirer son énergie d’identités qu’il emprisonne est l’unique motivation de ce vampire cybernétique. Alors que Oz repose sur une vision enchantée et utopique de la mondialisation, le virus en est le démon capitaliste et profondément nihiliste. Lorsqu'il aura épuisé toutes les ressources du monde virtuel, il ne lui restera qu'à disparaître avec lui. 

Pourtant, Love Machine motivé uniquement vers sa satisfaction immédiate, recèle une faiblesse : il ne possède ni passé ni mémoire. Pour le combattre, Kenji et la famille convoqueront d'abord les stratégies guerrières des samouraïs. Les matières synthétiques du monde virtuel sont remplacées par une multitude de petites baraques en bois qui emprisonnent le virus. Le bois, anachronique dans le monde lisse et acidulé d’Oz, est comme l’exhumation d’une antique civilisation au cœur du Cyberespace. Hosoda ne se contente pas d'opposer Love Machine, monstre issu des jeux vidéos, à une pratique ancestrale, il montre le plaisir ludique comme une constante de l'âme japonaise. Ainsi, la grand-mère lègue à sa petite fille son habileté au Hanafuda, jeu de carte traditionnel. La mémoire à laquelle fait appel Hosoda est alors très émouvante. L'actrice qui prête sa voix à la grand-mère n'est autre que JUnko Fuji, interprète de la Pivoine Rouge, la joueuse de Hanafuda d’une série mythique des années 70.

C’est ce passé glorieux, l’âme d’un cinéma japonais à la fois populaire et ambitieux, dont le conte cybernétique de Mamoru Hosada recueille l’héritage.

 

 

Entretien avec Mamoru Hosoda



On retrouve dans Summer Wars certains motifs des œuvres de Takashi Murakami ?

Je dirai plutôt que c'est l'inverse : c'est moi qui lui ai donné ses idées. Lorsque j'ai tourné Digimon, j'ai représenté le monde virtuel comme un globe blanc, parcouru de lignes rouges. En automne 2002, Murakami est venu me voir aux studios de Toei Animation. Il devait faire une publicité pour Louis Vuitton et m'a commandé un film d'animation : Superflat Monogram. Lorsqu'il m'a montré son projet, j'ai retrouvé des images de mon Digimon. Donc, c'est plutôt moi qui l'ai influencé. Takashi Murakami est un ami, je ne corrige pas à chaque fois.

 

Pourquoi avoir donné au virus le nom de Love Machine ?

Love Machine représente l'intelligence artificielle - "AI" en anglais qui signifie "amour" en Japonais. Takashi Okazaki, l'auteur d'Afro Samouraï qui a créé le design des personnages, est un fanatique des statues de Bouddha. Il lui a donné cette forme impressionnante.

 

Une même saturation d'informations caractérise le monde d'Oz et la famille Shinohara.

Cela vient de l'expérience de mon propre mariage. Lorsque j'ai rencontré la famille de ma femme, ils étaient si nombreux que je ne comprenais pas qui était qui. Encore aujourd'hui je ne me souviens pas de tous leurs noms. Pour moi, le mariage représente une multitude d'informations et j'ai failli m'évanouir quand j'ai du toutes les mémoriser.

On retrouve ce foisonnement dans la scène du repas familial. Ils sont une trentaine autour d'une table, cela demande énormément de travail. Pour cette raison, les films d'animations comprennent très peu de scènes de repas. Ici chaque membre de la famille mange à son propre rythme. Il n'y a pas vraiment de héros dans Summer Wars, c'est la famille qui est un personnage à part entière.

 

Summer Wars associe le monde virtuel et la famille, ce qui est inhabituel.

Lorsqu'on traite du réel et du virtuel on condamne souvent un des deux. Par exemple, on dit que l'Internet est un monde faux, que ce n'est qu'un rêve et qu'il faut faire confiance à la réalité. A l'inverse, on dit aussi que l'Internet représente le progrès et permet de réaliser des choses inédites. Je voulais montrer les bons côtés de ces deux univers puisque l'Internet et la famille sont indispensables à notre vie. La vraie opposition ce situe davantage entre ce qui est local ou régional et la globalisation. On a tendance à penser que ce qui est local n'a plus de valeur. J'ai voulu montrer comment les familles du monde entier veulent aider cette famille japonaise. Je pense que malgré la globalisation, les familles peuvent changer le monde.

 

Vous utilisez des stratégies anciennes pour combattre les dangers du futur.

Je crois que ces stratégies miltaires existent encore aujourd'hui dans le monde d'Internet. La scène où Love Machine est emprisonné par les petites maisons vient d'un fait historique. Je me suis inspiré de la famille Sanada, qui a réellement existé dans cette région et qui a combattu l'armée du samouraï Tokugawa. La famille Sanada avait 2000 soldats alors que l'adversaire en avait 38.000. C'était donc sans espoir. Mais ils ont gagné en enfermant l’armée ennemie à l'intérieur de leur propre château.

L'origine du titre vient du fait que la famille Sanada a livré plusieurs guerres en été. D'où le pluriel. 

 


Dans quel courant de l’animation japonaise vous situez-vous ?

Dans l'histoire du cinéma d'animation japonais, il y a trois courants. D'abord, Toei animation, qui a produit le premier long métrage d'animation japonais : Le Serpent blanc de Taiji Yabushita. Aujourd'hui, Miyazaki  s'inscrit dans cette tradition. Le 2e courant vient de Tatsunoko Pro., fondée par Tatsuo Ushida, dont Mamoru Oshii est l'héritier. Madhouse quant à lui retrouve l'esprit du studio d'Osamu Tezuka. La caractéristique de Madhouse est son grand respect de chaque auteur. Même si j'ai beaucoup travaillé pour eux, je suis issu de la Toei et  Madhouse l'a parfaitement accepté. Dans Summer Wars, j'ai mis beaucoup de ma propre expérience et de ma vie privée. Je viens de la Toei où j'ai appris le cinéma. J'aime son côté très dynamique, et même un peu vulgaire. Je suis très fier de mon origine.

 

En quoi Summer Wars est-il proche de la Toei ?

Dans l'histoire du cinéma japonais, il y a également trois tendances : la Toei, la Toho et la Shochiku. Ozu a beaucoup tourné pour la Shochiku. Les films Shochiku montrent des familles tranquilles, ancrées dans la vie quotidienne. Un des réalisateurs phares de la Toho, est Kon Ichikawa dont les familles sont plutôt  hors-normes. A la Toei, les familles sont un peu yakuza comme dans la série La Pivoine rouge. L'héroïne est jouée par Junko Fuji qui était à l'époque une star.  C'est elle qui prête sa voix à la grand-mère dans Summer Wars. Et elle est la maman de Shinobu Terajima qui vient de remporter le prix d'interprétation à Berlin pour Caterpillar de Koji Wakamatsu !

 

Interprète : Shoko Takahashi

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